La jeune génération s’empare d’une histoire qu’elle n’a pas vécue avec La imaginación del futuro, un spectacle provocateur qui crée le malaise et divise le public du festival d’Avignon. Questionnement salutaire ou réécriture malhonnête de l’histoire ?
Salvador Allende est-il responsable des horreurs commises sous Pinochet ? Son utopie socialiste était-elle le caprice d’un président bourgeois qui a fait du Chili un pays néolibéral vendu à l’impérialisme américain ? Les traces de cette idéologie subsistent-elles encore dans le système actuel ? En interrogeant l’histoire de son pays, Marco Layera, né en 1977 sous la dictature, pose les questions qui fâchent avec une énergie de sale gosse, un sens de la provocation et de la démesure qui n’évitent pas le mauvais goût et les raccourcis faciles. Sa compagnie s’appelle la Resentida, le ressentiment, c’est dit : il a des comptes à régler, comme beaucoup de jeunes gens de sa génération.
Le 11 septembre 1973, Salvador Allende, président socialiste démocratiquement élu en 1970 est renversé par une junte militaire qui lance un assaut contre le palais de la Moneda. Quelques minutes plus tôt, Allende prononce un discours resté célèbre sur les ondes de Radio Magellanes : il refuse de démissionner et de fuir devant les putschistes et annonce son suicide. Le discours d’Allende est pour Marco Layera une scène primitive rejouée à l’infini. De manière très habile et plutôt drôle (quoi que totalement hystérique) le metteur en scène se glisse dans les coulisses du Palais de la Moneda et montre Allende comme une marionnette à la merci de ministres et conseillers en communication qui réécrivent le discours comme un spot de publicité pour le rendre plus vendeur, larmoyant, aguicheur, ou révolutionnaire. La méthode évoque No, le film de Pablo Larrain, qui racontait un autre épisode de l’histoire chilienne : le recours à un communiquant pour préparer le référendum de 1988 qui a ouvert la voie à la transition démocratique.
La imaginación del futuro, l’imagination de l’avenir, joue en permanence sur les codes du show télévisé, en utilise les facilités tout en dénonçant les mirages de la mise en scène du pouvoir et de la misère. Le spectacle bascule avec l’arrivée sur scène d’un adolescent pauvre, extirpé d’une caisse estampillée « par avion ». Un présentateur bonimenteur se lance dans un appel à la charité pour payer les études de ce « petit Roberto » dont on nous affirme qu’il n’est pas acteur et joue son propre rôle de victime. Le public médusé se laisse instrumentaliser jusqu’à ce qu’une jeune comédienne nue propose à un spectateur, filmé par une caméra de surveillance, de lui faire une fellation pour l’inciter à donner de l’argent. Malaise.
Marco Layera veut choquer, secouer, faire sortir le public de sa torpeur en le prenant à partie et dénoncer les inégalités dans un pays qui est toujours, selon lui, « un conclave bananier ». Si cette scène fonctionne plutôt bien et déstabilise à bon escient, la Imaginación del futuro n’évite pas les outrances gratuites, diatribes de circonstance contre Benjamin Netanyahu ou Marine Le Pen, qui ne font qu’affaiblir son propos et le noient dans une bouillie informe. Commencé dans le registre de la farce potache, le spectacle devient glaçant quand la marionnette d’une jeune fille vient visiter Allende dans son sommeil pour lui raconter comment elle a été torturée sous Pinochet. Le procédé est efficace d’un point de vue théâtral mais extrêmement discutable sur le fond. En épousant la thèse des détracteurs d’Allende, martyr populaire et héros de son enfance, Layera brûle les idoles pour réveiller le débat social et nourrir son penchant pour la caricature. La causticité et l’esprit critique sont une qualité mais cette démarche n’est-elle pas une pure et simple réécriture rétrospective et assez malhonnête de l’histoire ?
La imaginación del futuro de Marco Layera, au Festival d’Avignon jusqu’au 25 juillet à 22H. Cloître des Carmes.
Du 3 au 11 décembre au Théâtre de la Ville (Paris)