Soraya O.

Militante des droits humains - Elue à la ville de Strasbourg

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Billet de blog 11 juin 2025

Soraya O.

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« No Kids = No Future »

Doit-on préférer notre confort, nous adultes, aux droits des enfants ? Au-delà de la question des lieux « no kids », cette tendance à exclure les enfants est significative de lacunes de notre société, à les protéger, à les respecter et à penser les atteintes à leurs droits comme ce qu'elles sont : des discriminations et des violences, bien trop souvent, en toute impunité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Souvenons-nous : pendant le confinement, des panneaux sont apparus à l’entrée de nombreux commerces : "Interdit aux enfants."

Il y’a eu peu de réactions médiatiques et politiques, mais pour des milliers d’enfants et de familles, ce fut une grande violence, une exclusion de plus dans un monde déjà fracturé par la pandémie, par le confinement et trop souvent malheureusement par le « chacun pour soi ».
Durant cette période, les enfants ont été stigmatisés comme « vecteurs du virus », cela, alors même qu’aucune donnée scientifique ne justifiait une telle exclusion. Pour les parents seuls – souvent des mères – la situation était intenable : faire ses courses avec un enfant était interdit ; le laisser dehors, inconcevable ; le confier à un tiers, impossible et les livraisons étaient un service inexistant. Donc pour ces familles, l’accès même aux produits de premières nécessité relevait de l’impossible. 

Et qu’ont pensé les enfants de cette stigmatisation ? Ont-ils inscrits dans leurs tête la croyance d’être un danger pour leurs proches, d'être indésirables ? Eux, que l’on se doit de protéger.

Il s’agissait d’une discrimination absurde, et pourtant largement acceptée. Nous étions plusieurs parents, militants à travers la France à avoir dénoncé ces pratiques, alerté et signalé. Jusqu’à ce que le Défenseur des droits nous donne raison et y mette fin : ces interdictions étaient évidemment illégales et discriminantes.

Mais aujourd’hui, ce même schéma excluant revient, plus insidieux.
Des lieux "no kids", des espaces "réservés aux adultes", des discours opposant la tranquillité à la présence des enfants fleurissent avec leur cohortes de défenseurs virulents. Car ces restrictions d’accès n’existent pas pour protéger les enfants, mais pour protéger le confort, le luxe des adultes. Et à en lire certains, défendre la place des enfants dans l’espace public devient presque un acte suspect – comme un signe d’archaïsme voire même une "croisade conservatrice ".

Un enfant, c’est un être vivant. Il peut rire, pleurer, crier, courir : il vit pleinement ses émotions. Et cet élan de vie n’est ni un dérangement au bon déroulement de nos vies d’adultes, ni preuve de défaillance parentale, mais au contraire très souvent, la manifestation d’une enfance saine et authentique.

Pourtant, certains continuent d’assimiler les enfants qu’ils désignent comme "remuants" à des enfants "mal élevés" – et les parents, en particulier les mères seules, à des figures défaillantes et leurs enfants « d’indisciplinés » voire de « graines de délinquants ».

Et pendant qu’on exclut les enfants des espaces publics, pour le petit confort des adultes, les violences à leur encontre explosent dans les médias: Betharram, Scouarnec, les institutions religieuses, médicales, de l’ASE, les cercles familiaux, éducatifs, sportifs, etc... : nulle part l’enfant est en sécurité et les scandales s’accumulent.

L’enfant n’est pas protégé et règne le silence, celui complice qui profite aux coupables, aux adultes.

En outre, cette tendance de lieux « no kids » s’inscrit dans une réalité plus large. 4 enfants sur 10 ne jouent jamais dehors pendant la semaine et alors que nos grands-parents parcouraient plusieurs kilomètres à pied chaque jour, les enfants d’aujourd’hui voient leur rayon de liberté réduit à moins de 500 mètres autour de chez eux.
Nos villes ne sont plus pensées pour eux, ni avec eux. Nous devons militer pour des villes accueillantes, conçues pour et par les enfants, où ils peuvent circuler, jouer, exister — sans être vus comme des intrus. Alors non, ce n’est pas conservateur de défendre les enfants, ce n’est pas nostalgique de vouloir qu’ils aient leur place dans l’espace public.

Pourtant, et c’est là un paradoxe cruel : notre société repose sur la solidarité entre les générations. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui feront vivre les retraites, qui prendront soin des anciens, qui construiront l’avenir commun. Et malgré cela, ils sont régulièrement méprisés, invisibilisés, exclus et considérés comme des nuisances. Et comment attendre que ces enfants, à qui la société apprend
avec ces actes, le rejet, l’exclusion des plus fragiles vont devenir des adultes solidaires qui s’occuperont avec patience et volonté de leurs ainées et des plus vulnérables ?

Ce décalage est profond, on célèbre l’enfant en discours, mais on le rejette en pratique. On exige de lui qu’il reste invisible, silencieux, conforme à un idéal adulte qui n’admet plus ni bruit, ni imprévu, ni fragilité. Les enfants ne sont pas une gêne. Ce sont des êtres en construction, et l'on apprend à vivre en société...en y étant présents. Les en exclure, c’est leur dire : « Tu ne comptes pas »

Nous nous devons de refuser une société qui voit l’enfance comme une nuisance, qui ne supporte que le silence et l’entre-soi adulte, qui prône un monde lisse, confortable, mais stérile.
Et préférer une société vivante, solidaire, chaleureuse et inclusive, où chacun – quel que soit son âge– a sa place. 

Et parce que la politisation de l’enfance et la famille n’est pas l’apanage de la droite et du conservatisme : Défendre les enfants, investir dans l'enfance et le soutien à la parentalité, ce n’est pas être rétrograde, c’est défendre une société plus juste, plus solidaire, plus inclusive, c’est refuser que le confort des uns se construise sur l’exclusion des autres. Et surtout, c’est défendre l’avenir, car exclure les enfants, c’est déjà renoncer à demain.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.