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Billet de blog 5 juillet 2010

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Une rencontre avec Nasser Shamma, le maître de oud

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NASSER SHAMMA est aujourd'hui l'un des plus grands virtuoses du oud, le luth arabe. Il a l'aura et l'élégance des princes d'Arabie, mais c'est un Irakien intimement meurtri, que les tragédies de l'histoire récente ont grandi. L'artiste entretient un lien érudit avec la tradition musicale savante, mais il aime à rappeler qu'il se nourrit de toutes les formes de beauté et apprécie beaucoup celles des arts plastiques, par exemple.

Lorsque je me présente dans son sanctuaire, la Maison Arabe du Oud, la porte du bureau est fermée : c'est l'heure de la prière, le musicien se recueille. Je suis en plein coeur du Caire fatimide, dans le quartier populaire d' El Darb El Ahmar. Ici les ruelles sont encore envahies par les relents pestilentiels du marché, les jacassements de volailles affolées, les rugissements hystériques de mobylettes. Je descends les marches étroites d'un escalier de pierre et fais quelques pas dans cet établissement magnifique où il a fondé son école de musique. Cette année, elle fête son dixième anniversaire.

Les murs historiques de la Maison Arabe du Oud en disent déjà beaucoup sur l'homme : situé dans l'angle d'une placette, c'est un havre inattendu de paix et de beauté en plein coeur de la cohue et de la pollution. Nasser Shamma aurait pu fonder un institut ailleurs, les demandes pleuvaient, notamment des plus grandes capitales européennes. Mais il a choisi le monde arabe.

Bien que le ministère de la culture égyptienne lui proposât plusieurs locaux resplendissants de modernité, l'artiste a aimé cette bâtisse ancienne, qui lui a inspiré de nombreuses compositions. Il y voit le vestige d'un monde raffiné dont il se veut l'héritier visionnaire. Nasser Shamma s'est ainsi concrètement engagé dans un rêve de société où s'épanouirait une tradition musicale arabe moderne : “La culture, l'art et la musique sont les seuls moyens de construire un citoyen libre, capable de choisir son propre chemin dans la vie.

Le loquet de la porte s'est ouvert, la silhouette gracieuse et élancée d'un homme au regard de faon apparaît. Le maître sourit et me souhaite bienvenue d'une voix très douce, presque timide. Je suis confondue par la simplicité et la modestie de son accueil : “Ici, nous proposons aux étudiants une formation intensive de deux années. Ils peuvent se perfectionner, mais aussi apprendre d'autres instruments tels que le nay, les percussions et le qânoun. Si vous êtes absolument débutante, il vous faudra cependant commencer votre apprentissage en prenant des cours à l'opéra du Caire. Au bout de quelques mois d'initiation, vous pourrez nous rejoindre…”

Cela semble si simple, je n'en reviens pas… Comme nous sommes loin des protocoles ampoulés et souvent dissuasifs des conservatoires ! Ici la nécessité de partager un amour de la musique traditionnelle, la volonté de la transmettre et de lui donner un second souffle de modernité, deviennent une raison supérieure et balaient tout snobisme inutile.

Nasser Shamma est un artiste d'exception, et mieux encore, un homme d'exception : il s'est plongé dans les manuscrits médiévaux du philosophe El Farabi ( le maître à penser d'Avicenne), s'en est inspiré pour créer un instrument nouveau, doté de huit cordes. Il a aussi inventé une technique qui permette à des personnes handicapées d'une main de jouer du oud. “Mes rêves vont bien au-delà de ma propre nationalité arabe, ils sont bien plus que cela, de fait beaucoup plus que cela…

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