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Billet de blog 7 novembre 2010

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En quête d'un père très troublant

Très discrètement le cinéma le Lucernaire, à Paris, diffuse un étonnant documentaire: Zones grises. Le réalisateur Marc Petitjean y part à la recherche de celui qui lui a toujours dit que «la guerre fut le meilleur moment de sa vie». Il reste juste trois dates pour ne pas le rater.

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Très discrètement le cinéma le Lucernaire, à Paris, diffuse un étonnant documentaire: Zones grises. Le réalisateur Marc Petitjean y part à la recherche de celui qui lui a toujours dit que «la guerre fut le meilleur moment de sa vie». Il reste juste trois dates pour ne pas le rater.

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© DR

«Longtemps j'en ai voulu à mon père...», prévient dès le départ le réalisateur. Son père, Michel Petitjean, pourtant avait de quoi être un héros: reconnu déporté-résistant à l'issu de la seconde guerre mondiale, ce fils d'une petite bourgeoisie de province eut auparavant une vie assez romanesque pour apparaître dans les écrits de Jean Cocteau, Drieu la Rochelle, ou Claude Mauriac. Amant de la Vicomtesse Marie Laure de Noailles chez qui il garda toujours une chambre, ses fréquentations des surréalistes lui offrirent aussi l'occasion d'une relation avec la peintre mexicaine Frida Kahlo.

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Michel Petitjean © DR

On l'imaginerait fort flambloyant, or des quelques séquences où il apparaît, il reste surtout l'image d'un homme taiseux, au regard provocant et impénétrable. Un homme que son fils a toujours connu «absent, dépressif et bougon», et qui, une fois disparu, n'a livré la clé d'aucun des mystères que recelaient les cartons entreposés dans sa cave.


C'est cette énigme que tente de résoudre Zones grises, enquête d'un fils sur son père, qui, vraisemblablement, a navigué entre les années 30 et 50 au gré des courants. Le film le cherche à la trace, et chacun des témoignages emprunte un chemin qui semble ne mener nulle part. Pourquoi cet homme qui créa le journal Toute la France, en 1941, journal engagé auprès du régime de Vichy, est aussi celui que le peintre Jean Helion, cite dans son journal comme celui à qui il doit son salut après son retour de captivité? Pourquoi cet homme, arrêté en 1942 par la Gestapo pour délivrances de fausses pièces d'identité aux personnes évadées, échappa ensuite à la peine de mort? «C'est très étonnant, je ne comprends pas...», admet un conservateur des archives au vu du dossier conservé. Pourquoi cet homme condamné aux travaux forcés puis déporté fut libéré avant la fin de sa peine grâce à l'intervention de Scapini, chef du Service diplomatique des prisonniers de guerre sous le régime de Pétain? «Il avait des relations votre père... des amis dans le gouvernement de Vichy», remarque la commissaire divisionnaire en épluchant le "dossier Michel Petitjean" établi par les services secrets.

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La commissaire © DR

Epatante commissaire dont les interventions qui ponctuent ce documentaire permettent de mettre à distance le père et le fils... A l'inverse des autres témoins qui racontent l'homme qu'ils ont connu («Un vrai dandy... un gars un peu naïf...») avec peut-être l'indulgente sympathie que confère la nostalgie de leur jeunesse commune, la commissaire, au fil de la lecture des fiches, trace le portrait d'«un touche à tout... Un homme qui avait du succès auprès des femmes, qui avait le goût de la vie... Un optimiste...», qui semble avoir traversé l'Occupation tel un caméléon doté de beaucoup d'inconscience. «Il y a des mystères... On ne peut pas tout savoir», rappelle-t-elle au réalisateur.


Sobre et intimiste, ce documentaire –diffusé en mars dernier sur la chaîne Histoire– peut se voir aussi en écho à un autre documentaire (dont Mediapart est partenaire), Le Mur de l'Altlantique de Jérôme Prieur, qui a entamé sa carrière en salle avant d'être diffusé à la télévision très prochainement.

Se voir comme une tentative très habile de comprendre cette troublante époque et une manière de s'affranchir du poids très singulier de l'héritage.

Pour voir un extrait du film, cliquez ici

Illustration 5