Sophie Bouchet-Petersen

secrétaire générale de l'association Ukraine CombArt, ancienne conseillère d'Etat

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Billet de blog 19 septembre 2025

Sophie Bouchet-Petersen

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20 septembre 2025 : de Valmy à l'Ukraine

Bataille de Valmy : l’anniversaire de cette victoire inaugurale d’un peuple en armes est l’occasion de souligner combien l’héritière légitime de Valmy est, de nos jours, la résistance ukrainienne.

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20 Septembre 2025 :

la résistance ukrainienne, héritière légitime de Valmy

C’était un 20 septembre 1792 et Clausewitz ne s’y trompa pas : « la guerre était soudain devenue l’affaire du peuple ». Le cri de Valmy retentit dans l’Europe entière et au-delà : en 1962, Ferhat Abbas qualifiera Dien Bien Phu de « Valmy des peuples colonisés ». L’anniversaire de cette victoire inaugurale d’un peuple en armes est l’occasion de souligner combien l’héritière légitime de Valmy est, de nos jours, la résistance ukrainienne.

Bien sûr, le monde a changé entre le canon de Gribeauval et le missile ukrainien à longue portée Flamingo, sans même parler des armes nucléaires. Au regard de la brièveté de l’invasion austro-prussienne, le pilonnage quotidien que subissent depuis 3 ans et demi les, civils et les militaires ukrainiens représente plus qu’un changement d’échelle : l’horreur d’une guerre génocidaire sans merci. Et pourtant, certaines correspondances sont frappantes.

La même illusion arrogante d’une victoire facile. Poutine comme le duc de Brunswik pensaient atteindre en quelques jours les capitales ukrainienne et française et y restaurer l’ordre ancien d’une sujétion pluriséculaire. « N’achetez pas trop de chevaux, recommande l’aide de camp du roi de Prusse, la farce ne durera pas longtemps. Les fumées de l’ivresse de la liberté se dissipent à Paris ». Face aux levées en masse (« Tout est soldat pour vous combattre ! » chantent les fédérés marseillais), il n’y eut pas plus de raid sur Paris en 1792 que de raid réussi sur Kyiv en 2022.

Une même surprise en découvrant l’hostilité populaire : les envahisseurs pensaient être accueillis à bras ouverts. En 1792, ils n’avaient pas pris la mesure de la haine accumulée contre les droits seigneuriaux et de l’attachement du peuple à ses conquêtes d’égalité politique. En 2022, ils n’avaient pas pris la mesure de la longue mémoire de l’oppression russe, constitutive de l’identité de la nation ukrainienne, et de l’intensité de son désir de liberté

Un même mépris pour le peuple qu’on vient remettre au pas : Edmund Burke décrivait les Volontaires de Valmy comme « une troupe de comédiens ambulants, un pitre à leur tête ». Le régime poutinien traite régulièrement le président Zelensky de « clown pitoyable ». La disqualification est sommaire et la veine similaire. A chaque fois s’opposent deux visions du monde et deux visions du peuple : acteur souverain pour les révolutionnaires français et les résistants ukrainiens, privé de tout pouvoir de choisir et d’agir par lui-même pour le bras armé des cours d’Europe comme, aujourd’hui, pour le tyran du Kremlin.

Mobilisation populaire contre l’invasion : en 1792, les volontaires qui affluent aux tables d’enrôlement viennent de toutes les régions, parlent des langues différentes et représentent tous les métiers. En février 2022, affluent dans les rangs de la Défense territoriale des volontaires de tous milieux et de tous âges, russophones et ukrainophones.

Ils durent souvent s’équiper eux-mêmes avec l’aide de leurs proches et de collectes solidaires qui, en Ukraine, continuent plus que jamais. Les volontaires d’antan étaient invités à se munir par leurs propres moyens de tout ce qui pouvait faire arme. En Ukraine, on s’est mis à fabriquer des drones dans les cuisines et dans des ateliers montés en urgence ; ingénieurs et informaticiens sont à l’origine d’une myriade d’innovations transposées en temps réel sur le champ de bataille ; des milliers de petites mains se sont mises à tresser des filets de camouflage. A chaque époque, la mobilisation créative de la société civile s’est avérée décisive pour co-construire la défense du pays.

Une acculturation réciproque entre soldats de métier et volontaires en armes. Sur le plateau d’Argonne, troupes de ligne et Volontaires nationaux s’apportèrent mutuellement, l’ardeur révolutionnaire des uns se communiqua aux autres qui transmirent en retour leur expérience du combat, dans une armée démocratisée. Chaque régiment avait jusqu’alors son propre cri de ralliement : « Vive la Nation ! » devint celui de tous. Dans les forces armées ukrainiennes, se produisirent aussi des processus d’acculturation mutuelle entre civils et militaires : « la société civile s’est militarisée et l’armée s’est civilianisée » note Anna Colin Lebedev qui observe combien les Ukrainiens et les Ukrainiennes, si difficiles que soient les conditions de cette guerre totale qui n’en finit pas de massacrer civils et militaires, assument désormais d’être une nation en armes, fière de tenir tête et de tenir bon.

