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Billet de blog 6 juillet 2014

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Avignon IN Dans la Cour d’Honneur : « Malédiction à ceux qui méprisent le rêve »

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Suite à l’annulation de la soirée d’ouverture du Festival In, la vraie première du Prince de Hombourg dans la Cour d’honneur du Palais des Papes a eu lieu samedi 5 juillet, précédée d’une adresse collective des intermittents du spectacle au gouvernement de Manuel Valls.

Quelques minutes après vingt-deux heures, la troupe du Prince de Hombourg au complet, acteurs en costumes et techniciens, et un groupe d’intermittents en lutte, entrent en silence sur le plateau de la Cour d’honneur du Palais des Papes. Alignés, solidaires, arborant le carré rouge symbole du soutien à la contestation, ils disent collectivement un texte adressé au Premier ministre, aux Ministre du Travail et de la Culture, destinataires dont les fonctions sont projetées en grandes lettres sur le mur : « Si nous jouons ce soir, sachez que nous ne sommes pas dupes ». « Malédiction à ceux qui méprisent le rêve » poursuivent-ils, durcissant le ton pour défier « ces Messieurs du MEDEF » en détournant le mot célèbre de Maurice Pialat jeté au public cannois : « Si vous ne nous aimez pas, sachez que nous ne vous aimons pas non plus ». « Nous tâcherons de rester intranquilles et vigilants ensemble » promet l’actrice Anne Alvaro de sa voix si particulière, enveloppée dans le long manteau rouge de l’Electrice, mère de substitution du Prince de Hombourg.

Et c’est elle, penchée sur le rebord d’une fenêtre, qui ouvrira quelques minutes plus tard, après de chaleureux applaudissements, un spectacle précisément tourné vers le rêve, l’histoire d’un prince somnambule condamné pour avoir désobéi. Écrite en 1810, le Prince de Hombourg est la dernière pièce de Kleist (il se suicide en 1811), inspirée des Mémoires de Frédéric II. À la veille d’une bataille importante contre les Suédois, le Prince est surpris en pleine crise de somnambulisme. Troublé par la présence d’un gant appartenant à sa fiancée, Nathalie, il part au combat sans écouter les ordres et sera puni pour indiscipline alors même qu’il est revenu victorieux.

Tendue par des enjeux politiques (quelque peu émoussés aujourd’hui) et amoureux, la pièce oscille entre songe et réalité et inquiète par la présence constante de la mort. La mise en scène de Jean Vilar au festival d’Avignon 1951, avec Gérard Philipe dans le rôle du prince et Jeanne Moreau dans celui de Nathalie, dans cette même Cour d’honneur, est restée dans les mémoires. En acceptant la proposition d’Olivier Py, nouveau directeur du Festival, de se confronter au monument (et à la monumentalité de la Cour), l’italien Giorgio Barberio Corsetti porte le poids de l’histoire et devient presque malgré lui l’étendard d’un retour au texte et à un certain classicisme. Metteur en scène très littéraire habitué, au théâtre comme à l’opéra, à utiliser la technologie et les machines, il ne relève pourtant le défi qu’à moitié. En distribuant Xavier Gallais dans le rôle du Prince, il s’éloigne judicieusement du fantôme de Gérard Philipe en chemise à jabot, mais peine à proposer une vraie lecture de cet homme empêché, empêtré dans ses rêves et manipulé comme une marionnette. À force de chercher plusieurs voies, plusieurs facettes de son personnage, l’acteur, un peu perdu sur le grand plateau de la Cour, prend le risque de n’en rendre aucune vraiment crédible. Face à lui, Luc-Antoine Diquéro (qui avait joué un Don Juan très convaincant sous la direction de Corsetti) campe en revanche un solide Prince-Électeur, figure du pouvoir et de l’autorité paternelle. Restent un travail incontestable sur le sens du texte, qu’on entend parfaitement, et quelques envolées spectaculaires à défaut d’être vraiment originales, incursions dans des mondes cauchemardesques ou dans les profondeurs de l’inconscient, soutenues par des dessins projetés sur le mur ou les éléments de décor : un cheval au galop,  des visages grimaçants aux orbites vides qui laissent apparaître un prince démultiplié, incarné notamment par un contre-ténor qui chante Prison de Gabriel Fauré et Paul Verlaine, « le ciel est par dessus le toit, si bleu, si calme …». C’est beau. Mais que manque-t-il à ce Prince de Hombourg sage et hésitant pour en faire un spectacle à la mesure de la Cour d’honneur ? De l’ampleur et de l’audace,  certainement.

Le Prince de Hombourg de Kleist, mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti, Festival d’Avignon In,  Cour d’honneur du Palais des Papes jusqu’au 13 juillet, 22H 

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