SOS Migrants Mineurs, qui se bat pour la reconnaissance des droits des mineurs isolés étrangers, ne peut que se réjouir de la condamnation d’Eric Zemmour pour « incitation à la haine et à la violence » visant explicitement ces jeunes. Si nous nous réjouissons également de la médiatisation du procès, pour autant, nous n’en sommes pas dupes car elle a été largement, voire exclusivement, dictée par des considérations réductrices touchant à la personnalité du condamné, à son influence grandissante dans l’extrême-droite française ainsi qu’à son statut de candidat à l’élection présidentielle. A nos yeux, elle aurait dû être l’occasion de mettre la lumière sur ces jeunes calomniés et jetés à la vindicte générale en leur donnant la parole ainsi qu’à leurs soutiens dans toute la France. C’est en effet la seule condition de saisir pleinement le sens et la portée des propos racistes et infâmes les criminalisant. Notre expérience engrangée plus particulièrement auprès des mineurs isolés marocains ayant trouvé refuge dans le quartier parisien de la Goutte d’Or nous permet d’apporter des éclairages essentiels.
Que cette violence prêtée aux jeunes relève de la diffamation n’a pas à être discuté ou démontré. Simplement, de nombreux non-dits à leur propos contribuent à l’intensification de la violence à laquelle ils sont soumis de toutes parts et pas seulement de celle de l’extrême-droite. Elle débute dès la traversée des frontières, provoquant chez ceux qui survivent ou ne disparaissent pas, des blessures physiques et psychiques impossibles à oublier, et dont les pays européens sont responsables. En ce qui concerne précisément les enfants et adolescents venus du Maroc, âgés de 8 ans pour les plus jeunes, ils sont en butte, dès leur arrivée en France, à une vulnérabilité alarmante qui les expose à de continuelles violences. C’est qu’ils sont, en effet, laissés à l’abandon et privés d’un accès à l’hébergement, à la santé et à l’éducation. Ainsi, subissent-ils des violences de la part de prédateurs les utilisant dans des trafics de toute nature ou de la part d’employeurs les exploitant au travail. Certains en viennent à se réfugier dans la consommation de drogues, parfois jusqu’à l’overdose. La violence les rattrape dans les commissariats, dans les tribunaux, en prison, dans les centres de rétention, dans les centres éducatifs fermés ou dans les transports publics.
Cette violence est donc systémique au sens où ces jeunes Marocains sont construits comme des jeunes étrangers à part, rétifs à toute forme de protection et d’encadrement éducatif, et comme des délinquants par atavisme. Cette violence est systémique au sens aussi où elle s’inscrit dans une politique plus large qui les a ciblés et qui repose sur la répression et l’expulsion. Il suffit d’invoquer les déclarations régulières du ministre de l’Intérieur actuel1 et la coopération policière franco-marocaine2 autorisant la présence de la police marocaine dans le quartier de la Goutte d’Or.
Dans ces conditions, toute condamnation des propos haineux et racistes tenus par le candidat d’extrême-droite contre les mineurs isolés étrangers ne peut s’effectuer qu’en les connectant à l’ensemble des discours et des pratiques émanant de l’État et de certaines couches de la société et qui nient à ces jeunes leur statut d’enfant ou d’adolescent ainsi que leur extrême vulnérabilité. Et c’est bien à leurs côtés que SOS Migrants Mineurs se bat pour qu’ils recouvrent, avec leurs droits à être protégés et guidés dans ces années fondatrices d’une vie, toute leur dignité qui les anime depuis leur départ du Maroc dans l’espoir d’une vie meilleure.
Ce billet inaugure le blog de SOS Migrants Mineurs, qui par des publications de nature diverse, entend rendre visible la situation plus particulière des enfants et adolescents marocains qui sont livrés à eux-mêmes en France, ainsi que cette lutte menée sur tous les fronts.
1 https://twitter.com/gdarmanin/status/1310948711015555077?lang=de