Un idéal de soldat-citoyen. Valmy mêla dans un même élan des soldats devenus citoyens et des citoyens devenus soldats : conjuguer la liberté du citoyen et la discipline du soldat, tel était l’objectif pour faire de cette armée hétérogène un corps soudé. De nos jours, c’est l’armée ukrainienne qui incarne le mieux cet idéal : sa liberté d’expression et de critique étonne et cela malgré la guerre. A l’inverse d’une « Grande Muette », ses soldats restent des citoyens et certains n’hésitent pas à coudre sur leur uniforme un écusson LGBT. Il reste certes dans ses rangs des machos et des homophobes, des plafonds de verre et des décisions arbitraires mais les militaires ukrainiens peuvent en appeler à des syndicats de soldats, notamment LGBT, à des ONG de défense des droits, à l’opinion publique.

Une même peur de la contagion des idées de liberté. L’Ukraine est pour l’autocrate du Kremlin l’exemple intolérable d’un affranchissement de l’impériale domination de la Russie. Un ferment dangereux dans les ex-Républiques soviétiques que Moscou veut de nouveau arrimer à son char. Un risque qui pourrait fissurer la chape de plomb que le régime poutinien fait peser sur le peuple russe. La peur de la contagion est un puissant moteur de la guerre effrénée qu’il lui livre. Au temps de Valmy, la croisade des Austro-Prussiens devait beaucoup à la crainte que le virus de la liberté, de l’égalité et de la fraternité se diffuse dans tout le continent.

Des « patriotes étrangers » présents à Valmy en 1792 aux combattants internationalistes, venus de nombreux pays, qui ont rejoint l’armée ukrainienne depuis 2022 : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’a cessé de mobiliser au-delà des frontières.

Négationnisme et complotisme pour disqualifier la résistance à l’invasion. Valmy suscita l’horreur des réactionnaires. Ils soutinrent que cette bataille n’en était pas une mais seulement une très insignifiante canonnade ; qu’une armée de sans-culottes n’aurait jamais pu l’emporter sur la meilleure armée d’Europe s’il n’y avait pas eu complot et traîtrise ; que Brunswick avait sonné la retraite car il était pressé de participer au partage de la Pologne. On évoqua de sombres manigances de la franc-maçonnerie et les ravages de la dysenterie. On supposa que Danton avait acheté l’armée prussienne. Le point commun de ces contre-récits ? Jamais, au grand jamais, les peuples ne sauraient être eux-mêmes auteurs et acteurs de leur histoire.

Dans le récit poutinien, qui combine déni de réalité et mensonges éhontés, Maïdan ne fut pas une insurrection populaire et démocratique mais un putsch ourdi par l’OTAN, les Américains, l’Europe et autres « russophobes ». Le peuple ukrainien, son auto-organisation des semaines durant lors de la révolution de la dignité, sa volonté massivement exprimée et sa détermination collective ? Un leurre pour masquer le complot des ennemis de la Russie. Le vol de la Crimée ? Un juste retour de la péninsule dans son giron historique. La déstabilisation orchestrée du Donbass ? Le sursaut spontané de russophones menacés de « génocide ». La guerre d’agression ? Un acte de légitime défense et une fraternelle main tendue de la Grande à la Petite Russie, « peuples frères » que rien ne saurait séparer. D’un siècle à l’autre, les ficelles de la disqualification se ressemblent.

Deux nations en armes se sont retrouvées, à deux époques bien différentes, soudées contre une invasion et fières de ne pas plier. Il en coûte mille fois plus cher à l’Ukraine meurtrie, endeuillée, ravagée, pillée et amputée de tant de ses forces vives. Et pourtant, malgré la fatigue, l’usure, le stress permanent, malgré une aide internationale qui n’a jamais été et n’est toujours pas à la hauteur de ses besoins, le pays refuse de capituler et ses habitants tiennent tête au tyran.

A Valmy, nos soldats furent plus forts de l’adhésion d’une nation dressée à leurs côtés. En Ukraine, ceux qui combattent sur le front et ceux qui résistent dans les territoires actuellement occupés sont plus forts des mille canaux de solidarité que toute la société ukrainienne a construits et fait vivre pour eux.

Valmy fut un signal. L’Ukraine est aujourd’hui un exemple. Nul besoin que tout y soit parfait pour que nous la soutenions de toutes nos forces et appelions nos gouvernements à agir plus fermement car c’est aussi pour notre sécurité et notre souveraineté que ses soldat.e.s se battent en première ligne contre l’impérialisme russe.

Etre fidèles à l’histoire fondatrice de la Révolution française, ce n’est pas célébrer Valmy en oubliant l’Ukraine, comme le font Jean-Luc Mélenchon et autres poutinophiles aveuglés par leur campisme hémiplégique, c’est mesurer à quel point ce bel héritage nous oblige, ici et maintenant.

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