Les secrets enfermés dans les coffres de la mémoire familiale ne peuvent être définitivement tus, il arrive toujours qu'à un moment tout se déverrouille pour laisser place à certains éclaircissements. C'est un peu cette problématique que pose le roman de Fatma Aydemir intitulé, Fantômes, publié au Mercure de France. Mais aussi, un récit très bien documenté sur l'immigration turque en Allemagne et ses déboires à maintenir vivantes les traditions ou à s'acculturer pour mieux s'intégrer. Ce fil rouge court tout le long du roman depuis l'annonce de la mort du patriarche "Hüseyin" à Istanbul. Les lecteurs au fil des pages découvrent comment les chemin entre l'Allemagne et la Turquie est semée d’embuches rappelant le temps des caravanes. La modernité des transports ne résout pas le problème de l'inertie du monde surtout en saison estivale où les flux sont incessants. Pour revenir à "Hüseyin" tout de suite son ombre se dresse comme un spectre "Shkespearien" au dessus de tous les portraits que dresse la narratrice. Ainsi on apprend que Hüseyin a trimé toute une vie, histoire d'économiser de quoi s'acheter un pied à terre à Istanbul mais le jour de son emménagement, il est foudroyé par une crise cardiaque. A partir de là une course contre la montre s'engage pour la famille de revenir au pays natal et être présent à l'enterrement du patriarche comme le veut la tradition. Sa femme "Emine" et ses deux derniers enfants "Périhan" et "Ümit" rejoignent la sublime porte tant bien que mal. Mais avant de voir le corps, on fait connaissance avec Périhan, la fille rebelle de la famille qui aime Nietscche et qui comme lui rêve d'en finir avec "Dieu, le père". Ümit de son côté s'est toujours senti atypique par rapport aux valeurs transmises par sa famille et ce que l'on attend toujours d'un homme. Sevda la fille aînée s'est construite en opposition de ce que devrait être une femme rivée aux traditions religieuses et familiales en devenant autonome financièrement par le biais de son esprit d'entreprise. Enfin, le fils aîné Hakan qui incarne la plus grande déception entre rêves de grandeur et dilettantisme de mauvais aloi, laissant se profiler la faille de l'échec total. Quand tout ce beau monde se réunit après l'enterrement du père l'heure de vérité approche et les révélations sont légion pour permettre l'apaisement et permettre au renouveau de se mettre en place. Fatma Aydemir nous a donné à lire une fresque familiale remarquable par sa pertinence et son universalité.
Slimane Ait sidhoum.
Fatma Aydemir, Fantômes, Mercure de France, 2024.