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Soignants du Finistère, militant pour une médecine humaine et de proximité, dans le contexte des menaces de fermeture de la maternité de Landerneau

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Billet de blog 23 mars 2023

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Soignants du Finistère, militant pour une médecine humaine et de proximité, dans le contexte des menaces de fermeture de la maternité de Landerneau

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Maternité de niveau 1 : maternité d'avenir !

On entend de toutes parts s’exprimer le mal être des hôpitaux, les carences de la santé, la maltraitance des patients, la pression administrative, le burn-out des soignants, tout ce délitement du service de santé public.

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Soignants du Finistère, militant pour une médecine humaine et de proximité, dans le contexte des menaces de fermeture de la maternité de Landerneau

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mais il reste encore quelques hôpitaux dits de proximité comme le CH Ferdinand Grall de Landerneaux où, certes, il manque des lits, où des médecins intérimaires aident à boucler les listes de garde… Mais c’est avant tout un hôpital où il fait encore bon travailler, où l’on se sent directement utile à la communauté, où l’on sait que l’ont peut à tout moment accueillir son voisin, accoucher la prof de ses enfants,  un lieu de travail pas trop loin de chez soi où l’on vient parfois à vélo, où l’on se salue dans les couloirs, on mange tous ensemble au self, soignants, techniciens et administratifs, on appelle les patients par leur nom, où l’on a passé parfois presque toute sa carrière et on connait tout le monde, on se réjouit du mariage de l’une, on pleure ensemble du départ d’un autre, où ça discute Corrida fin mars, Fête du Bruit en été, amicale du personnel, syndicat et solidarité : la preuve aujourd’hui encore.

Bref, un hôpital où il fait bon soigner et faire du bien et les patients nous le confirment, tous les jours. Un hôpital pour les urgences du quotidien, pour soigner nos ainés, accueillir sans entraves la psychiatrie, où l’on vient consulter le spécialiste venu du CHU sans tourner des heures pour trouver une place de parking. Un hôpital qui travaille en connivence logique avec son grand frère le CHU pour ne pas le surcharger inutilement, voire pour le délester. Bref, un hôpital logique qui donne du sens à notre travail.

Oui, il y a bien des raisons d’être désarçonnés par les menaces qui planent !

Au sein de cet hôpital, il existe de plus un nid douillet où il fait bon naitre, sans excès de médicalisation lorsqu’elle n’est pas utile, mais avec la sécurité médicale assurée par des professionnels qui ont fait le choix d’accompagner ainsi de leur savoir-faire et compétences les femmes pour accoucher là. Sages-femmes et médecins ont tous un jour travaillé en CHU, puis ont décidé de poursuivre en plus petite structure, par choix, pour une vie. Ils continuent de se former, travaillent en réseau étroit avec le CHU tout proche, répondent aux critères de qualités exigés par l’ARS, forment des sages-femmes et des jeunes médecins généralistes. Car cet hôpital est aussi terrain de formation universitaire. Toutes les conditions sont réunies jusqu’ici à Landerneau pour accoucher physiologiquement lorsque la grossesse le permet et c’est le cas rappelons-le de 80% des grossesses. 

La HAS recommande de favoriser l’accouchement physiologique et de permettre les alternatives à la péridurale lorsque les femmes le demandent. C’est possible en maternité niveau 1, c’est beaucoup plus difficile chez nos collègues du CHU où les cadences en salles d’accouchement sont infernales, où il manque des lits en post-natal, et qui d’ailleurs nous appellent parfois à la rescousse. Le CHU qui doit gérer les grossesses à risque, les accouchements prématurés, la pathologie maternelle sévère, former les futurs soignants, mais aussi réfléchir, innover, développer des essais cliniques... Niveau 1 et niveau 3 n’ont pas les mêmes missions.

Alors il faut porter ici une autre voix, celle de professionnels qui ont l’expérience de la périnatalité hors CHU et la conviction de cette expérience : « non, toutes les femmes n’ont pas besoin d’être accueillies dans une maternité dite de niveau 3 pour accoucher en sécurité ». Les Pays Bas, nos proches voisins, le confirment avec une organisation qui privilégie l’accouchement hors gros plateaux techniques et dont les résultats de périnatalité sont bons. Toute femme doit pouvoir choisir d’accoucher ailleurs que dans des grands centres urbains lorsque sa grossesse le permet.

Mais la réalité en France est tout autre : le choix d’accoucher dignement est de moins en moins offert aux femmes. Car la réalité est que les « petites » maternités ferment et laissent place à des gros centres de plus de 2000 naissances. La réalité est que le calcul fait depuis plus de 20 ans en faveur de la fermeture des maternités en faveur de gros centres n’est soutenu par aucune logique économique

Tout comme le stipule le rapport de L’IGAS 2012 dénonçant les limites de cette logique mais qui pourtant n’a pas été suivi d’effet : 

« Mais la logique implicite du système français conduit, si l’on n’y prend pas garde, à pousser 

toutes les femmes à accoucher dans des maternités de plus en plus techniques et à faire disparaître 

les maternités de type 1, d’autant que les experts obstétriciens qui inspirent les politiques (PU-PH 

de CHU) réclament une activité de premier recours pour des raisons d’enseignement et de diversité. 

