Les accidents de la parole sont tout autant mortels
Quelle que soit la nature du pouvoir ou du régime, elles sont toujours trois : la stratégie de prise du pouvoir, la stratégie de l’exercice du pouvoir et la stratégie de sortie du pouvoir.
La première participe de l’offre politique, plus prosaïquement désignée projet de société mais qui est plutôt un package puisqu’en plus du projet, il y a le programme de gouvernement.
La seconde, elle, est une description quantifiée et chiffrée de la procédure de la mise en œuvre matérielle et temporelle du projet de société. Ici, le néophyte comprendra tout simplement qu’il s’agit de « ce qui sera fait », « comment ce sera fait », « dans quels délais », « avec quels moyens » et pour « quels résultats ».
Quant à la dernière, elle relève tout simplement de la transmission du pouvoir puisque irrésistible a toujours été la tentation de laisser, pour ainsi dire, le fauteuil à quelqu’un de sûr. C'est-à-dire irréprochable dans la compétence et insoupçonnable dans le patriotisme.
L’accession au pouvoir reste, avant tout, une question de préparation et demande un minimum d’organisation. La providence n’ayant que rarement constituée un facteur classique d’accession au pouvoir. Le panurgisme encore moins.
Et pourtant, au Gabon, l’une et l’autre tendent à devenir des concepts d’accession au pouvoir. La preuve nous a été donnée en 2009.
Car si les ambitions de Monsieur Zacharie Myboto étaient connues depuis 2001, celles de Messieurs Jean Eyeghe Ndong, Casimir Oyé Mba et André Mba Obame étaient du domaine du soupçon puisque seul Monsieur Ali Bongo Ondimba était fréquemment indexé aussi bien par une presse dont on découvrira la véritable ligne en 2009, que par certains de ceux qui passaient pourtant pour ses « frères ».
Au terme des primaires au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), le constat sera unanime : seuls Messieurs Casimir Oyé Mba et Ali Bongo Ondimba disposaient d’une offre politique. Les autres prétendants n’avaient fait qu’égrener une litanie d’intentions et de souhaits, traduisant parfaitement ce qui mérite aujourd’hui le qualificatif un peu barbare de « fièvre panurgiste ».
Il faut le reconnaître, la tangente prise par celui qui était encore le camarade André Mba Obame pour éviter les primaires, a été une belle manœuvre politique. Parce que habile, elle l’a été ; et efficace, elle l’est restée. Du moins jusqu’à la validation des candidatures.
Il reste que la campagne électorale et surtout le passage des candidats à la télévision, lors de l’émission « Débat », va révéler l’inexistence d’une offre politique dans la stratégie du candidat André Mba Obame.
Dividendes successorales
Aux journalistes qui viennent le rencontrer à son domicile pour préparer l’émission, le candidat et son équipe seront proprement incapables de présenter un simple bout de papier. Seule une laconique promesse de transmission imminente d’un projet de société que l’on disait, avec malice, être à l’impression.
Jusqu’à ce jour, force est de constater que l’offre politique de Monsieur André Mba Obame n’est toujours pas sortie du marbre. Pour autant, l’honnêteté de tout observateur averti de notre environnement politique ne peut sérieusement se risquer à méconnaître que l’ancien ministre de l’Intérieur se préparait à succéder à Omar Bongo Ondimba. Sauf que son schéma n’avait jamais été celui des urnes.
En introduisant, un peu comme en Bourse, sa nièce, il comptait en tirer les dividendes successorales tant pour lui la valeur de son investissement était nettement supérieure à celle de son concurrent Zacharie Myboto. Ce dernier ayant fait faillite avec la nouvelle situation de sa fille, suite à la sortie de l’intéressée de cette drôle de Bourse.
Pour singulier qu’il fut, le cas de Monsieur Jean Eyeghe Ndong n’échappe cependant pas à cette approche plus ou moins monarchiste d’accession au pouvoir. En plus du fait que c’est par suivisme qu’il s’est lancé dans la course, le dernier Premier ministre d’Omar Bongo Ondimba ambitionnait, tout autant que Messieurs Zacharie Myboto et André Mba Obame, de succéder au défunt Président de la République.
Avec cette particularité que lui, il comptait plutôt sur un renvoi de l’ascenseur. L’absence de son offre politique ainsi que la vacuité de son exposé à Louis, lors des primaires, ne s’expliquent pas autrement.
