Pour qu’une ou éventuelle lecteur ou lectrice comprenne le sens de mon propos, il va falloir que je rentre quelque peu dans ma vie privée. Personne n’aime le faire surtout sur Internet. Mais bon, c’est le choix que je fais afin de témoigner de ce que peut-être la société actuelle.
Je suis issu d’une famille monoparentale comme l’on dit maintenant. A « mon époque », c’était moins répandu que maintenant et cela se vivait assez mal. Malheureusement, les temps ont changé et c’est plutôt lorsque l’on a la chance d’avoir ses deux parents à la maison que l’on est à part (J’exagère bien entendu, mais les familles monoparentales sont pléthores maintenant.).
C’est donc ma mère qui m’éleva seule avec un frère âgé de neuf années de moins que moi. Ma mère avait de très fréquents problèmes d’argent. Les coupures d’électricité, de gaz, les problèmes de loyers impayés et tout le reste parsemèrent mon « enfance ».
Je me souviens même de cet abruti de directeur d’école qui un jour ouvrit la porte de la classe de CE2 dans laquelle j’étais pour me lancer devant mon institutrice et mes camarades : « Si tu ne payes pas la cantine, tu ne pourras plus y manger ! ». Mazette, me dire cela à moi enfant et devant mes camarades, quelle délicatesse et quelle intelligence d’esprit ! Je me souviens encore de tous mes camarades qui tournèrent alors la tête vers moi…. Bonjour l’ambiance…Comme si c’est moi qui pouvait payer ma cantine à huit ans…
Un autre fait marquant nécessaire à la compréhension de ce billet.
La « visite » d’un huissier (de « justice » comme on dit) chez nous. Problèmes d’impayés… Devant moi, gamin, il a commencé à faire l’inventaire de tout ce qui allait partir. Je me souviens encore de cette planche sur laquelle était posé son papier et de sa façon de faire. Il regarde, estime et note. Il va vers un meuble que ma mère avait acheté chez les compagnons d’Emmaüs, c’était une vieille meuble années cinquante, d’un côté un tourne-disque et de l’autre une partie pour ranger les disques. J’adorais déjà la musique à l’époque. Innocemment, avec mon culot d’enfant, je lui dis que c’est à moi, que c’est ma seule distraction. Je pensais sûrement qu’il comprendrait. Et bien non, en repartant il a dit que de toutes façons il nous resterait les lits, la table est quatre chaises.
J’ai appris que la société était bien violente quand l’argent venait à manquer et que la pitié dans ce cas-là était une chose ignorée.
Dernier « détail », lorsque je voulus m’inscrire en Université. Ma mère, interdite bancaire à cette époque, avait ramené en liquide le reste de sa paye (ce qu’on lui avait donné après avoir retiré ce qu’elle devait ce mois-ci). Je me souviens encore que c’était au moins la moitié de la somme qu’elle avait en mains qu’elle m’a donnée pour que je puisse payer l’Université. C’était en juillet, ce qui lui restait c’était pour elle, mon frère de dix ans et moi. J’ai compris ce jour-là que les études universitaires ne feront pas long feu pour moi. Une bourse ? Il manquait un demi-point de barème pour l’obtenir, ma mère gagnait « trop ».
Parallèlement, ayant une vie quelque peu atypique, j’avais un parrain « particulier ». Ce parrain par alliance était le fils d’un ouvrier qui avait fondé sa propre usine. Ce parrain avait suivi les études nécessaires afin de faire perdurer et développer cette usine héritée de son père. Tous les ans, il m’envoyait un cadeau pour mon anniversaire avec une carte.
Par deux fois il m’invita chez lui. Son usine à l’époque ? Huit cents ouvriers (pas mal….). Une maison superbe et surtout l’importance que cela lui donnait dans le village où il résidait. Je pense que tout le village vivait grâce aux emplois de son usine et qu’ainsi tout le monde se sentait redevable envers lui. « The Big Boss ».
Il ne savait pas (ou ne voulait pas savoir ?) ce qui se passait chez moi.
Je passais ainsi d’un monde à l’autre. Une maison immense donc, j’ai visité son usine, j’allais avec lui dans ce village et sentait l’importance que cet homme y avait.
Un jour, devant faire des travaux d’aménagement d’une salle de bains, il m’emmena avec lui dans un magasin de bricolage. Cet homme, que je respecte, aimait faire de ses mains ce genre de choses. Au lieu de faire appel à un professionnel, sa formation d’ingénieur lui permettait de tout bricoler y compris dans son usine où parfois il réparait une machine tombée en panne.
J’étais donc avec lui dans ce magasin. Et là, je le vois prendre tout ce dont il avait besoin sans s’occuper du prix. Il en avait besoin, c’est tout. J’ai découvert cela avec stupéfaction, on peut ainsi ne pas s’occuper du prix des choses ! A la caisse, lorsque j’accompagnais ma mère faire les courses, quand la note arrivait, je sentais l’angoisse de ma mère. L’argent qui part quand on en a peu, ça fait toujours un « petit pincement au cœur ».
Là, mon parrain, je ne vous dis pas la note. Je ne me rappelle évidemment pas du montant exact mais je peux vous dire que je me rappelle les sueurs froides que cela m’avait procurées.
Le pouvoir de l’argent…
Mais, une autre anecdote qui me questionna davantage sur le rapport à l’argent.
Une fois je suis allé chez le boucher du village toujours avec mon parrain. C’est étrange comme des souvenirs peuvent marquer. Mon parrain voulait un rôti. Il désigna celui qu’il souhaitait. Le boucher prit le rôti et le déposa sur la balance. Mais mon parrain objecta qu’il y avait déjà la barde sur ce rôti et qu’il n’était pas question pour lui de la payer au prix de la viande.
Le boucher enleva donc le rôti de la balance, prit des ciseaux pour découper la ficelle qui entourait ce rôti, enleva la barde et pesa la viande. Une fois la viande pesée, il remit la barde qu’il reficela avec dextérité… Je sentis la gêne chez cet homme et la gêne que je ressentis moi-même.
Certes, dans les faits mon parrain avait raison, mais franchement payer cette barde au prix de la viande il en avait plus que les moyens. La gêne du boucher et ma présence au côté de mon parrain auraient dû lui commander de na pas faire cela. Mais il le fit…
Pourquoi ce billet ?
J’ai eu la « chance » de côtoyer deux mondes diamétralement opposés durant mon enfance et j’ai pu en tirer quelques leçons que je souhaite faire partager.
Le pouvoir de l’argent, le fait d’en manquer mais aussi d’en avoir tellement qu’il fait oublier l’essentiel à un être humain : préserver son semblable de toute vexation inutile ou de toute souffrance.
Le mépris et la violence que nous balance à la figure la société quand on manque d’argent.
La puissance donnée par cet argent quand on possède beaucoup. Avec peut-être comme corolaire en oublier l’essentiel ; l’autre.
L’existence d’au moins deux mondes qui ne peuvent, si on n’a pas la chance d’y être entré dans chacun d’eux, se comprendre l’un l’autre.
Tout ce que j’ai relaté est exact. Mon parrain ? Il vit toujours mais depuis des années, sans que je sache pourquoi, il refuse tout contact avec moi. Je le regrette. Peut-être se reconnaîtra-t-il dans ce billet ? La vie est tellement étrange.