La guerre d’Algérie reste un thème très inspirant pour les écrivains car les traumatismes engendrés s’inscrivent dans la durée et influent sur le présent du pays et ses habitants. C’est ainsi que pour cette rentrée littéraire 2024 en Algérie, même si officiellement elle reste un leurre, on peut lire avec délectation, Le songe de la sieste, de l’écrivain très confirmé « Amin Zaoui ». Ce professeur de littérature arabe à l’université d’Alger est un parfait bilingue qui est très à l’aise dans les deux langues à savoir le français et l’arabe. Auteur prolifique très confirmé, il est aussi le lauréat de plusieurs prix littéraires et ses œuvres sont traduites dans le monde entier. Pour revenir au songe de la sieste qui a été publié au Caire donne la part belle à un personnage charismatique qui répond au nom très significatif « Messaouda Al-Gareh » qu’on peut traduire en français par la « Femme chanceuse, résistante et expérimentée ». Cette femme qui vit dans un petit village de l’ouest algérien « Amane » avec son mari Nouri Hamid, voient la guerre faire irruption dans leur quotidien comme un tocsin pour les réveiller de leur torpeur et d’une routine atavique millénaire. Amin Zaoui raconte avec beaucoup de subtilité quelques luttes intestines et les rivalités qui ont existé entre les moudjahidines de la révolution. Ce qui conduit « Messaouda » à éliminer avec ses propres mains un traître à la cause nationale « Soleimane Laoudj », qui était amoureux d’elle avec l’assistance de son mari. Cette élimination s’est déroulée dans le foyer conjugal et sous l’œil de l’ainé des enfants à savoir Driss. Et, depuis le petit garçon a grandi avec l’image affreuse de la lame de couteau qui trancha la gorge de cet homme controversé du village. Les années passèrent et Messaouda est devenue veuve élevant ses trois enfants toute seule, jusqu’au jour où Driss essaya de reproduire le geste de sa mère sur la personne de sa petite sœur Halima. Exfiltrée de la maison familiale, Halima rejoignit le domicile de son oncle pour la préserver. Jeune fille d’une grande beauté et très portée sur la lecture et l’écriture, ce déménagement lui fit rater son brevet. Mais, sa beauté et son intelligence se firent remarquer par une dame très riche ayant son fils à marier. C’est ainsi, qu’elle convola en juste noces avec Salim le prof de sport en s’installant avec lui à Oran. Halima bascule dans un autre univers en découvrant les charmes et les travers de la grande ville. Son appartement donnant sur le parc de la liberté, elle découvrit de visu les ébats des amoureux qui sont acculés par une pudibonderie chronique ne trouvant refuge que dans les parcs et les salles obscures. Une société postindépendance qui cultive la frustration sous couvert d’une bigoterie exagérée. Amin Zaoui en fin connaisseur de la société algérienne et de son histoire nous fait traverser de façon pertinente toutes ces périodes où l’euphorie révolutionnaire cachait les problèmes et les fléaux sociaux. Les discours lénifiants du régime prenaient le pas sur la lucidité collective et les possibilités de construire un avenir meilleur pour les Algériens. Et, pour clôturer tout ce gâchis, le basculement dans la décennie noire et son lot d’assassinats de civiles, d’artistes et d’intellectuels. Le roman le montre bien au moment où Halima, constate la disparition de son mari qui a rejoint les groupes armés islamistes qui ont semé la terreur. Amin Zaoui a réussi avec « Le songe de la sieste » à nous restituer de façon magistrale et heureuse une saga familiale tragique qui donne un aperçu global sur les bouleversements de la société algérienne et ses mutations depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui.
Slimane Ait sidhoum
Amin Zaoui, Le songe de la sieste, Les éditions Al-Ain, Alexandrie, 2024.