« Chaque fragment d’art est une brique
de notre forteresse »
(Maksym Nakonechnyi, cinéaste ukrainien)
Ukraine CombArt : Mercredi 10 mai, projection exceptionnelle d’Atlantis, du cinéaste ukrainien Valentyn Vasyanovych.
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10 mai 2023 : L’association de solidarité avec les artistes ukrainiens et les volontaires de la Défense territoriale Ukraine CombArt organise une projection exceptionnelle d’Atlantis, film d’anticipation sur les conséquences d’une guerre totale en Ukraine. Cette projection au cinéma Le Lincoln (14 rue Lincoln – 75008 Paris) sera suivie d’un échange en visio depuis Kyiv avec son réalisateur, Valentyn Vasyanovych, et d’un apéritif 100% ukrainien.
Une dystopie rattrapée par la réalité
Ce long métrage visionnaire, sorti en 2019, nous emporte dans un futur proche – l’année 2025 – et montre un pays ravagé par une guerre qui vient de se terminer : paysages dévastés criblés de mines et de charniers, usines en ruines et chômage partout, traumatismes des survivants et catastrophe écologique.
La fiction cinématographique a été, depuis l’invasion à grande échelle de février 2022, rattrapée par la réalité : l’Ukraine est devenue aujourd’hui le plus vaste champ de mines du monde : 250.000 à 300.000 km² seraient aujourd’hui minés, soit les 2/3 du pays. Ces explosifs sont partout : dans les champs et les forêts, les rues et les routes, les immeubles et les cimetières, la mer Noire et celle d’Azov. Premières victimes : les populations civiles et particulièrement les enfants. Cette menace omniprésente prolonge la terreur une fois les occupants partis. Malgré la mobilisation des équipes de démineurs, il faudra de nombreuses décennies pour en venir à bout.
L’écocide est aujourd’hui en Ukraine un crime à grande échelle : comme l’explique aussi Valentyn Vasyanovych, des centaines de mines dont l’eau était jadis pompée sont désormais abandonnées et inondées, empoisonnant les puits et les rivières. Ensemble, avec d’autres sources de contamination, ces pollutions guerrières transforment peu à peu, comme le montre le film avec à peine un temps d’avance, les territoires en déserts sans vie, à la manière d’un immense Tchernobyl.
Le cinéaste (qui est à la fois le réalisateur, le producteur, le chef opérateur et le monteur de son film car il aime – dit-il – le dialogue intérieur que suscite la concentration de ces fonctions entre ses mains) raconte que la première version du scénario qu’il avait écrite lui semblait trop proche d’un drame militaire standard. Ce sont des informations sur les destructions écologiques massives causées par la guerre depuis 2014 et, pire encore, de sombres prévisions sur l’intensification des menaces environnementales dues à la poursuite et l’extension des combats depuis 2022 qui lui ont donné l’idée de déplacer l’histoire en 2025 et d’imaginer un territoire devenu quasiment inhabitable.
L’histoire de Sergyi et Katya
(Andryi Rymaruk - Sergyi - et Liudmyla Bileka - Katya) dans Atlantis
Tourné dans la région de Marioupol avant la destruction de la ville à 90% et son occupation par les troupes russes, ce film, qui donne à voir les conséquences à peine extrapolées d’une guerre totale, est aussi traversé de fulgurances poétiques.
Sergyi et son ami Ivan sont des soldats démobilisés atteints du syndrome de stress post-traumatique, de plus en plus répandu dans l’Ukraine d’aujourd’hui. Ayant retrouvé un emploi dans l’industrie métallurgique, ils subissent la fermeture de leur usine, propriété d’un consortium anglo-saxon qui plie bagages. Ivan, comme de nombreuses victimes de séquelles post-traumatiques, se suicide et Sergyi se reconvertit en porteur d’eau car l’eau potable est devenue une denrée rare.
Le héros rencontre alors Katya, une ancienne archéologue qui exhume les corps des morts ukrainiens au combat et des victims civiles pour les identifier. Sergyi décide de s’impliquer avec elle dans cette mission qui lui permet peu à peu de mettre sa souffrance à distance et au fil de laquelle se noue entre eux une relation porteuse d’espoir, de sens, de vie.
Sélectionné pour de nombreux festivals internationaux, Atlantis a été multiprimé à sa sortie : Prix Orizzonti lors de la Mostra de Venise, Grand Prix du meilleur film au Festival Listapad, Prix spécial du jury au Festival international du film de ToKyo, Prix Krzysztof Kieslowski du Festival de Denver, et autres distinctions.
Il n’est, paradoxalement, quasiment pas sorti en salles. C’est pourquoi il nous a paru important de le faire davantage connaître comme nous l’avons fait, lors de nos précédentes projections, pour Mariupolis 2 (de Mantas Kvedaravicius et Hanna Bilobrova) et Butterfly Vision (de Maksym Nakonechnyi).
Résister caméra au poing
Atlantis a été tourné avec des comédiens non professionnels quoique très convaincants, soldats et vétérans ayant eu une expériences militaire et choisis pour leur capacité à la faire partager. Andriy Rymaruk, l’acteur principal, a combattu dans le Donbass et travaille aujourd’hui à la Fondation Come Back Alive (Reviens vivant) qui fournit, depuis 2014 et plus encore depuis l’invasion de 2022, des équipements militaires et de protection aux unités de volontaires et de l’armée ukrainienne (viseurs thermiques et nocturnes, moyens techniques de renseignement, drones, kits de déminage, etc.) ; il est retourné à plusieurs reprises dans les zones de combat.
