Il est 13h45 et ma journée de vendredi 12 mars se terminne bientôt. Je sais que chaque fin de semaine, c'est le jour ou pourtant moi comme mes collègues sommes astreints à autant de vigilance. Notre travail avec les collectivités a profondément évolué au gré du télétravail des uns et des autres mais aussi en terme de volume de travail: un jour nous pouvons recevoir une centaine de titres de recettes à traiter, un autre jour beaucoup moins. Travaillant en dépenses, je suis en quelque sorte la petite main qui permet aux necessiteux de pouvoir toucher leurs bons de secours et leurs aides votés par les services sociaux des alentours, la petite main qui permet aux bébés prématurés d'avoir des médicaments, des couches et de quoi désinfecter leur couveuses. J'y suis d'autant sensible que j'en était un moi aussi grand prématuré et aussi je n'oublie jamais mes moments d'incertitude et de doute lorsque je sollicitais l'assistance du conseil départemental de haute vienne, faute d'emploi qualifié suffisant pour me vouloir dans un service comptable privée pour le revenu de solidarité active.
Madame lô
Une usagère comme j'en reçois beaucoup au téléphone qui nous sollicite pour le paiement de son bon de secours contre des espèces. Cette usagère n'est pas aidée par son manque de maîtrise et d'aisance de notre langue ce qui moi me complique la compréhension de ce qu'elle me dit. Le plus professionnellement je lui explique que malheureusement même si elle écrit deux emails pour nous solliciter, on ne peux pas recevoir d'usagers sur un claquement de doigts ,nos consignes nous imposent de trier les usagers que nous recevons pour les dispatcher sur les plages de la semaine quand notre guichet ouvre. Mais madame lô, visiblement ne peux pas ou ne veux pas l'entendre et se braque sur une partie de mon discours. Un dialogue incompréhensible se noue: je lui explique le plus professionnellement possible que ce n'est pas contre elle mais en raison du contexte sanitaire et de nos capacités d'accueil: avec une liste d'attente à rallonge, on ne peux pas satisfaire tout le monde en une seule journée. Je lui explique aussi que je ne peux que faire le relais à mes collègues chargées de l'accueil du public , ce qu'elle accepte et finit par convenir.
Je raccroche poliment. Je savais depuis toujours que le contact avec le public par téléphone n'est pas à mon avantage, surtout pour une personne autiste. Le téléphone raccrochée je me rememore mes premiers contacts avec ce monde exigeant, imprévisible, bruyant cette fois en cabinet comptable. Sauf que là je n'étais pas titulaire de mon poste mais simple stagiaire et observateur d'une réalité qui me conduisait à l'effondrement auditif: un tel bombardement cognitif et auditif me bloquait et me rendait complètement grogui ,zombifié .
Le téléphone raccroché, je me dirige lentement vers la fontaine d'eau . Ma collègue ayant assisté à l'échange me dit qu'il faudra changer de stratégie et passer le relais plus tôt.
Monsieur Phie
Tout en m'occupant de mes mandats de dépenses, j'entends parler de plus en plus d'un certain monsieur phie. Monsieur phie en effet est un sale pétrin: avec deux pensions alimentaires à payer, son reste à vivre est très faible et son passif est très lourd: il ne pourra pas le rembourser.
Au même titre que Lady Lang, mère de famille qui as vu la facture des frais de cantines de ses enfants s'accumuler au point qu'elle recoive une relance de ma part. Elle n'as pas perdu son job à cause du covid, elle paiera son dû par virement.
Monsieur Freeze
Il faut que je fasse des recherches dans notre base de donnée fiscale. Mon dieux depuis des mois que je le fait, je doit rendre des compte via des captures d'écrans pour les recherches de renseignements et évaluer sa solvabilité pour le reste qu'il nous doit (un bordereau de créances non soldées dans notre jargon).
Par chance pour moi, cet usager est identifiable et dispose d'une adresse email valide.
14h15
Time out de l'après midi: casque anti bruit et masque de sommeil. Les écrans ont saturé mes neuronnes et ma rétine en a marre donc repos. Dans la salle de pause, il fait noir, ca me convient pour souffler et que mes oreilles et yeux rechargent leurs batteries. Les bons souvenirs reviennent y compris ceux plus anciens ou je me revois alors étudiant apprenant mes leçons de classe préparatoire comme si on me racontait une histoire pour dormir.
14h45
Mon chef de service me préoccupe: entre les échéances avec les collectivités, son job de chef à faire plus un tas de choses qui s'accumule je comprends qu'il peste. Il m'en veux pas en tant que personne, il sait bien que si il doit me dire quelque chose sur mon travail même si sur le moment c'est dit de façon un peu véhémente, je lui en voudrais pas. C'est mon "grand chef", surnom que je donne à toute personne ayant de l'autorité même à des policiers que je croise hors boulot.
15h00
Une patrouille de police arrive et pas pour plaisanter: un signalement pour une attaque au couteau de cuisine . Même si je n'ai pas vu de tel energumène, je sais qu'un pétage de plomb peux vite arriver. A ce qui est la chef du groupe je l'escorte avec son escouade jusqu'à mon deuxième grand chef qui dirige tout notre structure. Il est vite briéffé, salut militaire aux policiers. Oui oui c'est excessif mais que voulez vous, les uniformes m'ont toujours fait flipper. je ne les croiserait pas pour leur départ ni ne saurais ce qu'il adviendra du type recherché.
Chacun son métier après tout, j'ai signé pour travailler en bureau pas pour être gardien de la paix ni officier de police judiciaire .
17h00
Départ après une journée bien remplie. On me reverra après le week end pour de nouvelles missions. Sur le départ tout est sous contrôle et tout est en ordre, je laisse mon chef de service qui prendra soin de fermer le poste et reviendra chez lui retrouver les siens.
Quand je marche jusqu'à chez moi, la verdure reprends ses droits et je me dit que c'est bon. En ces temps de covid, l'activité a été si ralentit que mère nature a pu reprendre un peu de ses droits. L'hiver fut rigoureux dans mon val de marne fétiche .
J'ai le temps de faire des courses très modestes, il s'agglutine une horde de consommateurs et de consommatrices, ils seront plus nombreux demain. Je paye vite fait, je rentre chez moi. Zou tenue de sport confortable , tapis de gym mis il va falloir affuter mes abdominaux et mon dos .