
Un peu comme tous les invités pro-palestiniens interviewés après le 7 octobre 2023, à qui l’on demandait sans cesse “Mais est-ce que vous condamnez le Hamas?” donc toujours d’actualité. Ce que tous ces soi-disant journalistes omettent de dire, bien entendu, c’est que ce sont les Israéliens qui enseignent la haine de l’Arabe à leurs enfants (pour eux les Palestiniens citoyens d’Israël sont des Arabes, pas des Palestiniens).
Rafeef Ziadah est une artiste palestinienne de spoken word et une activiste basée à Londres. Elle est née à Beyrouth, au Liban, en 1979. Ses parents étaient des réfugiés palestiniens. Elle a grandi en Tunisie et a étudié à l'université York de Toronto où elle a obtenu un doctorat en politique. Elle est maître de conférences en politique et en politiques publiques dans une université de Londres.
Nous enseignons la vie, Monsieur !
(écrit à la suite de l'attaque israélienne contre Gaza en 2008-2009)
Poème interprété le 12 novembre 2011 à Londres
"Je commencerai par ce poème. J’ai écrit ce poème lorsque les bombes tombaient sur Gaza et que j'étais la porte-parole de la Coalition auprès des médias. Je faisais une bonne partie de l'organisation et nous étions restés debout jusqu'à 6 heures du matin environ pour perfectionner chaque ‘petite phrase’ et à la fin, si vous êtes palestinien, vous savez la plupart des Palestiniens se fatiguent et commencent à prononcer leurs P comme des B. Nous devenons donc des Balestiniens à la fin de la journée. J’ai donc répété mes P toute la nuit. Et le lendemain matin, un des journalistes m'a demandé “Ne pensez-vous pas que tout irait bien si seulement vous arrêtiez d'enseigner la haine à vos enfants.” Je n'ai pas insulté la personne, j'ai été très polie, mais j'ai écrit ce poème en réponse à ce type de questions qu’on pose toujours à nous, Palestiniens.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé
qui devait tenir dans des ‘petites phrases’ et des limites de mots.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé
qui devait tenir dans des ‘petites phrases’ et des limites de mots
suffisamment remplies de statistiques
pour contrer une réponse mesurée.
Et j’ai perfectionné mon anglais
et j’ai appris mes résolutions de l’ONU.
Mais il m’a quand même demandé, Madame Ziadah,
ne pensez-vous pas que tout serait résolu
si seulement vous arrêtiez d'enseigner tant de haine à vos enfants ?
Pause.
Je cherche en moi la force d’être patiente,
mais la patience n’est pas sur le bout de ma langue
alors que les bombes tombent sur Gaza.
La patience m’a simplement échappé.
Pause. Sourire.
Nous enseignons la vie, Monsieur !
Rafeef, n’oublie pas de sourire.
Pause.
Nous enseignons la vie, Monsieur !
Nous, Palestiniens, enseignons la vie
après qu'ils aient occupé le dernier ciel.
Nous enseignons la vie
après qu’ils aient construit leurs colonies
et leurs murs de l’apartheid,
après les derniers cieux.
Nous enseignons la vie, Monsieur !
Mais aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé
fait pour tenir dans des ‘petites phrases’ et des limites de mots.
Et donnez-nous juste une histoire, une histoire humaine.
Vous voyez, ce n'est pas politique.
Nous voulons juste parler aux gens de vous et de votre peuple,
alors donnez-nous une histoire humaine.
Ne mentionnez pas ce mot ‘apartheid’ et ‘occupation’.
Ce n'est pas politique.
Vous devez m'aider, en tant que journaliste,
à vous aider à raconter votre histoire,
qui n'est pas une histoire politique.
Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé.
Et si vous nous racontiez l'histoire d'une femme de Gaza
qui a besoin de médicaments ?
Et vous ?
Est-ce que vous avez assez de membres brisés pour couvrir le soleil ?
Remettez-moi vos morts et donnez-moi la liste de leurs noms
en mille deux cents mots maximum.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé
fait pour tenir dans des ‘petites phrases’ et des limites de mots
et émouvoir ceux qui sont désensibilisés au sang terroriste.
Mais ils ont eu pitié.
Ils ont eu pitié du bétail à Gaza.
Alors, je leur donne les résolutions de l’ONU et des statistiques,
et nous condamnons et nous déplorons et nous rejetons
et ce ne sont pas deux camps égaux : occupant et occupé.
Et cent morts, deux cents morts, mille morts.
Et entre ce crime de guerre et ce massacre, je lâche des mots
et je souris ‘pas exotique’, je souris ‘pas terroriste’.
Et je recompte, je recompte, cent morts, deux cents morts,
mille morts.
Y a quelqu’un ?
Est-ce que quelqu’un écoutera ?
J’aimerais pouvoir pleurer sur leurs corps.
J’aimerais simplement pouvoir courir pieds nus
dans chaque camp de réfugiés
et tenir chaque enfant dans mes bras,
couvrir leurs oreilles afin qu’ils n’aient pas à entendre
le bruit des bombardements pour le reste de leur vie comme moi.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Et laissez-moi juste vous dire,
il n’y a rien que vos résolutions de l’ONU aient jamais fait à ce sujet.
Et aucune ‘petite phrase’, aucune ‘petite phrase’ que je trouve,
peu importe à quel point mon anglais s'améliore,
aucune ‘petite phrase’,
aucune ‘petite phrase’,
aucune ‘petite phrase’,
aucune ‘petite phrase’
ne les ramènera à la vie.
Aucune ‘petite phrase’ n’arrangera ça.
Nous enseignons la vie, Monsieur !
Nous enseignons la vie, Monsieur !
Nous, Palestiniens, nous nous réveillons chaque matin
pour enseigner la vie au reste du monde,
Monsieur !"