À l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain, la BPI en coproduction avec l’IMEC expose l’œuvre de Marguerite Duras à travers des archives et des manuscrits en insistant sur le lien entre l’écriture, le théâtre et le cinéma.
Duras c’est d’abord une voix. Une voix musicale, enveloppante, parfois tranchante. Celle qui traverse les livres, les films, les pièces de théâtre ou les articles de journaux, celle qu’on a encore dans l’oreille, presque vingt ans après sa mort survenue en 1996. Judicieusement intitulée Duras Song, l’exposition réussit le pari de montrer des archives, des brouillons, manuscrits et tapuscrits sans perdre la chair de l’œuvre. Car c’est bien l’œuvre qui est exposée ici et non la vie de l’écrivain né en 1914, même si les deux sont intimement mêlées. Certains documents ne sont jamais sortis de l’appartement de la rue Saint-Benoît, comme un précieux pêle-mêle de photos de l’époque indochinoise prêté par Jean Mascolo, fils de Marguerite Duras et Dionys Mascolo. La majorité provient du fonds qu’elle a elle-même déposé à l’IMEC (l’Institut mémoires de l’édition contemporaine) en 1995. Le choix scénographique réalisé pas l’artiste franco-vietnamienne Thu Van Tran renforce l’impression de pénétrer dans une caverne et au cœur de l’écriture de Duras. L’exposition est séparée en deux moments : Outside/Inside, le monde extérieur et l’intérieur qui se livre au visiteur comme un secret bien gardé. Dans la lignée d’ Ecrire Duras, l’une de ses pièces, l’artiste scénographe a choisi de badigeonner tout le mur extérieur de la boîte qui abrite l’exposition de bleu de méthylène, la couleur utilisée pour marquer les livres condamnés au pilon.
Outside, titre de deux recueils d’articles parus chez POL en 1984 et 1993 évoquent les liens de Duras avec le monde, ses prises de position politiques, de l’engagement dans la Résistance au côté de François Mitterrand alias Morland aux entretiens avec le même Mitterrand devenu Président de la République, en passant par le manifeste des 121 ou le très contesté Forcément sublime, Christine V. l’article sur Christine Villemin paru dans Libération. Entre deux couvertures de livres ou coupures de presse, on s’arrête sur la photographie d’un pique-nique en 1943 montrant Marguerite Duras entre les deux hommes de sa vie : son mari Robert Antelme, avant son arrestation en 1944, et son amant, Dionys Mascolo, rencontré chez Gallimard. Dans la vitrine toute proche, est exposé le cahier beige de La Douleur que Duras dit avoir oublié puis retrouvé dans sa maison de Neauphle-le-château, ouvert à la page du texte Pas mort en déportation dans lequel elle raconte le retour d’Antelme de Dachau en 1945.
« Je suis quelqu’un qui n’est jamais revenu de son pays natal » a écrit Duras dans La Vie Matérielle, en 1987. De même que l’Outside s’ouvre sur une carte de l’Indochine à l’époque coloniale, l’Inside est fortement marqué par l’atmosphère que l’écrivain a recréée à l’hôtel des Roches Noires de Trouville, l’ancien palace dans lequel elle avait acheté un appartement : « un hôtel en Normandie avec vue sur le Mékong » selon le psychanalyste Gérard Wacjman dont les fenêtres en ogive de Mallet Stevens ont été recrées dans la salle d’exposition. La lumière s’estompe pour permettre au visiteur de glisser dans une lenteur toute durassienne et se laisser surprendre par extraits de films et archives prêtées par l’INA : Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, Le Camion avec Gérard Depardieu et bien sûr India Song avec le beau visage de Delphine Seyrig.
Avec India Song, dont le tapuscrit est déployé dans une vitrine, avec ses ratures, ses personnages entourés au feutre de couleur, nous pénétrons au cœur de ce que Jean-Max Collard, commissaire scientifique de l’exposition, appelle la « transmédialité » de l’œuvre. « Quand elle écrit, elle ne sait pas si ça va devenir un roman, une pièce ou un film : India Song vient d’une pièce radiophonique, passe par le théâtre, le cinéma… ». Les liens, les va et vient entre littérature et cinéma sont particulièrement passionnants et permettent mieux de comprendre l’immersion de Duras dans le septième art, l’utilisation de la voix off, la désynchronisation de la voix et des images, sa manière autoritaire de diriger ses acteurs. Dans un document télévisé on la voit froisser rageusement une feuille de papier en donnant des indication à Yann Andrea sur le tournage d’Agatha ou les lectures illimitées « ne fais jamais semblant, ça te préoccupe cette caméra … ». Dans Outside 2, Le monde extérieur, on trouve peut-être une clef dans un texte sur L’Homme Atlantique, dernier film réalisé avec les chutes d’Agatha, osant dans sa radicalité utiliser le noir pour faire entendre la parole. « Je crois que j’ai cherché dans mes films ce que j’ai cherché dans mes livres», écrit Duras à propos de ce noir qu’elle appelle « l’ombre interne ». « En fin de compte, il s’agit d’une diversion et seulement de ça, je n’ai pas changé d’emploi. Les différences sont très petites, jamais décisives ».
Duras Song, portrait d'une écriture, exposition à la BPI (Centre Pompidou) jusqu'au 12 janvier
Une programmation de rencontres, lectures, projections est associée à l’exposition :
Le 20 octobre à 20h avec Dominique Blanc lit des textes de Duras.
Le samedi 15 novembre, soirée littéraire, Ecrire après Duras, avec la participation de Christine Angot, Thomas Clerc, Emmanuelle Pireyre, Oliver Rohe, Dominique Sigaud, etc.
Une soirée vidéo aura lieu le 17 novembre intitulée Et Après Marguerite Duras