Vendredi 4 juin, j’ai reçu un message de Géraldine Delacroix super sympa :
« Chère Sofisafia
Comme vous pouvez le lire dans ce billet, nous organisons le 14 juin le dernier «lundi de Mediapart» de la saison, avec l'ambition de mettre en valeur le Club et ses contributeurs. Après la projection du film de Naruna Kaplan de Macedo, nous souhaitons réunir quelques-uns d'entre vous autour d'elle afin de discuter du Club, de ce qui marche et de ce qui marche moins bien, des améliorations à apporter...
Nous avons pensé à vous pour rejoindre Naruna à la tribune, si bien sûr vous pouvez vous libérer et surtout si vous en avez l'envie.
Dans l'attente d'une réponse, bonne fin de journée,
Géraldine Delacroix »
Je suis surprise, ravie, enchantée. Je me dis : "Wouah, je vais voir les gens du journal, Naruna et y aura peut-être des abonnés avec qui j’ai discuté ! "… Mon copinet[1]me dit souvent que je suis impulsive et trop facilement enthousiaste. Il a raison. C’est mon côté Bécassine du Ch’nord, sans doute. Mais, que voulez-vous, je préfère être un peu bécasse plutôt que blasée. Donc, je reçois le message de Géraldine D., je reprends mon souffle pendant deux jours et, le dimanche, je lui réponds le cœur battant :
"Bonjour Géraldine Delacroix,
Je viendrai avec grand plaisir au lundi de Mediapart, le 14 juin. Je tenterai de rejoindre aussi Naruna à la tribune, comme vous m'y conviez.
Remerciant votre équipe d'avoir pensé à moi , je vous souhaite un bon lundi à tous "
Le lundi, je griffonne l’adresse du rendez-vous sur mon calepin, jette un coup d’œil sur le plan de Paris et je prends la voiture, dans l’après-midi. C’est parti pour 400 km aller-retour et 29, 20 euros de péage. Je me dis : "C’est chouette, tu vas passer une belle soirée, enrichissante, tu vas voir la tête des gens, tu vas mieux les connaître, et tu seras encore plus motivée pour participer au club !"
Arrivée à Saint-Ouen où j’ai mes habitudes, je me gare. Je fais une pause internet et je parcours à nouveau le blog de Naruna Kaplan de Macedo consciencieusement. J’en avais déjà commencé l’exploration dimanche, mais je voulais réviser ma leçon pour être bien prête au moment convenu. Il faut dire que je partais de loin car je ne connaissais pas du tout Naruna auparavant. Ca s’annonçait décidément bien cette rencontre : c’est avec grand plaisir que je découvrais tous les billets qu'elle avait édités en 2009-2010, sans avoir le temps d’aller plus loin cependant, car il ne fallait surtout pas être en retard ! J’arrive à Confluences, avec 30 mn d’avance. Je m’assieds sur un banc, boulevard Charonne. J’ai les tempes en tempête. Comme tous les gens follement intrépides très ponctuellement, je suis une grande timide la plupart du temps. J'ai le trac. J’y vais, j’y vais pas ? J’attends une quinzaine de minutes et je me propulse soudainement de mon banc pour me diriger enfin vers la porte d’entrée.
Je regarde autour de moi. Y a un bar, des gens qui boivent un verre de vin, des tables et des gens sur des chaises qui lisent le journal offert par Mediapart à l’entrée. J’en prends un aussi, et je m’assois sur les marches d’un escalier, sur le côté. C’est un bon poste d’observation. De là, je peux suivre le parcours de Sophie Dufaud qui prend en photos les abonnés. Je vois une jeune femme qui tente de retenir des gens trop pressés d’entrer dans la salle de projection. Quelqu'un l'interpelle : "Elif", me semble-t-il. "Elif kayi", peut-être ? Edwy Plenel arrive, la moustache en étendard, les yeux pétillants. Un jeune homme passe devant moi, revient. Il fait les cents pas, l’air dégagé. C’est dommage, personne n’est là pour faire les présentations. Je regarde ce vieux monsieur au sourire rêveur, cette jeune fille qui a un handicap, cette femme accompagnée de sa petite fille. J’attends. Je les regarde encore. Je souris à une personne qui, je le parierais, doit être Naruna. Cette silhouette mutine, oui, ça ne peut être qu’elle, elle ressemble bien à la tonalité délicatement malicieuse que j’aime tant dans ses billets. Elle répond à mon sourire poliment. Mais toujours pas un mot.
(Il faut ici faire la légère digression provincialiste qui s'impose pour expliquer plus clairement ce malaise envahissant :
C’est vrai que dans le Nord, les gens sont souvent plus familiers. Il y a une sorte de bonhomie indulgente qui rend le contact facile. Les gens sont moins farouches. Du coup, quand je vais faire un tour ailleurs en France, j’ai l’impression d’être trop franche ou trop directe. Je trouve aussi les autres un peu coincés dans leurs politesses, ou pire, snobs. Mais dans le Nord, un gars que tu connais pas et qui te rend un petit service, tu lui dis sans façon : « Merci hein, vous êtes bien brave, hein ! », ça crée tout de suite des liens amicaux. Et chaque année, les derniers jours de décembre, on se souhaite des « Bon reste ! » à tout va. On a le rire plus bruyant aussi. Evidemment, ce n'est pas toujours très gracieux. On n'est loin d'être parfaits, mais vraiment, la communication est plus simple. Bilan des courses : je me sentais comme un as de pique sur ma marche d'escalier.)
Tiens, voilà Sophie Dufau qui s'approche avec son appareil photo. Je lui tends une trombinette un peu crispée et un sourire trop commercial. Je fais mon possible, désolée Sophie D., mais là, il me manque encore un peu de chaleur humaine pour avoir les yeux en liesse.
On entre dans la salle de projection, on voit le film. Il est intéressant. Mon voisin rit souvent. Moi, moins. On ne doit pas voir les choses sous le même angle, peut-être.
Puis vient l’instant de la discussion. Là, je retrouve l’ambiance du club Mediapart. Ca me fait sourire. Beaucoup de gens sont sur les starting-blocks, prêts à réagir. Certains râlent, d’autres louent le film, ou s’embourbent un peu dans des prises de parole à rallonge. Très ému, mon voisin livre à son tour ses impressions. Sa voix tremblotte d’émotion. On discute de la « bulle », Tel-Aviv. On évoque les grands absents, les Palestiniens. Edwy Plenel en profite pour évoquer l'inauguration de la place Mahmoud Darwich, qui aurait dû s’appeler Yasser Arafat.
Il est 21h15. Trop tard pour la tribune annoncée par Géraldine Delacroix, sans doute.
Je repars dans le Nord, contente de la soirée mais avec une petite impression d'incomplétude.
[1] Terme usuel du dialecte « sofisafia » pour désigner le compagnon de vie .