Le syndrome de Stockholm peut se décliner à l’infini des histoires qu’on peut raconter, il suffit d’avoir le talent pour le faire. Le nouveau roman d’Ahmet Altan intitulé, Boléro, peut s’inscrire dans cette lignée. Altan qui vit en résidence surveillée en Turquie, explore les thèmes éternels du désir, du plaisir, de la domination et de la fascination. La lucidité d’Asli, le personnage principal du roman ne change rien à la donne, car l’expérience hédoniste l’emporte chez elle contre toute rationalité. L’intrigue commence de façon banale, Mehmet procureur à la retraite, victime de maux de dos chroniques, contacte donc Asli médecin physiothérapeute pour l’aider à surmonter son mal. La condition posée par le malade est de se faire soigner à domicile, c’est-à-dire dans sa grande propriété située quelque part dans le pays profond. Les séances de remise en forme se déroulent le week-end en dehors donc des horaires de travail du médecin. Rapidement, Asli reconnait Mehmet car elle l’avait vue lors de de son arrestation arbitraire avec un groupe d’étudiants qui manifestaient contre les abus du régime en place. Pour elle le malade qu’elle va soigner est un tortionnaire notoire doublé d’un homme puissant qui sait tirer profit de son pouvoir pour s’enrichir. Cette malheureuse rencontre ne la dissuade pas de mettre fin à la thérapie mais au contraire elle est poussée par une force intérieure qu’elle ne saurait rationaliser pour aller jusqu’au bout du face à face avec ce bourreau retiré des affaires publiques. La perte de la lucidité se transforme en fascination pour ce personnage silencieux jusqu’à lui céder et se retrouver dans son lit conjugal. Cette attraction des corps s’accentue quand elle fit la connaissance de Romaissa l’épouse de Mehmet. Romaissa ne vit pas sur le domaine car elle s’occupe en ville d’une école fondée par son époux pour former de futurs cadres en leur octroyant des bourses. Asli pousse l’admiration pour cette femme un peu effacée jusqu’à se confondre avec elle, car elle croit dur comme fer qu’elles se ressemblent. Pour devenir le double de Romaissa, elle va s’habiller comme elle, utiliser le même parfum qu’elle et adopter ses gestes. Dans le jeu trouble de la sensualité, le désir pour sa rivale devient omniprésent. Jusqu’au bout cette intrigue amoureuse nous tient en haleine bien menée par Altan. Est-ce que ces trois corps que tout sépare vont s’unir ou c’est juste un jeu pour pimenter la relation entre Mehmet et Asli ? Le roman tient toutes ses promesses par son lyrisme et cette façon inédite qui va dans l’introspection du désir humain sans perdre de vue la restitution subtile de la vie politique et ses travers en Turquie.
Slimane Ait sidhoum
Ahmet Altan, Boléro, Actes-sud, 2025.