Raconter ses parents est un exercice périlleux car ça oscille toujours entre hagiographie et règlement de compte, donner des exemples ne sert à rien. C’est donc avec appréhension que j’ai entamé la lecture du portrait que consacre Marie Nimier à sa maman et intitulé, Le côté obscur de la reine, paru aux éditions Mercure de France. Sans préambule l’autrice nous fait pénétrer dans l’intimité de l’appartement de sa mère, mais avec une forme de pudeur qui fait du lecteur un invité discret et non un voyeur. Un invité qui découvre des scènes de la vie quotidienne d’une vieille dame avec ses manies et ses humeurs. Plaintes et gémissements, soupirs et regrets, fruits du temps qui passe et de la cruauté de la vieillesse. Mais Marie Nimier comme une camérawoman agile déplace sans cesse son objectif pour aller investir d’autres territoires de la mémoire. Forcément dans cette balade on tombe sur l’ombre imposante du père : Roger Nimier avec ses frasques et ses fantaisies, des écrivains d’antan comme on n’en fait plus. Le portrait élargit son champ pour devenir parfois au autoportrait d’une autrice qui au fur à mesure met la main sur des fragments de sa vie d’enfant. Ainsi ces pièces complètent le puzzle d’une biographie qu’elle inscrit dans une histoire familiale tumultueuse. Ce qui attire au fil des pages sans déflorer le contenu, c’est la force des mots. Chaque mot à lui seul devient un souvenir doublé d’un événement, il y a une submersion poétique qui envahit notre âme comme une gratification suprême. Le plaisir du texte dont parle avec brio Roland Barthes on le retrouve incarné dans la prose de Marie Nimier. D’autres acteurs littéraires arrivent dans ce portrait comme des guest-stars. Ainsi, on ne quitte pas la rue des écoles et le collège de France sans évoquer la figure du poète Paul Valéry tombé fou amoureux de la grand- mère de l’autrice. Marie Nimier tel un fin limier retrouve à la bibliothèque nationale la correspondance entre sa mamie et Paul Valéry. Elle en fera une synthèse orale à sa mère pour booster le moral souvent en berne de sa mère. Dans ce côté obscur de la reine, les mots de Marie Nimier illuminent la trajectoire de sa mère avec une bienveillance objective.
Slimane Ait sidhoum.
Marie Nimier, Le côté obscur de la reine, Mercure de France, 2025.