Deux ans après Atlantis, Valentyn Vasyanovych a réalisé un film, Reflection, qui raconte, cette fois-ci dans le temps présent, l’histoire d’un chirurgien qui tente de se reconstruire après sa capture par les troupes russes : épargné pour sa profession, jugée utile par ses geôliers, il est le témoin direct des horreurs qui ont accompagné, depuis 2014, la guerre dans le Donbass et dont, à l’écran, les images n’euphémisent pas l’ultra-violence.
Tel n’est pas le registre d’Atlantis où l’agresseur russe est à peine évoqué et qui, alertant sur un avenir possible, a acquis depuis l’invasion une dimension terriblement réaliste.
En février 2022, Valentyn Vasyanovych a décidé de rester à Kyiv et de résister à sa manière : caméra au poing. Il a immédiatement commencé à filmer les villes bombardées, le pont d’Irpin détruit, les civils fuyant l’invasion. Ce travail de documentation de la guerre réelle, journal de bord et chroniques du quotidien, n’est pas pour lui de l’art : simplement des images pour se souvenir et garder la trace, pour que les gens se les approprient et s’en servent. D’où son parti-pris de filmer sans filtre, sans mise en scène, sans commentaire.
(Valentyn Vasyanovych au Festival international du film de Tokyo en 2019)
Personne, en Europe, n’est à l’abri de la menace russe
Avant l’invasion, déjà, Valentyn Vasyanovych nous prévenait que personne, en Europe, n’est à l’abri de l’agression russe et des ambitions insatiables de l’impérialisme poutinien. En 2021, lors de la Mostra de Venise, il disait ne se faire aucune illusion : Poutine, qui faisait alors chanter le monde avec son gaz et son pétrole, attaquera l’Ukraine au-delà de la Crimée et du Donbass mais aussi d’autres pays car son obsession est de recréer l’empire russe.
Dans une très intéressante interview accordée au cinéaste et romancier belge Sylvestre Sbille (quotidien L’Echo, 25 mars 2022), le réalisateur ukrainien confiait qu’au moment de l’invasion, les Ukrainiens, manquant d’armes, se sont sentis très seuls, « comme des gladiateurs dans l’arène, face à un adversaire monstrueux » cependant que le public – européen, mondial – regardait depuis les gradins, quitte à exprimer ensuite sa compassion mais, ajoutait-il, « ce n’est pas avec la compassion que nous nous débarrasserons de l’ennemi » car « le plan de Poutine est d’esclavagiser un pays après l’autre » même si « l’Europe a du mal à se pénétrer de cette idée ».
Lucide, il ajoutait : « Nous aussi, on a perdu du temps et le dragon a grandi. Le monde entier a fermé les yeux, c’était plus simple. La Moldavie, puis la Georgie, puis la Crimée, puis le Donbass, à chaque pas, on savait (…). Il ne va pas s’arrêter là. En Ukraine, tout le monde le sait, tout le monde le sent ».
Non sans ironie, Valentyn Vasyanovych remarquait qu’à l’ouest de l’Europe « les politiques ont peur que les gens perdent quelques degrés dans leurs maisons et qu’eux, ensuite, ils perdent les élections. Mais à ce petit jeu, dans quelques années, vous risquez des problèmes bien plus sérieux ».
Solidaires de l’Ukraine jusqu’à la seule paix : sa victoire !
L’Europe, depuis, s’est réveillée de sa torpeur complaisante, en grande partie déprise de sa dépendance énergétique, progressivement engagée dans des livraisons d’armes et des sanctions économiques qui paraissaient inimaginables un an plus tôt. Elle peut et doit mieux faire mais une prise de conscience est advenue, que Valentyn Vasyanovych appelait de ses vœux.
Malgré la propagande poutinienne et ses relais, vendus ou idiots utiles, malgré la tentation d’une paix à n'importe quel prix qui signerait l’abandon de l’Ukraine et vaudrait encouragement de l’agresseur à récidiver, malgré le risque de lassitude voire d’indifférence d’une opinion dont l’inflation fragilise les conditions de vie et dont les menaces d’escalade attisent l’inquiétude, il nous faut agir pour assurer au courageux peuple ukrainien notre solidarité au long cours dans l’épreuve d’une guerre qui dure et va durer.
Car l’Ukraine ne se bat pas seulement contre un agresseur militaire avide de territoires mais contre sa volonté de l’anéantir comme nation, de nier son histoire, sa mémoire, ses espoirs. L’Ukraine ne se bat pas seulement pour sa souveraineté, son intégrité territoriale et le droit de choisir son destin mais aussi pour notre liberté.
C’est pourquoi les trois objectifs d’Ukraine CombArt restent plus que jamais :
- Faire connaître et soutenir les artistes ukrainien.ne.s engagé.e.s dans la résistance à l’invasion, celles et ceux qui ont pris les armes, celles et ceux qui font de leur art une arme ;
- Fournir des équipements de protection aux unités locales de la Défense territoriale avec lesquelles nous sommes en contact direct (gilets pare-balles, garrots à tourniquet, lunettes et caméras de vision thermique et nocturne, générateurs, buggies pour l’évacuation rapide des blessés) ;
- Informer et mobiliser l’opinion pour que le peuple français soit au rendez-vous de cet internationalisme du 21e siècle qui est, de nos jours, un impératif politique, moral et pragmatique face à l’impérialisme poutinien et à l’essor des autocraties qu’il encourage.
Nous vous attendons mercredi 10 mai à partir de 19 heures pour la projection d’Atlantis au cinéma Le Lincoln, 14 rue Lincoln 75008 Paris (métros lignes 9 et 1 : George V et Franklin Roosevelt, Bus 92, 93 et 32)
Soirée organisée en partenariat avec Le Lincoln, cinéma d’art et d’essai (groupe Multiciné), et Best Friends Forever (distributeur du film).
Entrée sur inscription préalable : inscription@ukraine-combart.org
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