L’Afghanistan qui a subi toutes les horreurs possibles sort de temps en temps de sa torpeur grâce à ses auteurs pour nous faire toucher la réalité du pays et les souffrances d’un peuple. Ces auteurs produisent des œuvres dignes d’être lues, comme le roman de Khosraw Mani intitulé Rattraper l'horizon. On comprend dès le titre que la perspective semble bloquée au vue de l’actualité brûlante du pays, ballotté entre les Talibans et les interventions des puissances étrangères. Mais, il se trouve toujours dans cette atmosphère pesante, des interstices qui permettent d’entrevoir un espoir d’échapper à sa condition ou à la fatalité imposée par des rites datés. C’est ainsi que le narrateur orphelin de mère vit avec son père un mollah dans le sens le plus stricte du terme qui consomme les épouses sans modération, prend la décision un jour de demander à son fils de quitter le domicile pour une cabane située à côté de la maison car la nouvelle mariée est plus jeune que son fils. Il est aussi sommé par son géniteur de se prendre en charge pour subvenir à ses besoins. Il est jeté dans le monde des adultes sans transition ni préparation. Le narrateur va transformer la cabane en petite échoppe, fourre –tout en proposant des produits hétéroclites. Il aidé en cela par le financement du mollah qui attend un retour sur investissement. Sauf que les calculs échafaudés par l’un et l’autre s’avèrent faux. L’invasion russe, les Talibans et les différentes guerres intestines ont épuisé toutes les ressources et toutes les énergies de la population. L’auteur décrit de façon magistrale cette terre dévastée par l’incurie des ambitions politiques et leurs conséquences sur un pays qui est devenu exsangue. Dans ce chaos, l’échoppe devient pour lui un lieu de méditation et d’observation idéales de cette vie hors du temps que mènent les villageois. Dans ces moments de solitude, surgit l’ingénieur un homme qui fait la médiation entre un univers léthargique et le monde en marche. Le narrateur apprend beaucoup au contact de cet homme qui lui apporte un autre discours et une nouvelle vision sur le monde qui l’entoure. Des fenêtres dans sa tête vont s’ouvrir pour donner du sens à tout et surtout pour en finir avec la pensée mythique et une temporalité figée dans un espace violent. . Un des instruments qui va l’introduire dans l’histoire du monde c’est la radio et les livres que lui offre l’ingénieur. Ce transistor le réintroduit dans l’histoire du monde en lui permettant d’entendre d’autres voix venues à travers les ondes qui au départ ressemblent à une cacophonie mais qui s’éclaircissent avec l’habitude de l’écoute. Ainsi, une nuit, une voix parlant d’un chevalier à la triste figure s’incruste en lui pour devenir un hymne qui incite à aller voir un ailleurs salvateur, tout en lui faisant comprendre l’importance de la lecture car au départ il avait du mépris pour les livres de l'ingénieur. Don Quichotte lui donne la force de s’incarner en Raskolnikov et commettre le vol qui le délivrera du Mollah. Les bijoux de sa jeune belle- mère dont il a eu la révélation car elle est venue se réchauffer dans ses bras plusieurs nuits de suite sont la solution à ses problèmes. Son salut dans sa tête passe par Kaboul, la capitale-capharnaüm, il apprend la vie grâce à deux lascars Sam et Arman qui lui font découvrir les bas-fonds de la capitale, ses libations et ses bouquinistes. Ce parcours initiatique du narrateur remarquablement conté par Khosraw Mani parle d’une jeunesse condamnée par une forme de fatalité qui les enchaîne à des traditions pesantes et un patriarcat stérilisant ne peut être sauvée que par la culture et l’ouverture sur le monde extérieur.
Slimane Ait sidhoum.
Khosraw Mani, Rattraper l'horizon, Actes-sud, 2025.