Le monde arabe considère l’Egypte comme le paradis du livre et de l’édition. Á y regarder de près ce pays a enfanté à travers son histoire ancienne et actuelle des philosophes, des écrivains et des poètes de qualité. Ces artistes ont réveillé le monde arabo-musulman de sa longue léthargie inhérente à la chute de Grenade et aux guerres intestines. Mais en lisant le récit de Nadia Wassef qu’elle a intitulé, La libraire du Caire, on relativise et on découvre une autre réalité pas du tout réjouissante du monde de l’écrit. La libraire du Caire conçu comme un témoignage décrit au quotidien le combat d’une femme déterminée et très courageuse qui a eu l’idée saugrenue de créer un concept inédit en Egypte à savoir une sorte de salon de thé-librairie à qui elle a donné le nom de « Diwan ». Ce mot arabe peut signifier en français : cour du roi ou tout simplement : lieu convivial d’échange et de discussion. Par ailleurs, il peut être un clin d’œil aux « mille et une nuits », ces contes venus du monde indo-perse ayant conquis par leur fantaisie la planète entière. Or, ces contes un peu licencieux continuent de poser problème dans certains pays arabo-musulmans soumis à une censure féroce dont l’Egypte. Nadia Wassef raconte ses déboires avec « les mille et une nuits » quand elle a commencé à vouloir les commercialiser, suite à la demande de certains lecteurs. D’abord, elle fait un constat qui semble irréel quand elle découvre qu’il n’existe presque aucun exemplaire de ces contes chez les distributeurs de livres sans oublier qu’aucun éditeur digne de ce nom n’a osé les republier de peur de subir les foudres d’Al Azhar, l’institution suprême de la censure religieuse et profane. Il a fallu recourir à des bouquinistes tapis dans le caravansérail de Khan-el-Khalili pour récupérer quelques exemplaires et les mettre à la disposition de ses lecteurs-clients. Autre écueil que peuvent rencontrer les libraires du monde arabe, c’est la précarité de l’univers de la traduction. Peu d’ouvrages sont traduits en arabe pour faire une comparaison très significative : la Grèce à elle seule traduit plus que ce que traduisent tous les pays arabes réunis. Le voyage passionnant que propose Nadia Wassef dans le monde du livre aborde un autre thème qui est relatif aux droits d’auteur avec l’inexistence dans ce pays du numéro de L’ISBN qui protège les auteurs du piratage. D’ailleurs à ce propos, le prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, en son temps, s’est plaint de la multiplication des éditions de ses romans sans qu’il perçoive le moindre centime des ventes. Ceci amène l’auteure à explorer les pistes inextricables de la bureaucratie égyptienne et de son fonctionnement archaïque nourrie au bakchich et au clientélisme. Cette machine infernale freine toutes les initiatives individuelles et collectives surtout quand il s’agit d’une femme entrepreneure dans une société patriarcale, figée dans ses travers. Nadia Wassef montre dans son récit une combativité exemplaire pour vaincre tous les obstacles dressés sur son chemin. Sa persévérance lui a permis d’étendre son concept à d’autres lieux de la ville en ouvrant sur le Caire quatre autres librairies. Le seul échec fut la fermeture de son Diwan situé à l’université du Caire à cause de pouvoir d’achat dérisoire des étudiants et des profs. Et, comme le livre en Egypte ne bénéficie d’aucune subvention ce dernier peut être considéré comme un produit de luxe qui ne reste accessible qu’aux classes aisées. Á la fin du voyage dans le monde du livre en Egypte, on en sort beaucoup plus instruit sur la société égyptienne, ses attentes et son désir de trouver le salut en dehors de la dictature militaire et d’une théocratie toujours à l’affût.
Slimane Ait sidhoum.
Nadia Wassef, La libraire du Caire, Stock, 2023.