Madame, Monsieur,
Il m'a fallu attendre la goutte d'eau qui fait déborder le vase pour vous écrire cette lettre. Et cette goutte d'eau, ce matin, c'est ne plus avoir de shampoing pour me laver les cheveux et ne pas avoir d'argent pour acheter les quelques produits nécessaires à ma toilette.
Demain, jour de l’Épi solidaire, voici 2 mois que cette association me permet de manger. Je dois payer 6€ par mois pour y avoir accès, et bien je vais devoir aller négocier avec le banquier, car je suis à découvert... (740€, aggravé chaque mois par les frais bancaires).
Je dois accepter pour me nourrir d'avoir recours aux produits alimentaires en fin de date de péremption des magasins !
Et comment ai-je pu en arriver là ???
J'ai 63 ans, 2 enfants, je vis seule depuis 2000, handicapée de naissance (dysplasie bilatérale
de hanches). Reconnue travailleur handicapé, et en invalidité à + 80%. La claudication est la
marque visible de mon handicap.
Tellement visible pour certains employeurs, qu'ils me refusaient un emploi à temps complet
dans leur société en prétendant que je faisais désordre dans l’escalier ou que je donnerais une
mauvaise image de marque pour leur service commercial .
Ces mêmes entreprises qui offraient des baptêmes de l'air en montgolfières aux personnes handicapées en parlant d’intégration, masquant ainsi de grandes campagnes publicitaires retransmises par les Médias.
Et pourtant j'étais jeune, sportive mais je devais travailler cachée et surtout à temps partiel.
Reconnue travailleur handicapé, j'ai bénéficié d'une pension d'invalidité.
J'ai terminé ma carrière professionnelle comme responsable d'une bibliothèque municipale,
hélas sans le statut officiel ! (30h par semaine, car à partir de 2000 je ne pouvais plus,
physiquement travailler à temps complet).
Dans la fonction publique, on change d'échelon régulièrement avec une hausse de salaire,
donc avec une perte sur la pension d'invalidité. Eh oui, sur un salaire à 30h payé au SMIC, on
perd une partie de la pension d'invalidité !
Dommage qu'on ne perde pas aussi un peu de son handicap à chaque dégrèvement de cette
pension ....
Et je pensais que cette pension d'invalidité était acquise pour la vie (comme le handicap,
hélas !) Et bien non, car une retraite de 940€ ne permet pas de cumuler les deux mais suffit
pour permettre le prélèvement de la CSG....
Un travailleur handicapé ne peut pas voir ses revenus augmenter, lui n'a pas le droit au
cumul.
Naître femme handicapée a fait de moi une révoltée, mais cette révolte m'a aidée à lutter, à ne
pas accepter, à continuer malgré les douleurs à me tenir debout dans tous les sens du terme.
J'ai appris très vite à compenser aussi bien physiquement, que moralement et
intellectuellement. Toujours faire plus, être plus !
Quelle vie riche d'enseignements, mais chienne de vie !
Issue du monde rural, je suis née dans un monde pauvre socialement et culturellement.
N'ayant pas fait d'études j'ai lu, écouté et observé, j'ai appris seule, avec pour objectif
d'essayer d'estomper le handicap avec un peu de culture et d'humour afin de retenir
l'attention...
Mais aujourd'hui, je m'interroge, comment vivre sereinement et dignement avec 1,21€ par
jour, oui, c'est ce qui me reste quand toutes les charges sont payées. 1,21€ pour manger, me
soigner, me laver, me vêtir, mettre de l'essence dans la voiture …….
……. Comment garder ma dignité, comment garder espoir, comment vivre sans pouvoir faire
le moindre projet, sans vie ouverte sur les autres et avec les autres? Je ne conçois pas de
continuer à vivre dans cette précarité.
Depuis des dizaines d'années j'écoute avec attention toutes les campagnes qui sont mises en
place pour l'insertion des personnes en situation de handicap, et bien mon histoire, ma
situation prouvent que rien ne change et ce que je vis depuis ma mise à la retraite avec toutes
ces difficultés est la pire chose que j'aie vécue de toute ma vie, et pourtant, une vie de
handicapée n'est pas simple et je ne peux ni ne veux accepter l'inacceptable.
Alors, que faire ?
Je m'adresse à vous, Madame, Monsieur, afin de vous apporter mon témoignage mais aussi
vous demander de m'aider à réfléchir et trouver des solutions, car je ne conçois pas de
terminer ma vie dans cette précarité ?
Par ce message que je vous adresse, je pense aussi à toutes ces personnes handicapées en
situation de précarité et de grande pauvreté !
Oui, la perte de la pension d'invalidité aggrave ma situation. Les années passent, mon
handicap s'aggrave, ma santé se détériore et mes besoins d'aide augmentent et sont de plus en
plus nécessaires.
Tout cela est si évident mais hélas peu reconnu par les décideurs ! Alors comment faire avec
1,21€ par jour et que faire ? A qui s’adresser ? Peut- on vivre ainsi décemment avec moins
d’un SMIG et peu ou pas d’aide ? Je ne suis pas exigeante mais espère un peu plus de justice
et de considération.
Madame, Monsieur, en espérant que ce simple témoignage exprimé avec objectivité, sincérité
et pudeur aura attiré votre attention et vous apportera un éclairage sur ce que vivent bon
nombre de personnes dans ma situation, je vous adresse mes salutations distinguées.