La publication de chaque nouvel ouvrage de l’académicien François Sureau demeure un grand évènement littéraire. Et, plus que jamais on le vérifie avec, S’en aller où l’auteur fait œuvre de salut public en réhabilitant le récit de voyage, un genre qui a été noyé par l’autofiction. Ainsi, dès les premiers chapitres du livre on remonte le temps pour s’installer au dix-neuvième siècle qui est considéré comme l’âge d’or des découvertes géographiques et scientifiques, servis par l’essor des moyens de transports et l’invention de la machine à vapeur. Les distances se raccourcissent et les continents se rapprochent. La maladie du bleu comme l’appelait Théophile Gautier, c'est-à-dire l’appel des ailleurs, devient une contagion qui s’empare des écrivains, des militaires et des différents agents de l’État, les uns poussés par le désir de la découverte d’autres pour gagner des galons et les derniers pour avoir des promotions rapides. Dans cette multitude de voyageurs, émerge la figure de Victor Hugo. Le grand écrivain humaniste ami des pauvres mais aussi ayant foi dans les puissants, se retrouve après les promesses politiques déçues, jusqu’à devoir quitter Paris et sa maison de la place des Vosges pour exercer dans son exil insulaire à proximité des Îles Britanniques son droit à la critique. Le choix fait par François Sureau dit des choses sur ses relations avec certains politiques français n’ayant pas toujours été à la hauteur des espoirs placés en eux. La comparaison s’arrête là pour déboucher sur cette recherche de l’inédit que la plume flamboyante de l’auteur traque, histoire de réhabiliter tous ces auteurs oubliés en exhumant leurs écrits qui recèlent des pépites dignes d’être portées à la connaissance d’un public toujours friand de nouveautés. Que dire alors de ce Louis Garmery, simple marin ayant fait le tour du monde plusieurs fois en évitant l’Amérique. Il avait ramené de ses voyages une pratique avérée de certaines langues africaines et orientales. Les exploratrices ne sont pas oubliées dans ce travail assez exhaustif avec la suédoise Eva Dikson qui est la première femme à traverser le Sahara en voiture. Elle épousera plus tard au Kenya Bror Von Blixen et finira comme personnage peu reluisant dans le célèbre roman de Karen Blixen « Out of Africa » où on verra apparaître la sublime Meryl Streep dans le film adapté du roman éponyme. On pourra multiplier les exemples mais il faut laisser au lecteur de découvrir par lui-même en se plongeant dans ce texte formidable. L’auteur n’oublie pas ces européens partis en Inde et au Tibet pour donner aux langues autochtones les assises théoriques qui les sauveront de l’extinction. Par ailleurs François Sureau redonne vie à Huysmans, l’auteur dont les personnages sont casaniers mais qui grâce à l’imagination, inventent des évasions salvatrices. Et, pour terminer ce tour du monde l’auteur met en avant les retraitants, ces hommes et femmes qui trouvent refuge dans les monastères, histoire de se ressourcer ou en quête de tranquillité spirituelle et mystique. François Sureau trouve les mots justes pour dire l’utilité de ces abris de la foi : « Le silence ne désignait pas l’absence de bruits, mais la disparition de l’inutile. » C’est le voyageur P Leigh-Fermor qui en publiant son livre, Le temps des offrandes, a suscité toutes ces vocations de renouer avec la foi. « S’en aller » de François Sureau se lit comme un récit de voyage moderne, servi par le savoir encyclopédique de l’auteur et sa plume alerte réveillant chez les lecteurs, le voyageur qui sommeille en eux.
Slimane Ait sidhoum.
François Sureau, S’en aller, Gallimard, 2024.
Le labyrinthe de la mémoire