sophie rostain
Journaliste, mère d'un mouflet de 10 ans
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Billet de blog 22 août 2011

sophie rostain
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HANDICAPÉS, RESTEZ COUCHÉS !

Handicapés, restez couchés !Ne vous avisez pas de travailler ou il vous en coûtera. Cher. Très cher !

sophie rostain
Journaliste, mère d'un mouflet de 10 ans
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Handicapés, restez couchés !Ne vous avisez pas de travailler ou il vous en coûtera. Cher. Très cher !

Handicapés, restez couchés ! Nerêvez pas de reprendre une place, même petite, parmi vos semblables.

Ne rêvezpas de sentir, dans le petit matin, l’aimable odeur du premier caféannonciateur d’une belle journée de travail. Ne rêvez pas de marcher, celafaisait si longtemps, la tête haute, au pays du travail, de la normalitésociale !

Sinon quoi ? Sinon, la CAF quivous verse votre Allocation adulte handicapé (727,61 €, augmentés danscertains cas de la Majoration pour vie autonome de 104,77 €, histoire de voushisser de quelques euros au-dessus du seuil de pauvreté (entre 733 et 880 €) vous coupera immédiatement la tête. Je lesais, j’ai essayé !

Après des années, longues, pénibles,d’inactivité, le 20 mars dernier, j’ai retrouvé le chemin, étroit, du travail.Un hebdomadaire avec lequel je collaborais avant mes années-cancer m’a achetéplusieurs piges.

56,55 € au mois d’avril, 226,22 €en mai, 183,81 € en juin. Au total, 466,58 €. Pas la lune, mais un sacré rayon de soleil aprèsdes mois un peu tristounes.

Comme la loi m’y invite depuis le 1erjanvier 2011, j’ai déclaré mon changement de situation à la Caissed’Allocations familiales qui me verse l’Allocation adulte handicapé, laMajoration pour la vie autonome et l’APL. Et comme je suis d’un naturel plutôtlégaliste, je déclare mon changement de situation dès le 31 mars, sans avoirencore touché de salaire qui sera versé le 30 avril. En précisant bien que jesuis pigiste, pas salarié, que mes revenus varient d’un mois l’autre, que je nepeux pas deviner à l’avance ce qu’ils seront. Ni si j’en aurai.

Jusqu’alors, la déclaration étaitannuelle, le calcul des allocations itou ce qui pouvait conduire à dessituations périlleuses : l’année 2010 on gagnait X ; l’année 2011, enjuillet, la CAF recalculait vos droits en fonction de ce que vous aviez gagnéen 2010 sans se soucier de savoir si vous travailliez toujours. On pouvait doncse retrouver sans allocation et sans travail du jour au lendemain. La loi envigueur aujourd’hui voudrait ajuster l’allocation en temps quasi-réel (tous lestrois mois).

Louable intention, quand ellen’ouvre pas sur le n’importe quoi.

Le 31 mars, je déclare donc monchangment de statut. Le 30 avril, je touche mes premières piges de 56,55 €.

Le 13 mai, la CAF, en pointe comme jamais dans lachasse aux assistés fraudeurs, supposés ou réels, procède à une retenue de 355,98€ sur mon allocation. Je ne reçois aucunenotification et, j’avoue, à ma grande honte, prise dans l’euphorie du travailretrouvé, un brin surexcitée de cette lumière revenue, que je ne vérifie pas sur lesite de la CAF le montant de l’allocation versée. Je ne m’en apercevrai qu’enjuin. Mois où l’allocation redevient « normale ».

En mai, je gagne 226,22 €, en juin183,81 €.

Je suis hospitalisée d’urgence quatrejours en pour calmer un peu quelques douleurs récalcitrantes. À coup decortisone et de morphine, ça marche.

Prise dans cette urgence, j’avoue(maxima culpa) que non, je ne me soucie pas de la retenue opérée en mai par laCAF. Naïveté coupable, je pense qu’ils vont régulariser tout ça début juillet,quand ils recevront ma déclaration trimestrielle.

Adorable naïveté ! Débutjuillet, j’envoie comme prévu ma déclaration qui porte le détail mensuel et letotal trimestriel de ce que j’ai gagné : 466,58 €. Et je prépare mesvacances ! L’hebdomadaire ne fait pas beaucoup bosser ses pigistes pendantl’été ; je rêve de ces vacances depuis 2008, quitter un peu la France,accepter l’invitation de mes amis tunisiens ; traverser la mer et allervoir un peu comment se fait, in situ,une révolution arabe. Le billet pour la traversée coûte 480 euros pourMouflet et moi (voyage + un fauteuil à 2 euros). C’est cher, mais quoi, là-bas,je dépenserai peu. Et puis, j’ai envie de fêter mon boulot retrouvé, l’été, lepassage de Mouflet en 5ème, c’était pas gagné, faudra bosser tout l’été.

Du 18 au 31 juillet, me voilà doncà Hergla, village tunisien puis à Tunis. Je laissé la France, sa peur et sagrisaille, je revis.

En apparence ! Le 28 juillet, la CAF s’occupe de mondossier, et pas qu’un peu : une retenue de 523,35 € est faite sur l’allocation du mois d’août.

Au total, je le rappelle parce queça m’épate toujours : pour avoir gagné 466,58 €, la CAF m’a retenu 879,23 €. Je ne suis pas douée en %, mais dans macomptabilité perso’, ça fait quelque chose comme presque le double.

