On parle beaucoup de la perversité narcissique car elle est devenue la pathologie du siècle. Mais la manière dont elle est abordée dans le nouveau roman de Camille Laurens, Ta promesse, est très pertinente. Surtout en ce qui concerne la narration et la construction du récit avec des voix multiples ce qui peut dérouter parfois le lecteur. Une polyphonie qui crédibilise le récit et nuance les propos de la narratrice principale. Ainsi, dès l’incipit on est happé par les phrases courtes, les dialogues haletants entre les deux personnages-pivot du récit, comme si on était dans le secret des alcôves d’un théâtre intimiste. Le lecteur suit le déroulement de l’intrigue en invité et en témoin. La célèbre romancière Claire Lancel entraîne le lecteur dans les dédales d’une idylle qui de prime abord semble parfaite. Tout commence alors le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre, pressée par son amie Carole à participer à fêter l’arrivée du nouvel an. Claire remarque un homme qui s’intéresse à elle. Ce dernier devient entreprenant et arrive à lui parler. Sensible au charme de Gilles, elle va succomber en se perdant dans ses bras et passent la nuit ensemble. C’est la naissance d’une romance qui va bouleverser la vie de l’écrivaine et la sortir du marasme de la solitude et des expériences malheureuses. Les rencontres s’enchaînent dans un huis clos heureux, comme si Gilles voulait préserver cet amour de tous les regards et le mettre hors du champ amical et familial. Mais petit à petit, Claire se rend compte avec du recul que Gilles tente de l’isoler et de la couper de tout avec méthode. Après les attentions pertinentes, il passe au travail de sape minutieux. Il lui invente un projet de maison dans la campagne auquel elle souscrit amplement en vendant son appartement et en s’endettant par-dessus le marché. Après l’admiration sans limite, Il ne supporte pas qu’elle soit valorisée à travers son parcours d’auteure à succès, qu’elle écrive en un mot et qu’elle lui vole la vedette. Son activité artistique à lui comme marionnettiste ne le satisfait guère même s’il arrive à collaborer avec L’UNESCO pour pérenniser cette pratique artistique universelle. Il demande toujours plus en la mettant de plus en plus dans des situations kafkaïennes, comme le dit si bien Kundera avec cette sentence radicale : « La punition qui cherche la faute ». C’est-à-dire, il faisait comprendre à Claire qu’elle lui nuisait, sans lui dire comment ? Avec des flash-backs et des rebondissements qui nous rapprochent du vaudeville, Claire Lancel commet l’irréparable. Pour plus d’objectivité, elle abandonne le récit pour faire intervenir différents témoins qui vont parler du couple. Au fil des pages on verra défiler, les anciennes compagnes de Gilles, les copines de Claire Lancel, son éditeur, tout ça complique l’intrigue. Ce qui fait du roman de Camille Laurens un objet déroutant qui oscille entre le thriller et la romance. Mais aussi, un livre qui scrute notre époque avec acuité en permettant aux lecteurs de sortir de cette histoire un peu plus édifiés sur les bouleversements que nous connaissons avec les réseaux sociaux.
Slimane Ait sidhoum
Camille Laurens, Ta promesse, Gallimard, 2025.