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Billet de blog 19 mai 2010

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Identité complexe ?... sans complexe !

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_ Eh là, vous ! Française ? Justifiez !

En avant pour le grand déballage, donc… Remarquez c’est peut-être pas plus mal, vu comment tout est simplifié, caricaturé, trahi. Si ce témoignage pouvait apporter deux ou trois bémols aux lieux communs qui circulent en ces temps d’islamophobie galopante, je serais bien contente.

Moi, je suis française d’origine algérienne, catho-muslimo-athée de naissance (y a pas d’ordre de préférence).

Côté maternel. Grand-père était communiste, athée. Au village, ils ont caché des enfants juifs pendant la guerre. Grand-mère catholique.

En tout cas, tous les deux, ils ont eu ma mère, un genre de cégétiste plutôt athée, qui dit « Jésus-Marie » de temps en temps quand elle a une grande frayeur. Une femme de cœur, ma mère.

Côté paternel. Mon grand-père, il était harki, d’après la carte des rapatriés. Je dis « d’après », parce qu’en même temps, ils étaient plutôt « oulémas » dans la famille, depuis pas mal de générations. Donc, musulmans, comme ma grand-mère. Elle est partie avec un petit palmier qu’elle a pris avec elle sur le bateau qui l’emportait loin de l’Algérie. Elle l’a planté ensuite en France. Il a grandi, le palmier, il est toujours vivant, lui. Il est beau.

Ils ont eu mon père. Mon père, il a mis l’Islam en veilleuse pour s’entendre mieux avec ma mère, et sans dire un mot qui dérange personne en général. Il était trop diplomate, mon père, il est même allé jusqu’à devenir alcoolique. Mais il s’est repris maintenant, grâce à l’Islam, justement. En même temps, ma mère, elle a mis la chrétienté à la trappe, comme beaucoup de gens dans les années soixante-dix. C’était pratique, mais y avait du tabou dans l’air, on pouvait pas parler de Mohamed et de J.C. sans avoir l’impression de dire un gros mot.

Mais, notez bien que pour faire plaisir à ma grand-mère (allez savoir quelle mouche l’a piquée, ma grand-mère, elle qui était si douce et plutôt effacée d’habitude !), ils se sont mariés à l’église, de justesse et par autorisation spéciale, et ils nous ont baptisées, sans qu’on ait eu le temps de dire « ouech ?! », nous les gamines, mes grands-parents d’Algérie et mon grand-père maternel communiste athée. Mes sœurs et moi, nous v’là accueillies dans le Royaume de JC !

Mais tous ces gens-là, ils savaient s’apprécier. Il paraît même qu’ils s’estimaient beaucoup. Et mes parents, ils étaient sacrément « love-love », à tel point qu’ils savaient plus où donner de la tête dans les prénoms de leurs gosses : tantôt Nathalie, tantôt Fouzia, tantôt Sophie, tantôt Safia… Et tout ça finissait en « Titi » et en « Coco ».

Faut pas chercher à comprendre, faut juste se laisser porter par la vague, comme au popping.

On arrive à moi. Je me suis très tôt méfiée des étiquettes, allez savoir pourquoi. J’ai donc décidé de prendre en charge mon éducation, en autodidacte, et avec un peu d’impartialité, tout de même. Moi, j’aime bien la justice, comme Fantômette. Enfant, j’ai lu toute la Comtesse de Ségur, comme ça, j’ai fait mon catéchisme, incognito. Plus tard, j’ai bouffé du Sartre et du Voltaire et j’ai plus cru aux essences, si vous voyez le truc.

Encore après, je me suis dit : c’est tout de même pas équitable ce partage. Alors à dix-huit ans, j’ai décidé de redistribuer les cartes du jeu. C’est facile quand on n’a pas de préjugés, et qu’on sait qu’on a plein d’ignorances. C’est comme au popping, on fait sa danse en coulissant d’un geste à l’autre, en explorant, quoi. Je me suis mise à l’arabe, en étudiant Montaigne.

Si demain, je fais une petite crise mystique catholique, pourquoi pas ? Si dans cinq ans, je fais une conversion islamique, pourquoi pas ? Et si je veux me la jouer athée, bouddhiste, juive, protestante… Du moment qu’on me claque pas la porte au nez ! L’important, c’est de pas être enfermé dans les dogmes, d’où qu’ils soient et de garder ses copains, même si on n’est pas tous du même avis, non ?

Moi je suis bien contente, y a de la variété dans la famille : y en a qui ont les cheveux courts, d’autres qui portent le foulard, d’autres qui sont au chômage, d’autres qui trinquent tous les midis, d’autres qui prient tous les vendredis, d’autres qui font de l’art, d’autres qui conduisent des cars, d’autres qui sont super belles, d’autres qui sont rebelles… Et on est tous Français. Si demain on me proposait une double nationalité, je la prendrais même pas. Je dirais : « Pas besoin, j’ai tout ce qui me faut dans mon petit pays et j’y suis bien ! »

Remarquez que j’aurais pu y perdre mon latin, devenir un peu schizo. Mais, non, c’est pas moi, c’est ma sœur qui l’est devenue, la malheureuse… Mais paraît que c’est pour des raisons autrement plus sérieuses que ces petits arrangements. La psychose, c’est un coup de massue qui te tombe dessus sans te demander ce que tu penses de la vie et tout le baratin. Ca t’enferme sacrément.

Bon, revenons aux identités complexes. Maintenant, le faciès. Alors là, ça, ça se discute pas. T’auras beau dire que t’es ceci ou cela, ta tronche, elle te rattrapera toujours… Et si t’as pas la tronche, y aura ton nom. Et si y a pas le nom, y aura toujours quelque chose pour les gêner, ceux qui sont gênés, les gens « normaux ».

Demandez à ma sœur… Elle, elle sait ce que c’est que cette norme. Elle en sue de cette norme. Et moi avec, d’ailleurs.

Seulement, elle, elle a tiré le rideau une bonne fois pour toutes, et personne ne lui a demandé qui ou qu’est-ce. Ils étaient bien trop occupés à parler du voile et des méchants musulmans.

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