Jusqu’au 2 mars, le collectif énervé fondé par Jean-Christrophe Meurisse secoue le Théâtre du Rond-point. Après Une raclette, la bande reprend Nous avons les machines, un autre spectacle de son répertoire, et crée une lecture performance.
Casser les meubles, mettre la scène à feu et à sang : concernant les Chiens de Navarre, ces formules sont à prendre au pied de la lettre. La liberté est le maître mot de ce collectif né il y a une dizaine d’années et qui s’est fait connaître avec Une raclette, créé il y a sept ans et repris régulièrement depuis. Ils sont huit acteurs qui sont aussi les auteurs des spectacles, dirigés par Jean-Christophe Meurisse qui assure le rôle de chef de meute et de metteur en scène. Avec leurs titres à rallonge, leur goût pour les blagues salaces et le faux sang façon grand guignol, les Chiens de Navarre ont un humour qui dérange, provoque parfois le malaise mais décoince toujours les convenances et les conventions. Une raclette mettait en scène l’irruption des de la pulsions les plus noires au milieu d’un banal dîner entre voisins et poussait le spectateur dans une zone d’inconfort. De la même manière, Nous avons les machines commence autour d’une table : des représentants d’associations se réunissent avec les adjoints à la mairie d’une petite ville pour organiser une fête culturelle et collecter des dons. Très vite la discussion tourne au dialogue de sourds. S'ils ne se targuent pas de dénoncer ou de caricaturer une classe sociale en particulier, les Chiens de Navarre observent, décortiquent, grossissent les travers de l’époque : la réunionite, le langage de la communication vide de sens, les engagements humanitaires naïfs ou destinés à se donner bonne conscience. La force de Nous avons les machines, l'esprit sale gosse, affreux, sale et méchant, prend tout son sens dans la deuxième partie du spectacle, quand après une apocalypse miniature, les acteurs reviennent jouer la même scène déguisés en cyborgs. C’est cru, sanguinolent, trivial à souhait : un carnaval, une sarabande, un jeu de rôles dont on peine à discerner ce qui est écrit de ce qui est improvisé. Jouée uniquement les samedis et dimanche, Regarde le lustre et articule est une performance créée spécialement pour le Théâtre du Rond-Point qui permet justement d’avoir un aperçu de la méthode et de la technique des Chiens de Navarre. La formule du titre est attribuée à Louis Jouvet qui aurait dit à un comédien « Quand tu ne sais plus quoi faire, regarde le lustre et articule ». Rarement présent sur scène, Jean-Christophe Meurisse vient cette fois donner la consigne : c’est une lecture à la table, texte en main. À ceci près que les pages sont vierges : il s’agit donc d’improvisation totale, seulement avec les mots. Assis dans la salle, le metteur en scène donne le rythme, décide qu’une scène doit s’arrêter ou au contraire se prolonger, met certains comédiens en avant, parfois en difficulté. C’est un exercice (comme on en voit dans les cours de théâtre) sans filet qui montre la grande inventivité de cette bande d’acteurs, leur plaisir de jouer ensemble, leur capacité à se surprendre, à se faire rire, et la très fine connaissance qu’ils ont les uns des autres. Le résultat, probablement très variable d’un jour à l’autre, est jubilatoire, totalement foutraque, entre le cadavre exquis des surréalistes et le « nonsense » des Monty Python.
Festival Les Chiens de Navarre, jusqu’au 2 mars au Théâtre du Rond-Point (Paris)