Je sais, ça n’aurait pas dû m’énerver, mais ça fait la troisième bouteille en une semaine ! Je suis dans ma cuisine, je bougonne, j’essaye de calculer, 3 fois 1 euro 61. Mon thé refroidit avant que je trouve le produit. Tant pis.
Mon fils pour qui j’achète ce lait microfiltré (parce qu’il l’adore, parce qu’il en boit des litres, parce qu’il trouve au lait UHT, moins cher, un sale goût et qu’il a raison) me dit, maman, tu dois aller dire au Monop qu’ils exagèrent. Oui, ils exagèrent. Mais moi aussi, j’exagère. Boire un thé froid parce que le lait a tourné, c’est idiot. Mais c’est comme ça, ce matin, j’ai un peu de mal à lancer la machine correctement. Au début de la semaine, j’ai eu un petit épisode d’arythmie cardiaque. Je me suis bien gardée de foncer aux urgences. Qu’aurais-je fait de Mouflet ? Je serais restée 24H, ils m’auraient héparinée et zou, sortez. Sauf que pendant ces 24 h, Mouflet aurait gambergé, et salement. Et ça, si je peux éviter, je préfère.
L’après-cancer, c’est comme la Crise, on serre les fesses en permanence. On a aucune envie de faire le raisonnable parce que le raisonnable coûte cher. Enfin, quand on est pauvre, évidemment. Les riches ont des solutions. Pas moi. Une dame de la Mairie est bien venue pendant après ma troisième opération faire mon ménage, des heures, par-ci par-là. Dès que je me suis sentie mieux, j’ai arrêté. Ce qu’il me faudrait, c’est quelqu’un qui conduise de temps en temps Mouflet à l’école. Un quart d’heure de marche, c’est pas la mort… Seulement de la fatigue.
Donc, ce matin du lait tourné, j’ai gueulé. La Banque a appelé, comme de juste, à neuf heures. Mon conseiller porte un nom de chocolat. L’année dernière, quand la Crise n’avait pas fait son œuvre, je lui disais, ne vous inquiétez pas, je ne compte plus les membres de ma famille qui paient l’ISF, ils ne me laisseront pas tomber. Se vanter auprès de son banqual est un art où je suis passée chef. J’en avais rajouté une couche sur les accointances très spéciales d’un membre de ma famille avec Not’Omiprésident. Bref, j’avais fait ma frimeuse. Ça avait marché, tout juste s’il ne me vendait pas un produit financier, une assurance-vie, tiens…
Le matin où le lait a tourné, ce jeune homme tout ce qu’il y a de poli a causé dans le vide de mon répondeur. Non, je n’ai pas les 1300 euros que je lui dois pour repasser créditrice et je ne vois pas du tout où j’irais les voler. Au Monop qui fait tourner le lait ?
En rentrant d’avoir conduit Mouflet à l’école, j’ai eu un grand coup de fatigue, une arythmie de l’âme en quelque sorte, au diapason de l’autre, la vraie. Je me suis couchée.
La Crise, c’est se mitoufler sous la couette parce que
1/ On ne se voit pas ailleurs ;
2/ Là au moins, on ne dépense rien.
On ne cherche pas plus de boulot, je vous l’accorde. Mais, franchement, mon cœur, mon cancer, mes os, mes poumons et moi-même, on s’est réuni et on est tombé d’accord, on est pas en forme. Le peu d’énergie que j’ai encore, je sais où je veux la mettre : dans ce sursaut qui me fera retrouver le sourire d’avant, le désir d’aller voir le monde, histoire de comprendre deux ou trois choses. Je ne sais plus du tout où est passée cette énergie. Elle a fondu en septembre, Madoff est coupable alors ?