Jean-Hubert Gailliot imagine un mystérieux carnet, source de la modernité de l’art au XXe siècle. Le Soleil : un roman d’aventures captivant et jubilatoire.
Le Soleil est un serpent de mer, une baleine blanche littéraire. Talisman bien réel passé de main en main ou géniale mystification ? Ce manuscrit perdu, « absolu de la littérature » serait en tout cas la clef de la modernité si l’on en croit Alexandre Varlop, écrivain en panne mandaté par une éditrice à Mykonos, l’une des Cyclades, pour retrouver le mystérieux carnet jaune dont on a perdu la trace en 1961. Son dernier propriétaire connu serait le peintre Cy Twombly, à qui il aurait été « dérobé dans des conditions rocambolesques ». Avant lui, il aurait été offert à Man Ray par sa première épouse, Donna Lecoeur (Adon Lacroix), puis remis par Man lui-même au poète Ezra Pound, futur auteur des Cantos. Pour mener l’enquête, l’écrivain mercenaire s’immerge dans les œuvres des trois artistes pour comprendre ce qui les unit. « Man : érotique voilée. Ez Pound : lyrisme viril. Cy Tw. Sang+merde » écrit Varlop dans ses notes. Tel Ulysse, il va se laisser charmer par une Circé personnifiée par Suzanne, une française qui prétend photographier des cubes blancs pour mieux lui voler le fruit de ses recherches.
Créateur des éditions Tristram en hommage au Tristram Shandy de Lawrence Sterne, Jean-Hubert Gailliot signe un roman fleuve et englobant qui emporte le lecteur autant qu’il le perturbe. Commencé à la première personne du singulier, le récit de Varlop va passer à la troisième pour se terminer à la deuxième, adresse à une bien nommée Solución, jeune femme rencontrée à Formentera, près d’Ibiza. Entre les Cyclades et les Baléares, il va faire escale à Palerme pour un épisode proche d’une transe érotique et hallucinatoire et, capitaine Achab sous substances, voit enfin sa baleine rose. Mykonos, Palerme, Formentera : le roman se découpe en trois parties, trois points reliés par un étrange phénomène lumineux. Dans chaque ville, l’apprenti espion semble se fondre dans des paysages peints comme des décors de films.
Foisonnante plongée dans l’histoire artistique et littéraire du XXe siècle, Le Soleil se lit comme un roman d’espionnage digne de James Bond (le narrateur croise à Mykonos un couple nommé Fleming). Mais le sulfureux cahier jaune, « objet perdu de la modernité » est-il réellement le but ultime de l’écrivain en crise ? Comme tout voyage au long cours, Le Soleil devient une quête intime, ouvre de multiples voies, pose la question de l’héritage, de la transmission, des générations, perdues ou non : « Toutes les générations sont perdues, se souvint-il, il n’y a pas de génération perdue ». Aussi érudit que généreux, Jean-Hubert Gailliot ouvre la boite de Pandore et laisse s’échapper rêves et mythes, poètes en quête d’absolu et héroïnes éperdues. Il signe un roman forcément solaire qui ouvre grand les portes de l’imaginaire et, comme le suggérait Pound, « butine la lumière du monde ».
Le Soleil, de Jean-Hubert Gailliot, Editions de l’Olivier, 20, 50 euros.