Pour lui, en le nommant Premier ministre au crépuscule de son règne, Omar Bongo Ondimba était en train de rendre un hommage à son prédécesseur. Mais un hommage qui devait aller au-delà de la simple Primature puisque devant se hisser au firmament d’une sorte de tontine politique entre les deux familles.
Bref, dans l’entendement de Monsieur Jean Eyeghe Ndong et pour parler facile, c’était le tour des Léon Mba. Son opposition à la stricte application des dispositions de l’article 11 de la Constitution ainsi que sa démission de la Primature, tenaient et continuent de tenir de cet état d’esprit.
Après leur échec au lendemain de la présidentielle de 2009, ces trois personnalités ont donc eu bonne raison de se retrouver dans une chapelle où seul Monsieur Casimir Oyé Mba était en véritable position de nématode.
Parce que leurs méthodes d’accession au pouvoir sont radicalement opposées. Même si de la succession monarchique à la mode du temps d’Omar Bongo Ondimba, le trio vient d’épouser la stratégie insurrectionnelle.
Cela alors que l’ancien gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale croit à l’adhésion, par les urnes, de la majorité à une offre politique.
Et c’est justement cette absence totale d’intersubjectivité entre ses leaders qui a conduit à l’implosion d’une Union nationale sans offre politique, hormis l’invective, la xénophobie, le racisme, l’essence et les allumettes. Et voilà que le politologue Guy Nan Bekale vient à la rescousse de cette luzernière qu’est l’opposition gabonaise avec une antithèse impressionnante.
A notre thèse de l’offre politique, Monsieur Nan Bekale nous oppose l’âge et la longue expérience professionnelle de ces personnalités. Ainsi, nous apprenons que l’adhésion à un parti politique obéit à l’âge et à la longue expérience professionnelle de ses leaders. Aussi nous préférons nous éviter deux insolences à l’endroit de notre aîné Guy Nan Bekale.
En effet, il serait irrespectueux de notre part de lui rappeler que la gérontocratie n’est pas une valeur sure lorsqu’on s’est fixé l’objectif de rattraper le développement. Pas plus qu’une longue expérience professionnelle ne saurait constituer une garantie de compétence absolue.
Nous le disons aujourd’hui comme nous aurions pu affirmer hier que le kidnapping du Consul général de France à Port-Gentil et son isolement forcé dans les lacs ne sont pas une offre politique. Mais on peut comprendre cette intercompréhension entre le pyromane repenti de Port-Gentil et les néo-pyromanes de Cocotiers.
Dissidence alimentaire
Cependant et concernant toujours l’opposition gabonaise, une question persiste : pourquoi notre pays est le seul en Afrique à avoir une opposition uniquement constituée d’anciens barrons du régime, dont la grande majorité sont d’anciens ministres ?
Il faut d’abord relever ce classique qui fait que l’on ne rejoint les rangs de l’opposition qu’au moment où l’on n’a plus aucune responsabilité. Administrative ou élective.
C’est indéniable, depuis 2009, chacun de tous ces néo-opposants n’a traversé la ligne qu’une fois ses fonctions perdues. A partir de ce moment il est difficile, voire impossible de faire la démonstration que ces repositionnements sont d’essence idéologique ou qu’ils participent d’une communion de vue pour une gouvernance partagée. Car, en vérité, il s’agit tout simplement d’un conflit d’intérêts. Et voici pourquoi.
Leurs références calendaires ainsi que les fonctions qu’ils ont occupées sous Omar Bongo Ondimba faisaient d’eux, ainsi qu’ils le revendiquent d’ailleurs, des piliers ethniques sur lesquels le défunt président s’est appuyé pour asseoir son pouvoir. D’où ils sont persuadés que la stabilité que le Gabon a connue est de leur fait.
Et sans cette stabilité, nous n’aurions pas connue une transition aussi apaisée comme celle que nous avons vécue en 2009 et qui a permis à Monsieur Ali Bongo Ondimba d’accéder facilement au pouvoir. Par conséquent, le chef de l’Etat leur est redevable.
Comprise sous cet angle, une telle rupture ne saurait alors constituer une opposition au sens politique du terme puisqu’il existe une expression bien appropriée pour la désigner : la dissidence alimentaire.
