Mais le point d'orgue de mon expérience jusqu'à présent fut sans doute ce courrier que je reçus suite à ce refus. Un courrier qui spécifiait qu'en l'absence de visite de l'inspecteur, mon travail avait reçu un avis « très défavorable », et que le chef d'établissement corroborait cet avis. En premier lieu, de quel directeur parlait-on puisque je travaillais dans deux collèges différents, cela n'était pas spécifié. Ensuite, cet avis négatif a priori donnait à voir, sans plus de retenue aucune, l'étendue des préjugés à l'endroit de l'enseignant. Un postulat analogue serait-il toléré pour un médecin qu'on présupposerait nocif pour ses patients en l'absence de « contrôle » par un tiers ? Pourquoi un professeur se verrait-il d'emblée attribuer un déficit de probité morale et intellectuelle ? Pour couronner le tout, il était ajouté qu'un document destiné à Pôle Emploi était joint à ce courrier, or l'enveloppe était vide, celui-ci avait été oublié... Tout était dit. Je décidai dans un premier temps de répondre à ce courrier infamant, mais n'en fis finalement rien, qu'y avait-il à répondre à de pareilles allégations sans paraître se justifier pour quelques forfaits imaginaires imputés à la hâte ?
Je mis toutes ces atteintes répétées à mon intégrité morale sur le compte de mon « statut » de remplaçante, mais cela ne me parut pas plus « légitime », je faisais un travail équivalent, à diplôme équivalent ou supérieur à certains de mes collègues plus âgés, et mon investissement fut même remarqué par rapport à celui de mes prédécesseurs, au dire des élèves eux-mêmes. C'est ainsi que par exemple des élèves d'une classe de terminale du meilleur établissement dans lequel je fus amenée à travailler me témoignèrent leur gratitude pour le savoir que je leur avais apporté. En effet, la veille de mon départ après un remplacement de quelques semaines, un groupe d'élève vint me remercier à l'issue du cours pour me dire simplement « merci, grâce à vous nous avons beaucoup appris ». C'est également le seul établissement où la direction me témoigna une réelle reconnaissance, et cela est suffisamment rare pour être relevé.
Bien sûr, les moments de grâce ne manquèrent pas, comme avec cette classe de quatrième à qui je fis écouter cette chanson italienne médiévale ornée de clavecin (pour la plupart, il s'agissait de la découverte de cet instrument) qui mit la classe en heureuse suspension et fut redemandée à chaque cours par la suite. Je peux ainsi dire, au sortir de ces deux années, que cette expérience fut très riche humainement et qu'elle se révéla être une belle aventure malgré tout, abstraction faite des à côtés administratifs déjà évoqués et qui empêchent au lieu de favoriser ce beau et admirable travail de transmission.
Je constate également que toutes ces réalités décrites, qui ne sont en rien anecdotiques, sont trop souvent amalgamées comme telles. En effet, l'impact profond de tels dysfonctionnements, de ces agissements itératifs et délétères à l'endroit des enseignants, et la perte de sens qui en découle ainsi que le sentiment d'impuissance engendré sont incompris et généralement méconnus des personnes extérieures au monde enseignant. Ainsi faut-il s'atteler à les mettre au jour afin d'espérer de réelles prises de consciences et des changements structurellement opérants.