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Billet de blog 8 septembre 2014

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"Le triangle d'hiver" : Mademoiselle rêve.

Après Viviane Élisabeth Fauville, premier roman remarqué, Julia Deck suit l’errance d’une jeune femme aux faux airs d’Arielle Dombasle dans trois villes portuaires.

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Après Viviane Élisabeth Fauville, premier roman remarqué, Julia Deck suit l’errance d’une jeune femme aux faux airs d’Arielle Dombasle dans trois villes portuaires.

Mademoiselle rêve sa vie. Mademoiselle n’a plus d’argent mais ne veut pas travailler ni faire preuve de bonne volonté devant les employés de l’agence pour l’emploi désespérés. Mademoiselle veut être Arielle Dombasle sinon rien. Ou plutôt Arielle Dombasle jouant la romancière Bérénice Beaurivage,  personnage d’un film d’Eric Rohmer. Après avoir quitté avec un réjouissant fracas un poste d’intérimaire chez Darty, l’insolente quitte Le Havre et prend le train pour Saint-Nazaire où elle portera désormais le nom de blonde héroïne rohmérienne. C’est sous cette identité qu’elle rencontre l’Inspecteur, qui devient rapidement son amant, et Blandine Lenoir, journaliste fureteuse et agaçante rivale : les trois sommets d’un triangle parfaitement équilatéral sont dessinés.

Le deuxième roman de Julia Deck est placé sous le signe du chiffre trois et la répétition de la figure du triangle : amoureux, géographique et  astronomique. L’histoire commence au Havre au mois de décembre et se termine dans la même ville après un périple triangulaire qui relie trois villes portuaires, Le Havre, Saint-Nazaire et Marseille. Avec des passages par Paris, inévitable nœud ferroviaire d’une géographie centralisée et port d’attache provisoire pour une femme plus si jeune sans but et sans nom, tentant de se rendre invisible dans l’appartement et la vie d’un homme qu’elle squatte depuis trop longtemps. En astronomie, le triangle d’hiver est un astérisme formé par trois étoiles les plus brillantes visibles de préférence l’hiver dans l’hémisphère nord : Sirius, Betelgeuse et Procyon.

Brillant voire diabolique dans sa construction, haletant comme un polar bien qu’il ne se passe en réalité pas grand chose, précis et obsessionnel dans ses descriptions, le livre fonctionne sur le principe du thème et des variations. Julia Deck joue sur le changement de perspective et s’amuse à perdre le lecteur dans une atmosphère cotonneuse proche de l’absurde. D’abord écrite à la troisième personne du singulier, la narration adopte le « je » ou le « vous » pour tourner autour d’un personnage principal dont on peine à définir les contours : « tu n’existes pas » dit l’Inspecteur exaspéré à la fausse romancière enfin démasquée.

Qu’elle choisisse sa tenue avec un soin maniaque en attendant son amant ou qu’elle regarde partir des bateaux qu’elle ne prendra jamais, Mademoiselle fait de l’oisiveté un art, refusant de se laisser ennuyer par des soucis matériels qu’elle contourne par d’élégantes entorses à la loi. Elle pourrait être une lointaine cousine de Viviane Élisabeth Fauville, la jeune femme meurtrière de son psychanalyste dans le roman du même nom. Avec ce deuxième livre très maîtrisé, Julia Deck confirme son talent, sa singularité et un goût prononcé pour les héroïnes délicieusement cinglées.

Le triangle d’hiver de Julia Deck, Les Éditions de Minuit, 14 euros. 

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