Slimane Ait sidhoum

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Billet de blog 16 septembre 2025

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Le puits de la mémoire

Dans l’intéressante collection « nuit au musée » des éditions Stock, est parue « La joie ennemie » de Kaouther Adimi.

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Dans l’intéressante collection « nuit au musée » des éditions Stock, est parue « La joie ennemie » de Kaouther Adimi. Dans ce récit où l’auteure invitée de la collection, passe une nuit dans un musée de son choix pour évoquer une artiste avec qui elle a des affinités, l’écrivaine algérienne a choisi de mettre en avant le talent de « Baya »au moment où se tenait une exposition hommage que lui a consacrée l’institut du monde arabe. Artiste peintre précoce née durant la colonisation française de l’Algérie en 1931. Il faut rappeler que « Baya » n’a pas suivi dans sa carrière la filière traditionnelle de l’école des beaux-arts, elle a juste exploité un don inné qui l’a propulsé dans l’universalité. Le récit que propose Kaouther Adimi est construit comme une sorte de dialogue entre la trajectoire de l’artiste et le travail d’écrivaine qui est le sien. Kaouther Adimi raconte ses difficultés à mener cette tâche jusqu’au bout car il a été commencé en 2018. Malgré des recherches très sérieuses et un cumul d’archives intéressant, il a fallu attendre 2025 pour aboutir à « La joie intime ». En parcourant l’ouvrage on voit que le poids de l’Histoire d’Algérie reste omniprésent car la naissance de la vocation artistique de Baya coïncidait avec les massacres du 8 mai 1945 perpétrés contre les civils algériens par l’armée coloniale et cette époque rentre en résonnance pour Kaouther Adimi avec les années noires du terrorisme islamiste qu’a connues l’Algérie à partir de 1992. Cet écho donne un récit où se croise deux mondes faits de morts et de peur. Ainsi dès l’enfance de Baya elle perd ses parents, recueillie par sa grand-mère, elle subit la violence et les convoitises d’un homme âgé. C’est Marguerite Caminat qui la sauve du péril et contribue à sa vocation d’artiste. Dans sa nouvelle vie, elle retrouve la sérénité et lâche la bride à sa créativité en dessinant. Son travail qui ne s’inscrit dans aucun mouvement artistique bien cadré, plait et lui permet grâce à Aimé Maeght d’exposer dans sa galerie à Paris à partir de 1948. Le tout Paris artistique tombe sous le charme de ses peintures. En effet, Picasso la loue, Camus l’encense et les critiques leur emboitent le pas. Dans ce parcours inespéré pour une orpheline à peine lettrée, Kouther Adimi insère des épisodes de son histoire personnelle surtout après que son père ait imposé à la petite famille un retour définitif en Algérie en 1994, alors qu’ils vivaient à Grenoble dans une quiétude totale. C’est-à-dire au moment où des massacres collectifs de civils se déroulent sur tout le territoire et ce qui pousse par la même occasion des milliers d’Algériens à prendre la route de l’exil. Le témoignage de Kaouther Adimi sur la période fait d’elle une vraie survivante à l’horreur du terrorisme. En regardant de près, on découvre qu’elle a échappé à un faux barrage où on intercepte les automobilistes pour les assassiner ou enlever des femmes qui deviennent des esclaves sexuelles dans les maquis. Après ça, elle a côtoyé la mort par deux fois, lors de la fusillade du train qui la transportait et un bus qui a explosé pas loin de son bus. Sans oublier les difficultés de sa petite famille à se réadapter au climat de terreur de l’époque après avoir vécu longtemps dans la paisible ville de Grenoble. Ce récit intimiste de Kaouther Adimi est le plus abouti de son œuvre en construction car il recèle une sensibilité artistique et esthétique qui enchante l’âme du lecteur.

Slimane Ait sidhoum

Kaouther Adimi, La joie intime, Les éditions Stock, 2025, à paraître le 20 août 2025.

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