Il est clair qu’une telle tendance n’est pas en faveur d’une réduction des coûts …Des décisions 

devraient être prises pour établir une ligne de conduite à l’attention de chacun. »

Tout se tient là, dans cette conclusion, et c’est effectivement bien d’argent dont il est question : L’activité obstétricale n’est pas jugée rentable pour un établissement de soin. Les cliniques privées d’ailleurs se désengagent de plus en plus de cette activité. L’acte d’accouchement est très mal rémunéré. Et pourtant quoi de plus sacré que la vie, celle d’une femme et d’un enfant.

Autre constat, les professionnels de la périnatalité et de l’urgence - gynécologues -obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres-néonatologues, auxiliaires-puéricultrices- sont mal reconnus dans la pénibilité de leur exercice : gardes astreignantes, alternance jour-nuit, cadences soutenues, polyvalence, pression médico-légale et médiatique, faible rémunération. La gynécologie-obstétrique est une des spécialités médicales les plus concernées par le burn-out. Ces métiers qui éveillent pourtant les passions et l’admiration du public ne font plus rêver que ceux qui ne les pratiquent pas : les sages-femmes n’ont jamais autant boudé les salles d’accouchement pour se tourner vers l’activité libérale. Elles plébiscitent les niveaux 1 et 2 où leurs compétences sont préservées et quittent les maternités niveau 3 où elles estiment trop souvent manquer de temps auprès des patientes. Les écoles de SF ne remplissent plus leurs promotions à la rentrée universitaire. Un interne en gynéco-obstétrique sur deux formés à l’obstétrique renonce aux gardes en fin de formation. Les anesthésistes se détournent des salles de naissance. Des signes qui ne trompent pas étayés par les chiffres des enquêtes du rapport de 2022 de la commission démographie du Collège National des Gynécologues-obstétriciens Français (CNGOF) et du Collèges des Enseignants en Gynécologie-Obstétriques (CEGO). Et si l’on a recours depuis trop longtemps maintenant à des médecins intérimaires c’est bien pour toutes ces raisons. L’intérim est en réalité un symptôme de plus en plus aigu d’une incurie chronique.

Qui accouchera les femmes demain si on n’entend pas enfin ces alertes ? Comment accoucheront les femmes demain si l’on continue de concentrer sans réfléchir ?

Non la solution n’est pas dans la seule application brutale de la loi Rist avec son risque de nouvelle dégradation de l’offre de soin hospitalière en cascade : maternité, puis bloc opératoire, puis urgence…puis combien d’établissements de proximité ?

Les solutions sont à trouver à partir d’éléments de réflexion incontournables :

1 - L’accouchement doit être reconsidéré dans l’esprit des décideurs, trop souvent des hommes : non une femme n’accouche pas n’importe où et n’importe comment pourvu qu’on lui garantisse un plateau de néonatologie ! Ce ne sont pas du tout les motivations des femmes et des nouvelles générations qui parfois viennent de loin pour nous faire confiance. Certaines ont d’ailleurs accouché normalement de leur premier enfant en maternité niveau 3 mais souhaitent un autre mode d’accueil, moins médicalisé, plus personnalisé, en structures plus « familiale ». Donner le choix aux femmes n’est pas une option mais un impératif autour duquel réfléchir. Et si l’éloignement est parfois un vrai problème, d’autres territoires concernés par des contraintes géographiques se sont donnés de véritables moyens matériels de rapprocher les femmes des maternités y compris dans l’urgence. (ex : la Polynésie Française)

2 - Donner la vie est précieux et n’a pas de prix. En être gardiens est un métier difficile et qui engage nos responsabilités. Il est urgent de revaloriser financièrement la cotation de l’acte d’accouchement et les rémunérations de tous les métiers de la périnatalité. Ceci pour donner envie aux futures générations de s’intéresser à ces métiers sacrés et essentiels, et de continuer de les exercer dans les toutes les maternités niveau 1 comme niveau 3.

3 - Redonner de la puissance aux maternités dites de niveau 1, en réseau avec une maternité support est logique et innovant. Ces maternités sont un rempart à l’accouchement à domicile, dont les chiffres augmentent et nous inquiètent car il expose les femmes à des nouveaux risques que l’on croyait révolus. Les maternités sur le modèle de celle de Landerneau, satellites d’un CHU sont au-delà du « post-moderne » ; elles sont avant-gardistes, car elles tiennent compte des aspirations actuelles des femmes mais aussi de celles des nouvelles générations de soignants : la qualité de vie au travail, la proximité des centres urbains sans leurs contraintes. Ces modèles de maternités doivent se renforcer encore pour que les professionnels aguerris viennent y travailler et pour garantir cette offre à toutes les femmes qui le souhaitent et dont la grossesse le permet, rappelons-le 80% d’entre elles. Tout département devrait donc disposer d’un tel modèle de co-maternité.

Dr Ruth M’Bwang Seppoh

Gynécologue-Obstétricienne

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