Je prends(encore !) une dizaine de jours de vacances (la culpabilité s’est envoléeen Tunisie), sans téléphone, sans ordinateur.

Retour à Paris le 11 août pourapprendre la retenue opérée.

Le vendredi 12, j’appelle la CAF.Intéressant coup de fil où j’apprends, en vrac, que « Oh, non, onn’envoie plus de courrier » auxallocataires pour leur signifier les dernières modifications de leur statut,ils sont censés tous avoir Internet et attendre le relevé de compte-chèques…Pas de date, pas de preuve, on peut faire tout et n’importe quoi, impunément.

La conseillère, lors de ce premiercoup de fil, prend note de ma demande : connaître le barème et la loi quipermettent de si étonnantes opérations. Un technicien me rappellera, le mardi16 ou mercredi 17.

C’est une technicienne, le jeudi18, que j’appelle. Du genre appliqué. Elle constate la retenue, m’explique : « c’est parce que vousavez changé de statut. » Certes. Mais encore...

- Vous devez être inscrite à Pôle Emploi.

- Euh, non, puisque je viens de retrouver du travail…

- Ah. Oui.

- Mais, pouvez-vous m’expliquer la retenue du mois de maipuisqu’en avril, je n’avais gagné que 56 euros ?

- Ah, mais c’est indépendant…

- Comment ça, indépendant ?

- Ben, il y a le changement de statut et le salaire…

- Je ne comprends pas bien. Vous pourriez me donner lebarème qui me permette de comprendre comment vous calculez les retenues.

- Ah, mais Madame, nous ne sommes pas là pour ça ! On nepeut pas vous aider à cumuler l’allocation et les salaires !

Nous yvoici ! Je suis une fraudeuse. Les 56 euros d’avril signent mon désircoupable de “cumuler” !

- Mais, enfin, c’est absurde, si je voulais frauder, jen’aurais pas déclaré mes revenus. Je ne veux rien cumuler du tout. Je veuxseulement comprendre ces retenues…

- Ah, mais on a appliqué la législation, c’est tout.

- La législation…. Arrêtez de répéter ça ! On n’estpas en Roumanie sous Ceausecu !

Là, j’avoue, jem’énerve un peu… Le discours du fonctionnaire abrité derrière sa législationcensée demeurer opaque au servum pecus me fait depuis toujourspenser au chef de gare qui voyait passer les trains pour Auschwitz mais nefaisait que son métier : les aiguiller correctement !

- Alors, je vous demande quelle est cette législation ?

- Mais non, non, on n’est pas là pour ça !

Comprenez (bis) pourvous aider à frauder !

- Mais enfin, j’aimerais comprendre comment et pourquoivous m’enlevez 879,23 € pour 466,68 € gagnés sur trois mois ? C’est quandmême normal !

Pas de réponse. Non, ce n’est pas normal. Je suis suspectée de vouloir tricher, je ne mériteaucune explication.

- Et pourquoi n’ai-je pas reçu de notification ?

- Vous en avez certainement reçu une… J’en ai sous lesyeux…

- Ah, oui, et à quelle date ? Parce que, non, jen’ai rien reçu. Si j’en avais reçu une, je me serais illico manifestée. Alors,je vous demande de bien vouloir m’adresser tous les textes de la Législation etles barèmes que tout citoyen a le droit de connaître.

- Ah, mais ça va prendre du temps…

- J’ai tout mon temps !

- Bien, mais ça va prendre quinze jours…

- Aucune importance, je veux comprendre pourquoi vousm’enlevez plus que ce que je gagne…

- Mais non, ce n’est pas cela !

- Comment ça, les chiffres sont clairs, non ?

Pas de réponse. Çavaut mieux, je suis au bord de poser un contrat sur la tête de cettefonctionnaire accrochée à sa législation. Enfin, je le ferais, si j’avais de l’argent.Mais, ce mois-ci, les calculs savants de la CAF ne m’en laissent pas lourd :154,26 euros. Même bornée, une tête de fonctionnaire de la CAF de Paris vaut forcément plus.

- Mais, vous allez recevoir l’allocation de rentréescolaire…

m’a dit lagentille conseillère, vendredi dernier. Je n’ai pas osé lui répéter ce que les hommes del’UMP nous serinent : l’allocation de rentrée scolaire est faite pouracheter les fournitures des enfants, pas pour autre chose, genre écran plat ouMP3... Ou à manger.

Quelquesheures plus tard, calmée, j’ai cliqué et trouvé sur Internet une « législation »,le Décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010modifiant les modalités d'évaluation des ressources prises en compte pour lecalcul des droits à l'allocation aux adultes handicapés, qui stipule notamment : « L’ensemble des allocatairestravaillant en milieu ordinaire pourront cumuler intégralement l’AAH et lesrevenus tirés d’une activité professionnelle pendant 6 mois, à compter de lareprise d’activité. »

(source :www.legifrance.gouv.fr)

J'ai copié ce texte et l'ai collé dans la lettre que envoyée à la CAF, pour que mon coup de téléphone ne se perde pas dans les méandres de ce foutu fleuve administratif. Avec copie à Martine Billard, ma députée. Roselyne Bachelot-Narquin aura elle aussi droit à sa bafouille, puisque c'est elle qui s'occupe de nous autres qui vivons de la Solidarité. Et, le Canard qui aime tant les Couacs de nos ronds-de-cuir... S'il s'agit bien d'un Couac... ?

donc : (à suivre)...

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