Raconter un drame personnel et ne pas tomber dans le pathos reste une gageure. Et, en lisant le nouveau récit de Natasha Appanah intitulé, la nuit au cœur, on chemine dans les méandres de l’horreur sans qu’elle nous engloutisse car la plume incisive de l’écrivaine parvient à maintenir notre lucidité en éveil pour comprendre les processus qui mènent aux violences faites aux femmes. Les témoignages lues ou entendues ici ou là ne sont pas assez explicites sur les mécanismes mis en branle par ces mari-criminels, d’où l’importance du travail fait par Natasha Appanah à travers ce récit. Par ailleurs, l’écrivaine associe à son drame les histoires de deux autres épouses qui ont rendu l’âme sous les coups de ces maris féminicides et qu’elle apparaît dans cette affaire comme une survivante qui devait sauver de l’oubli les histoires de ces deux femmes venues de loin. De façon symbolique, la narratrice convoque les trois accusés et les enferme dans une salle pour les mettre en face de leurs méfaits. Peu importe l’ordre des histoires, car ces trois femmes partagent la jeunesse, l’aspiration à la liberté et un désir de se réaliser en dehors des pesanteurs patriarcales et machistes. Natasha Appanah nous apprend qu’au sortir de l’adolescence, elle avait toujours eu la fibre poétique et une attitude rimbaldienne à investir le monde des lettres. Sur ce chemin qui peut mener au nirvana de l’édition, la narratrice croise le chemin d’un célèbre prosateur et coach sportif de l’île Maurice qu’elle désigne par HC plus âgée qu’elle de trente ans. L'aura de HC, son charisme et son côté bourreau des coeurs séduisent la jeune femme de dix-sept ans qui contre l’avis de sa famille va emménager avec lui. L’huis-clos s’impose et HC va l’isoler petit à petit pour que son emprise sur elle devienne totale. Et, c’est là qu’elle va être martyrisée, brimer et déshumaniser. En écho au climat de violence dans lequel il l'a fait vivre, elle découvre l’histoire de Chahinez jeune d’origine algérienne qui a été brûlée par son compagnon pas loin de Bordeaux où elle réside et se souvient de sa cousine Emma vivant à Maurice écrasée par la voiture de son mari. Histoire de montrer que la violence subie au quotidien par les femmes peut conduire inéluctablement à la mort. Ce passage à l’acte fatal intervient presque toujours quand l’emprise devient inefficace grâce à la prise de conscience des victimes. Natasha Appanah a survécu à huit ans de brimades et de déshumanisation pour nous donner un récit d’une grande justesse qui déconstruit les mécanismes de l’emprise et aide à mieux comprendre les dangers qui guettent les femmes victimes des violences conjugales.
Slimane Ait sidhoum.
Natasha Appanah, La nuit au cœur, Gallimard, 2025.