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Billet de blog 11 novembre 2016

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Le populisme et la victoire des intérêts particuliers

L’élection américaine qui a consacré Donald Trump a été édifiante à bien des égards, et a eu une résonance particulière dans d’autres nations, tant ce suffrage semble mettre en lumière des dysfonctionnements qui semblent loin d’être propres aux Etats-Unis. Alors que la France se prépare également à une élection présidentielle en 2017, la peur d’un scénario à l’américaine se profile.

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Le populisme peut gagner. Le populisme a gagné.

Certes, l’exemple récent du Brexit en était déjà la preuve, mais à d’autres acteurs, une autre scène.

La longueur de cette campagne américaine, les outrances répétées de Mr Trump et la couverture médiatique de ces dernières sont sans commune mesure. Et l’Amérique, 1ère puissance mondiale dont l’économie et la politique étrangère affectent inévitablement le reste du monde, reste la figure de proue du monde occidental.

La rhétorique, arme de séduction massive

Obama et Trump, à l’opposé, incarnent chacun le côté d’une pièce dont on espère toujours qu’elle tombera du côté qui nous fera gagner.

Si tous les deux ont eu recours à l’émotion dans leurs différents discours, au cours de leur campagne respective pour faire adhérer leurs potentiels électeurs, le premier a eu à cœur de rassembler et apaiser, quand le second a attisé les peurs et les animosités.

Ainsi, une victoire peut aussi être remportée par les mots et leur emploi. Nous ne devons pas minimiser leur importance.

Les mots, en ce qu’ils ont la capacité d’ouvrir les portes sur un autre monde, permettent d’élargir le nôtre. Ils résonnent en nous, suscitent réflexions et émotions. Ils ont le pouvoir d’apaiser le chagrin ou la colère ou nous pousser à la confrontation, de nous mobiliser pour ou contre une cause, ou bien encore de nous séduire ou non…

Ils peuvent dès lors nous élever - dans un cadre favorable - ou bien au contraire flatter nos bas instincts, dans un moment ou un contexte dans lequel nous nous trouvons fragilisés.

Aussi, dans une période difficile et peu clémente où nous sommes tous soumis à des craintes et incertitudes (qu’elles soient réelles ou instillées) : crise économique et ses corollaires que sont le chômage et la précarité, l’immigration et « l’identité nationale », l’ultralibéralisme et la négation de l’individu… Le discours accessible et démagogue de Trump a su trouver un écho.

L’ultralibéralisme comme terreau du populisme

L’ultralibéralisme que nous endurons – exercé sans conscience aucune – en créant des disparités toujours plus grandes, a scindé la société en des classes qui se trouvent aujourd’hui à nouveau en lutte. Et l’Autre, quelle que soit la forme sous laquelle il nous est présenté, n’en est que l’épouvantail.

En outre, en favorisant l’entre-soi sur des motifs financiers ou de pouvoir, les cercles oligarchiques et la reproduction sociale ont été renforcés, laissant un nombre croissant « d’indésirables » sur le côté.

Dans de telles conditions, l’exaspération ne peut être qu’à son comble.

C’est pourquoi, quand Hillary Clinton qualifie les supporters de Trump de « pitoyables », elle, figure de l’establishment, ne fait qu’appuyer et conforter le sentiment même qui les a poussés à se rallier à lui, en dépit des inepties et mensonges qu’il profère : « l’establishment, non content de nous négliger, nous méprise profondément ».

De quoi le vote est-il le nom ?

Enfin, cette élection, tout comme celles que nous avons pu connaître en France, pose aussi la question du vote comme pivot de la démocratie.

En effet, il semble probant que nous assistons de plus en plus à un vote de contestation ou d’opposition, plutôt qu’à un vote d’adhésion ou de conviction.

José Saramago, dans sa tribune « Que reste-t-il de la démocratie ? » parue en 2004 dans le Monde Diplomatique, dénonce déjà le procédé de vote comme une forme de « renonciation ». Si cette forme de délégation de pouvoir ne remplit plus sa fonction de représentation des voix du peuple, mais devient un outil de sanction, alors nous sommes de facto contraints à une renonciation du pouvoir qui nous a été conféré et à l’impossibilité de voir les changements que nous souhaitions s’opérer.

De plus, le constat est amer quand l’une des motivations de vote pour un candidat populiste repose sur le fait que celui-ci se présente comme « anti-système », alors là même qu’il a largement tiré profit d’un système clivant et excluant pour ses intérêts particuliers, au détriment du peuple qu’il prétend défendre et représenter.

Tant que ce système profondément et intrinsèquement inique ne sera pas remis en cause, que la cupidité présidera à des décisions qui engagent bien plus que celui qui les prend, alors la loi du plus fort continuera à nous soumettre à des conditions de vie aliénantes.

A la lumière des évènements politiques (intérieurs et extérieurs) récents, la colère ressentie en France ne paraît ni moindre ni moins légitime, puisque nous souffrons des mêmes maux : défiance envers nos représentants, sentiment d’abandon, d’écrasement et d’impuissance face à un système qui semble omnipotent…

Ainsi, ces mêmes causes pourraient produire de mêmes effets lors de l’élection de 2017. Il ne s’agit pas tant de nous reconnaître « plus » ou « moins » que nos voisins européens ou cousins d’Amérique, mais nous bénéficierons d’un recul dont il faudra tirer parti afin de nous montrer vigilants et ne plus envisager l’exercice du droit de vote comme seul pouvoir au sein d’une démocratie qui se devrait d’être représentative.

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