
Agrandissement : Illustration 1

Dans le salon bleu du Mucem, où débute la conférence de presse, Jean-Michel Djian, le commissaire de Café in, est assis entre le vice-président de la fondation Malongo et un représentant de TechnicoFlor, partenaire de l’exposition qui a créé pour l’occasion des bornes olfactives. Le journaliste se dit « particulièrement fier de présenter la première grande exposition consacrée au café en France » à Marseille, où fut ouverte la première « maison de café » au XVIIe siècle et où ont longtemps transité les importations en direction de l’Europe. De son côté, Jean-Pierre Blanc1 (à ne pas confondre avec Henry Blanc, le terrible torréfacteur préféré des bistrots marseillais), se réjouit de voir aboutir ce projet initié il y a une dizaine d’années. Son entreprise a coproduit l’exposition à hauteur d’un tiers du budget, estimé à « environ 1 M d’euros ». En présentant plus de 300 objets, documents et œuvres d’art dans un espace de 1000 m2, Café in entend faire date et se targue d’avoir obtenu des prêts « exceptionnels » du Louvre, du musée d’Orsay, de la Manufacture de Sèvres, et… de la collection Malongo. L’entreprise installe par ailleurs au fort Saint-Jean, pendant la durée de l’exposition, le Comptoir des raretés : un « corner invitant à la découverte des plus beaux terroirs caféiers du monde ». Autrement dit, une boutique.
Le café au Mucem, pourquoi pas ? Après l’expérience malheureuse de Food, une exposition itinérante accueillie en 2015, le Mucem aurait pu montrer comment un « musée de société » peut s’emparer d’un sujet « alimentaire ». Le parcours élégamment scénographié par Jacques Sbriglio, l’architecte qui a signé Picasso, se répartit en cinq séquences : historique, géographique, scientifique, économique et sociale. Dans la première salle, on apprend qu’une « légende enracinée dans la corne de l’Afrique permet de découvrir les premières traces de la consommation de café en Éthiopie… » Sur les cimaises, cohabitent des lettres et documents historiques, le moulin à café de voyage de Napoléon, des photographies du « rituel du café » prises par Marcel Griaule, des linogravures de William Kentridge, un paysage de Victor Hugo peut-être peint au café, une évocation de la « cantate du café » de Bach et de l’addiction de Balzac, « qui buvait 50 tasses de café par jour et en serait mort », raconte Jean-Michel Djian. Dans la deuxième section, il est question des « 12 villes qui ont fait l’histoire du café » : « d’Aden à New York en remontant par La Mecque, Le Caire, Constantinople, Venise, Marseille, Vienne, Paris, Londres, puis en s’en retournant à San Paulo ou à La Havane. » Un choix discutable, justifié par le fait que « le café est à la fois un breuvage et un lieu ». Chacune a droit à son espace, mêlant textes d’écrivains, photographies de bistrots, archives et œuvres… Clou du spectacle, dans la dernière salle, une installation de l’artiste cubain Roberto Fabelo, constituée de 250 cafetières en aluminium soudées et intitulée Cafédral. Le parcours se poursuit sur le même ton : la section « Une logique de marché », conçue « de manière ludique », affiche par exemple « en temps réel » les cours du café à Londres (robusta) et New York (arabica). « L’économie du café est très complexe », précise le commissaire. Et de s’enthousiasmer sur un nouveau textile fabriqué à base de marc de café. Censé « permettre au visiteur de comprendre les enjeux économiques du café comme seconde production mondiale après le pétrole », le « mur vidéo de plus de 180° » achève de l’égarer loin de ce qu’Antony Wild appelle la « sombre histoire du café ».
Si l’origine africaine du café est évoquée en introduction, le continent et, en particulier la zone subsaharienne, disparaissent assez vite du paysage de Café in. Chose plus incroyable encore dans un musée national dit « de société », l’esclavage et la colonisation sont passés sous silence. De même que les très difficiles conditions de vie et de travail de la très grande majorité des producteurs de café à notre époque (mis à part ceux qui travaillent avec les Cafés Malongo, si l’on en croit une vidéo présentée en fin de parcours). Pourquoi ce déni ? Relève-t-il de l’inconscient, du souci de ne pas ennuyer le visiteur avec des « détails » contrariants ou de la volonté d’occulter un pan de l’histoire ? Pourtant, « c’est à ce prix que vous buvez du café en Europe », aurait pu écrire Voltaire.
(1)Vice-président de la fondation Malongo, Jean-Pierre Blanc est également le directeur général des Cafés Malongo.