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Billet de blog 30 avril 2014

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La chambre d’écho planétaire de Patrick Bouvet

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans Carte son, l’écrivain, chanteur et compositeur poursuit son travail d’exploration des mythologies modernes à travers le portrait d’une star de la musique.

L’écriture de Patrick Bouvet est son, images et matière. Depuis In situ, son premier texte paru en 1999 aux éditions de l’Olivier, il pratique une littérature plasticienne inspirée par le cut-up, nourrie de musique rock et de flux d’images, entre fascination de fan et distance critique. Deux ans après Pulsion lumière, un texte consacré au cinéma, il publie Carte son, un livre halluciné, centré sur une mystérieuse pop star calfeutrée dans un ranch qui évoque le Neverland de Michael Jackson ou le Graceland d’Elvis Presley.  De cette star, on ne verra rien, sinon un clip, succès mondial aussitôt pastiché et viralisé par le net, captivante scène d’ouverture du livre. Qui se cache derrière cette créature irréelle « mi-femme mi-panthère », à la voix déformée par les effets synthétiques qui écrit sa légende et vit entourée de reliques des icônes du rock et du cinéma, de Judy Garland à Iggy Pop ? Comme les cartels d’une exposition d’art contemporain, ces objets fantômes et orphelins sont centrés sur la page blanche : « Une dent de John Lennon arrachée dans les années 60 », « la bible usée (et largement annotée d’Elvis Presley) ».

Avec sa logique pirate, sa capacité à s’autoalimenter, internet est une « chambre d’écho planétaire » qui  fait flamber les rumeurs et diffuse les mythologies modernes. Elevée par un père gourou concepteur de logiciels sous LSD, nourrie d’images de dessins animés et des sons électroniques qu’elle sample à l’infini, la star est la parfaite incarnation de ce monde « scintillant et clos sur lui-même » proche des mondes parallèles. Entre confessions et révélations « distillées sur le net » par un ex-employé, son avocat ou des tabloïds, sa biographie semble lui échapper et vire au conte cauchemardesque : comme sur internet, toutes les sources d’information sont mises sur le même plan, tout passe par le filtre des smartphones, des vidéos youtube, des écrans de surveillance.  À mesure que le livre avance se met en place un climat d’angoisse et de paranoïa renforcé par la présence d’un traqueur fou, un « résident fantôme » qui s’introduit dans la villa de l’idole solitaire. Comme un trip chimique, une expérience médiumnique savamment contrôlée, réalité et fiction se mêlent en un tourbillon sonore et visuel. Quelle est la différence entre les stars d’hier et cette chanteuse quasi-virtuelle qui partage sa vie avec un enfant humanoïde ? Dans le monde que décrit Patrick Bouvet la musique semble passer au second plan et les artistes sont devenus des monstres de foire.

 Peut-être parce qu’il est aussi musicien, Patrick Bouvet sait à chaque livre saisir l’époque comme un matériau, loin des effets de mode, avec une rare économie de moyens. Entre long chant, poème et collage, Carte son est une expérience sensorielle qui n’oublie jamais le sens en chemin. On peut se laisser hypnotiser par la forme et relire à haute voix ce texte bref et percutant pour en saisir toute la pertinence. Comme toujours, le livre s’accompagne d’un teaser vidéo qui donne une idée de la singularité de l’univers de l’auteur et de son talent de performer.

https://www.youtube.com/watch?v=5KR1lYtXjY4

Carte son de Patrick Bouvet, Éditions de l'Olivier.

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