Dans cet établissement qui tenait du goulag, je me souviens de cette élève, au demeurant d'assez bonne volonté, mais avec de grandes difficultés à l'écrit, à qui on avait donné jusque-là de très bonnes notes pour la simple et bonne raison qu'elle était, parmi ses camarades, la plus investie dans ses études. Je ne pus pas dire à son conseil de classe que l'écrit était très problématique, on ne me laissa tout simplement pas parler. D'aucuns me firent même le procès d'un manque de « bienveillance » (terme désormais complètement galvaudé et que j’exècre, au même titre que « compétences » et « réussite », qui constituent pour moi la sainte trinité noire de l'école d'aujourd'hui) dont j'aurais fait preuve. En effet, depuis que j'étais arrivée, les notes étaient « trop basses » en italien. Les élèves étaient restés quatre mois sans professeur d'italien, leur niveau était catastrophique, et c'est vers le professeur accédant qu'on se tournait alors, sans que personne ne s'en offusque. Je n'avais jamais vécu situation plus absurde. J'ignore combien partageaient mon indignation ce soir-là, mais ce que je vis, c'est que ceux qui prenaient la parole s'évertuaient à nier la prégnance et l'ampleur de la catastrophe en cours.
Parmi les choses qui concourent au naufrage des aptitudes langagières et par conséquent scolaires des élèves, il nous faut citer encore certains choix organisationnels ineptes. J'ignore par exemple qui avait décidé de cette classe en double niveau que j'eus la seconde année, cinquième et quatrième, mais il ne pouvait y avoir aucune raison pédagogique vraisemblable. Qui avait bien pu penser que regrouper des primo débutants sans aucune notion d'italien et des élèves ayant déjà une année d'apprentissage fut une bonne idée ? S'il s'agissait de regrouper des élèves, il aurait mieux valu, selon le bon sens, mettre ensemble les élèves de quatrième et de troisième, de ce fait ces derniers auraient été moins pénalisés par quelques révisions et les quatrièmes auraient pu suivre un tant soit peu les cours s'adressant en priorité aux troisièmes. J'avais de surcroît dans cette classe, deux élèves en situation de handicap relativement lourd, la somme de travail pour ce seul groupe se révéla vite colossale. Bien entendu, personne n'avait pris la peine de m'avertir de la présence de ces deux élèves aux profils bien particuliers que je découvris par moi-même le premier jour de mon remplacement.
En terme d'extravagance pédagogique, quid encore de ce surveillant qui me retourna un élève alors que je l'avais renvoyé de cours pour insolence répétée ? Au dire de l'élève, il n'avait bien entendu « rien fait », et on jugea bon de le croire en première instance, et sans contradictoire par ailleurs. Je dus en référer au CPE, auquel je m'étais déjà maintes fois adressée, et qui me parut, quant à lui, totalement démissionnaire.
Parmi les maintes choses qui participent de cette destruction de l'autorité morale et intellectuelle de l'enseignant, on peut parler bien évidement du carnet de texte en ligne. Je mis un point d'honneur à ne jamais le remplir, n'en voyant pas l'utilité, sauf en cas d'absence bien spécifique d'un élève, et fort heureusement personne ne vint me demander de le faire expressément. Au moyen de cet « outil numérique », les élèves se voient dispensés d'écrire leurs devoirs dans leur agenda sous prétexte que ceux-ci seraient notés en ligne, alors qu'un temps à la fin du cours est prévu à cet effet et fait surtout partout de l'autonomisation des élèves, en plus d'être un exercice en soi en italien. Ce recours accru au numérique, loin d'être une aide, se révèle être la plupart du temps une série d'obstacles à franchir afin d'arriver à la seule tâche d'enseignement à laquelle on devrait pouvoir consacrer tout son temps. C'est la raison pour laquelle il m'arriva également de relever assez souvent les absences sur une feuille, et parfois même un peu malgré moi. En effet, lorsque l'on est en poste sur deux établissements, il s'agit de retenir les mots de passes des ordinateurs -différents selon les salles-, ceux de Pronote de chaque établissement, ceux des photocopieuses..., soit parfois six ou huit codes différents, à garder notés en permanence sur soi. Alors que je commençais le cours dès mon arrivée devant les élèves et ne pouvais attendre que l'ordinateur s'allume... au risque de perdre l'attention des élèves et du temps de cours tout simplement, je bloquais bien souvent les ordinateurs en tentatives diverses ; ce qui me fit douter de mes capacités cognitives, comment font les professeurs pour faire cours et s'occuper de l'appel numérique conjointement ?
Parmi les outils censés nous aider, mais qui en réalité ne participent pas d'un quelconque progrès ni pour l'enseignant ni pour les apprenants, il y a ce tableau blanc. Moi qui n'ai pas connu le tableau noir en tant que professeur mais seulement en tant qu'élève de primaire, je fis l'expérience malheureuse de ce manque de résistance à la matière qui me fit écrire non plus en italien, mais en hiéroglyphes. Je demandai toutes les semaines pendant quatre longs mois des crayons à pointes biseautées qui atténuent un peu ce phénomène, je les reçus finalement quelques semaines avant la fin de l'année...
J'avalise également le constat sur le phénomène de la salle des professeurs transformée en salle de repos et du micro-ondes qui a éteint le feu sacré, il est bien national. Les professeurs qui ont le sac rempli de tupperwares, mais qui n'ont plus ouvert de livres depuis des années, sont devenus légions.
En tant que remplaçante, il est aisé d'observer le travail des autres, et a fortiori en ce qui concerne l'usage fait ou non des programmes et manuels scolaires. Je constatai dans tous les établissements où je fus amenée à intervenir que les professeurs de langues faisaient travailler leurs élèves sur des documents disparates, sans progression claire ni repères, c'est-à-dire sans manuels scolaires. Il s'agit de leur liberté pédagogique, j'en conviens, mais je ne trouve en aucun cas que l'apprentissage en soit ainsi facilité. Je dirais même a contrario que les élèves qui voudraient feuilleter un manuel et par conséquent s'avancer ou se confronter à des exercices plus simples ou plus difficiles, en sont empêchés à mon sens, leur autonomie est ainsi mise à mal et leur épistémophilie s'en trouve par là même écornée.
Suite et fin demain, au dernier épisode...