Et il n’y a rien de péjoratif à le dire dès lors qu’il s’agit d’une simple manifestation en vue de réclamer la restauration des privilèges perdus. Quitte à user du chantage afin de faire passer au chef de l’Etat le message selon lequel autant ils ont garanti la stabilité du régime durant ces dernières décennies, autant ils peuvent le déstabiliser s’ils ne sont pas rétablis dans leur « dignitariat ».
Ce système qui leur permettait de porter le titre, quoique loufoque, de « ministre à titre personnel » afin de jouir et d’abuser, en toute légalité et en toute impunité, des ors de la République.
La meilleure illustration qu’il ne s’agit pas d’une rupture idéologique mais bien d’une dissidence alimentaire, nous a d’ailleurs été donnée par Jean Ping : « Je vous dirais simplement que mon horizon c’est l’alternance et le changement. Et pour cela, je suis aux côtés d’autres Gabonais qui combattent dans ce sens. La priorité, à mon sens, ce ne sont pas les projets politiques que peuvent nourrir les uns et les autres, mais plutôt la libération du Gabon. Il faut que le Gabon revienne au Gabonais » (« La Une » n°109 du lundi 24 mars 2014).
Ainsi parle celui qui a occupé les prestigieuses fonctions de président de la Commission de l’Union africaine. La Saint-Barthélemy A lire ces propos, on comprend aisément le dédain que Jean Ping a pour « les projets politiques ». Son incapacité à en concevoir ne date pas d’aujourd’hui puisque déjà en arrivant à la tête de la Commission de l’Union africaine, il n’en avait pas.
Ce n’est d’ailleurs pas lui qui avait été plébiscité mais plutôt Omar Bongo Ondimba. La preuve en est que sans Omar Bongo Ondimba il n’a pas été capable de se faire réélire. Et même lorsqu’il s’est retrouvé candidat unique, c’est-à-dire sans adversaire, il n’a pas été en mesure de gagner l’élection.
La raison de cet échec est qu’il n’avait aucun projet, à part pleurer Kadhafi et Gbagbo. Et voilà que l’ancien ministre des Affaires étrangères en vient à créer deux races de Gabonais : « Maixent Accrombessi et consorts », c’est-à-dire les étrangers, et les autres Gabonais.
Autrement dit les Gabonais purs et les Gabonais impurs. Appeler ensuite à « la libération du Gabon » n’est pas moins préparer une Saint-Barthélemy afin d’opposer, dans un conflit sanglant, le clan des Guise à celui des Châtillon-Montmorency.
Avec lui-même dans le rôle de Charles IX. C’est ici que le criticisme de Kant, avec toute la noblesse de la valeur absolue de la loi morale, est confronté à une brutalité inqualifiable.
Car, finalement qui est Gabonais ?
Pour nous c’est celui qui a la nationalité gabonaise. Si nous pouvons faire l’effort intellectuel de l’admettre, nous accepterons alors que les personnes que cite Jean Ping ne sont pas des étrangers mais des Gabonais.
Et la nouveauté de la nationalité ne saurait constituer juridiquement ou politiquement un argument de limitation de leurs droits, pas plus que de leurs devoirs.
Là où nous sommes tentés de croire que Jean Ping a réellement perdu le sens de la valeur absolue de la loi morale c’est lorsqu’il ose épouser le mensonge pour affirmer que la nationalité de ces compatriotes est « récente » alors qu’il sait parfaitement que celle de la personne qu’il a cité nommément date de 1991et qu’elle ne lui a pas été accordée par Ali Bongo Ondimba mais par Omar Bongo Ondimba.
Lorsqu’on prétend avoir « trop » de « respect » pour « la mémoire » d’un « illustre disparu », la moindre des choses c’est quand même un minimum d’égards à l’endroit des actes qu’il a posés.
C’est d’une indécence de venir ainsi chosifier un décret qu’Omar Bongo Ondimba a signé, surtout lorsqu’on sait, comme l’ancien directeur de cabinet Jean Ping, la méticulosité et la rigueur qui habitaient ce grand homme d’Etat.
Comment, après avoir écouté Jean Ping, ne pas se souvenir de ces paroles de Philippe Valode : « C’est que la trahison est duale : elle consiste à tromper celui qui vous a fait confiance tout en se découvrant soi-même, en laissant apparaître sa vraie nature ».
Journaliste Raphaël Ntoutoume Nkoghe