sophie rostain

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Billet de blog 1 février 2009

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LE FROID, LE DÉSIR, LES DIVISIONS...

Il a fallu du temps pour digérer un peu cette crise-là. La canne et tout le reste. L’émotion née de certains mots lus, l’incrédulité aussi, bien sûr...Et puis, il y a eu le jeudi où j’ai emmené Mouflet s’éduquer un peu dans la rue. « Mouflet, mets ton écharpe, on va voir le monde tel qu’il a décidé de marcher, de Bastille à Opéra. » Mouflet aime bien aller voir le monde, air connu. Il trouve, sans rien dire, qu’on ne le fait pas trop en ce moment.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il a fallu du temps pour digérer un peu cette crise-là. La canne et tout le reste. L’émotion née de certains mots lus, l’incrédulité aussi, bien sûr...
Et puis, il y a eu le jeudi où j’ai emmené Mouflet s’éduquer un peu dans la rue. « Mouflet, mets ton écharpe, on va voir le monde tel qu’il a décidé de marcher, de Bastille à Opéra. » Mouflet aime bien aller voir le monde, air connu. Il trouve, sans rien dire, qu’on ne le fait pas trop en ce moment.
Faut prendre des forces pour s’éduquer dans la rue, j’ai offert un steack haché frites à Mouflet et à moi un steak tartare frites, la carte bleue a accepté de payer. Je n’étais pas tout à fait de bonne humeur. Je lui ai servi un drôle de repas de Crise. En entrée, tu ne travailles pas assez, en plat de résistance, tu vas redoubler, en dessert, tes potes ne te parleront plus si tu redoubles. Le tout arrosé de mauvaise foi, de la bile de crise.
C’est cela aussi la Crise, cette panique qui vous prend, violente, ces mots cruels que l’on balance à la tête de Mouflet –cet air qu’il alors de ne rien comprendre, ni à ce qu’il fait de mal, ni à ce que sa mère lui dit.

La Crise, c’est la noyade de toute raison, les vagues successives qui vous engloutissent, vous avez beau savoir qu’il ne faut pas se débattre, rien n’y fait. Et vous vous retrouvez devant un steack-frites à dire des horreurs à Mouflet, de ces atrocités que Not’Omniprésident ne renierait pas.
La version parents du « Travailler plus pour gagner plus », c’est « Je veux que tu aies dix sur dix de moyenne. » La France qui se lève tôt, version parents, c’est, tous les matins à 7h29 : « Tu t’es encore endormi tard hier soir, c’est pas comme ça que t’auras de bonnes notes. » La démagogie sarkozienne version parentale, c’est « Regarde ton copain, V…, lui, il travaille. » Dans deux minutes, j’ajoute le montant de son salaire !
Il est possible, malgré tout, que la honte qui me vient au front dans la minute qui suit ne soit pas tout à fait dans la tradition sarkozienne. La honte n’est pas une valeur néo-libérale, ça se saurait.
Marchant vers la Porte Saint-Martin, la sale bile a reflué. Difficilement. Lentement.
On a fini par arriver au stand de mes camarades dangereusement gauchistes de RESF. Il y avait une belle banderole noire à lettres blanches contre les « raffles » (sic), contre le récent Ministre de l’Identité nationale, de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire (sic !), Eric Besson. On a rigolé un peu en parlant de la première manifestation médiatique de ce monsieur : intenter un procès à RESF, il n’aime pas être appelé Ministre de la Rafle et du Drapeau, on a fait signer des pétitions (tiens, si vous avez le temps… l’intérêt avec l’objectif des XXXXX mille reconduites à la frontière, c’est qu’on a toujours des familles de personnes privées de papiers en réserve : http://www.educationsansfrontieres.org ), on vend des cartes postales à adresser à Eric Besson, aux bons soins de N.S.

Et surtout, on regarde les gens passer. Les salariés, les pas salariés, les têtes chercheuses de l’Université à qui Valérie Pécresse cherche de sales poux, les têtes bien faites qui soignent les fous dont la société ne veut plus, les « Ni pauvres, ni soumis »… Le sourire de cette fille dans sa chaise roulante, poussée par un ami, toute mitouflée dans une couverture de survie genre cosmonaute. Elle était belle cette fille. Et vivante. Il y avait des profs aussi, bien sûr, et des parents. Il serait temps que les parents bougent, le saccage a déjà si avancé.
Des centaines et des centaines de gens que Mouflet regardait. Il avait froid, bien sûr… Tape dans tes mains, saute en l’air. Et regarde, Mouflet. La dignité d’un homme. Et la peur, et la colère. Et le désir que quelque chose change. Et tant pis si ce désir est diffus, informulé, c’est ça non, le désir ? On est rentrés, un peu gelés. Sur la porte de sa chambre, sous l’affiche de « Cette France-là », Mouflet a collé l’autocollant « Rêve Générale » et « Ni Pauvres, ni soumis ».
Après, on s’est mis à nos comptes. Pas ceux des syndicats ou de la Préfecture. Ceux de la maîtresse, les multiples de 2 et 5.
Ça c’est terminé par un gros câlin doux. Comme on sait faire. Pour réparer les dégâts de la Crise.

Le soir, j'ai essayé de répondre à cette question : quand parler de son handicap. C'est la question qui me hante depuis le commencement de ce blog. J'ai jeté quelques réponses sur du papier. J'ordonne ces bribes et je mets en ligne bientôt.

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