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Billet de blog 1 avril 2025

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Femmes et autistes, face au paradoxe, la double peine

Dans le cadre de la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, ce 2 avril, ouvrant le mois consacré à l'Autisme, aussi appelé « Avril en bleu «, j'ai rédigé ce billet afin de mettre en exergue le paradoxe auquel sont confrontées les femmes porteuses d'un TSA dans notre société.

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À quoi sont confrontées les femmes porteuses de TSA dans notre société ? Femmes et autistes, face au paradoxe, la double peine.

On les dit timides, décalées, inadaptées, bizarres, froides, hautaines ou au mieux originales. Or, il s'agirait plutôt de les appeler « les invisibles ». Les femmes présentant un TSA sont souvent moins visibles que leurs homologues masculins qui partagent pourtant la même condition autistique.

Le TSA, Trouble du Spectre Autistique, est un trouble neuro-développemental caractérisé par un fonctionnement cérébral différent impliquant des altérations de la communication sociale, des intérêts restreints ou inhabituels, des modes répétitifs de comportement et des sensibilités sensorielles particulières.

En gardant à l'esprit qu'il s'agit là de l'expression d'une diversité, et non d'une division genrée ou sexiste, il faut bien saisir que la condition de femme se juxtapose à celle d'autiste, avec ses spécificités et ses implications qui lui sont propres. Cette différence s'explique notamment par des habiletés sociales plus développées, et un camouflage social plus efficient, des passions plus socialement acceptables, qui engendrent par conséquent moins de diagnostics et plus tardifs. On compte toujours actuellement quatre garçons diagnostiqués pour une fille. Des aptitudes qui finissent donc par les desservir. En effet, en endossant un faux-self épuisant et approximatif, elles créent par ailleurs des attentes de normalité. Les femmes sont donc placées devant le paradoxe suivant : elles seraient à la fois trop femmes pour être (paraître) autistes, et trop autistes pour investir pleinement le rôle qui revient aux femmes avec toutes les implications et sa cohorte d'obligations inhérentes à la maternité ou à la carrière professionnelle, que celui-ci peut revêtir dans notre société hétéronormée. Un paradoxe souvent insoluble, sur lequel elles butent, et une condition qui ne devient patente qu'à condition de chausser les bonnes lunettes, d'où l'importance d'une sensibilisation au croisement du féminisme et de la psychologie, à l'intersection du politique et de l'intime.

Au quotidien, les femmes ayant un TSA doivent se débattre avec un accès moins intuitif et immédiat à leurs corps, à leurs perceptions, à leurs ressentis et à leurs émotions. Un passage par l'intellect qui complexifie l'allant de soi, une maladresse sociale plus ou moins évidente, mais non moins stigmatisante, auxquels s'ajoute un défi organisationnel de chaque instant qui finissent tôt ou tard par leur faire rencontrer, comme aux hommes, certaines difficultés d'accès et de conservation d'un emploi.

Bien que toutes leurs difficultés ne soient pas forcément à mettre sur le compte de leur autisme, n'y étant pas réductibles, elles entretiennent un rapport au corps complexe : que ce soit par le soin, les cosmétiques, les vêtements, le parfum, l'injonction à une esthétique normée met souvent les femmes porteuses d'un TSA en difficulté à cause de leurs hypo ou hyperesthésies.

On relève par ailleurs, entre autres comorbidités auxquelles elles sont confrontées : troubles anxio-dépressifs, du sommeil, tca, toc, tdah, intolérances alimentaires, endométriose, syndrome d'Ehlers-Danlos, fatigabilité accrue, dyspraxie, troubles de la proprioception. On note également une vulnérabilité aux addictions, ainsi qu'aux abus sexuels, comme le rappelle la chercheuse Adeline Lacroix dans son ouvrage L'autisme au féminin (2023) lorsqu'elle évoque l'autisme discret, le camouflage et ses conséquences. Elle nous donne ainsi l'explication suivante du médecin psychiatre David Gourion : « on observe alors une plus grande vulnérabilité face aux prédateurs sexuels, probablement du fait de leur naïveté sociale et de leur volonté d'être acceptées et intégrées ». Mais cette vulnérabilité s'étend aussi aux relations d'emprise, de manipulation, de harcèlement, pouvant mener jusqu'aux burn out, qui sont parfois l'occasion de mettre en lumière un TSA longtemps ignoré.

Devant la complexité qui résulte pour elles des relations interpersonnelles telle que poser des limites qui soient claires, maîtriser les codes sociaux... des questionnements quant à leur place dans la société, ou d'identité peuvent surgir. Mais ce sont le plus souvent des sentiments d'échec, de culpabilité et d'inadéquation qui naissent face aux injonctions sociétales décuplées et la difficulté qui est la leur d'y répondre de façon commune. Il convient alors d'insister sur leurs forces, qui sont souvent leurs passions, et qui devraient être davantage valorisées, mais aussi une rigueur et une capacité attentionnelle parfois hors norme, une exigence, une créativité et une approche originale. Autant de particularités qui font observer à l'autrice autiste Rudy Simone dans L'Asperger au féminin, paru en France en 2015, que « La femme Asperger a beaucoup à offrir et sa profondeur et ses dons sont d'une grande valeur. » Sans négliger un autre aspect des intérêts restreints qui est celui de procurer une récupération et une régulation émotionnelle et sensorielle. Il serait alors opportun de s'accorder sur la nécessité d'un espace temps dédié inaliénable afin de s'y adonner.

Les neurosciences ont, en effet, élaboré la « théorie du monde intense » (Markram et Markram, 2010) qui par son nom nous éclaire sur l'hyperstimulation avec laquelle les autistes doivent composer au quotidien et le repli que celui-ci impose au risque d'un épuisement généré par le stress des hyperesthésies et des interactions sociales ordinaires. L'analogie du comédien épuisé à la fin de sa représentation aurait également toute sa place afin de se figurer cet état que connaissent tous les autistes soumis à un environnement non adapté. Dans son essai Anthropologie des émotions (2021), le sociologue David Le Breton (§ « de la comédie sociale ») cite le metteur en scène et dramaturge Eugenio Barba à propos du « gaspillage d'énergie » dont doit faire preuve un bon comédien, ainsi que « la formule japonaise pour saluer le comédien :  otsukaresama qui signifie « tu es fatigué ». Le comédien est un homme de la dépense, du travail sur soi, qui s'oppose en ce sens à l'homme ordinaire qui n'est pas astreint à composition et se contente d'être lui-même » poursuit Le Breton.

Parfois, afin de rompre cet isolement nécessaire, mais désocialisant, des groupes de pair-aidance ou d'entraide mutuelle (GEM) se constituent. Ils participent d’une même recherche identitaire et d'appartenance, et permettent aux usagers de connaître une résonance dans leurs fonctionnements et leurs idiosyncrasies, apportant un peu de répit et de réassurance dans des sociabilités entravées. Des questions d'affirmation de soi, intrinsèques à la condition autistique, y sont travaillées, et des actions de sensibilisation, menées, constituant ainsi les premiers pas vers la gageure immense que représente l'acceptation de soi, mais aussi celle de se faire accepter tel que l'on est.

Une évolution des représentations dans une société plus inclusive, plus juste et plus ouverte aux différentes formes d’intelligences et d’interactions avec les autres qui la composent et en font sa richesse qui se fera dès lors que l'on écoutera les principales intéressées : les femmes autistes qui non seulement parlent, mais qui ont des choses à vous dire, pour paraphraser Julie Dachez, autrice de la B.D La différence invisible.

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