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Billet de blog 31 octobre 2022

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Plus un mort sur la frontière qu'est devenue Paris

Un jeune Marocain isolé et vulnérable a été retrouvé mort électrocuté cet été dans Paris. Loin d'être un fait divers, cette mort doit être comprise dans toutes ses implications politiques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Moustapha, un tout jeune Marocain isolé, a été retrouvé mort électrocuté dans le métro parisien le 23 juillet dernier. Cette mort, qui n’a retenu qu’une attention si réductrice et déformée de quelques médias 1, ne relève en rien d’un fait-divers. Elle doit être comprise dans toutes ses implications d’ordre politique. D’abord, parce que ce jeune garçon, venu seul en France et dont le statut de mineur était encore non établi, devait de ce fait être protégé par les autorités. Ensuite, parce que son décès est intervenu alors que la police était avertie de sa présence sur les voies du métro et de sa très grande vulnérabilité. Enfin, parce qu’il s’inscrit dans une longue série d’autres décès violents, de mutilations, d’overdoses qui affectent tout particulièrement les mineurs marocains vivant à Paris, et ce, parce qu’ils sont l’objet, en lieu et place d’une prise en charge, d’une répression policière et judiciaire qui ne cesse de s’intensifier. La mort de Moustapha a provoqué un choc et une tristesse infinis chez le groupe d’enfants et d’adolescents marocains livrés à eux-mêmes dans la ville et devenus ses frères d’infortune, ainsi que chez nous-mêmes, membres de SOS Migrants Mineurs. L’effroi s’est ajouté à la découverte traumatisante des conditions de sa mort, à savoir dans une solitude et une violence particulièrement redoutées par ces garçons qui ont quitté leurs proches afin de s’offrir les conditions d’un avenir meilleur. Demander vérité comme nous le faisons publiquement aujourd’hui c’est le faire non seulement pour la mémoire de ce jeune garçon si attachant, pour la dignité de sa famille mais aussi pour la dignité et la protection de ces jeunes qui se perçoivent de plus en plus comme des survivants. La vérité suppose déjà de lever les si nombreuses zones d’ombre entourant sa mort tout en pointant l’ensemble des responsabilités qui lui sont antérieures et concomitantes.

Revenons sur le déroulement de la nuit fatidique à partir des éléments que nous avons recueillis auprès de ses amis et de la presse – même si celle-ci se contente de relayer la communication de la préfecture et de certains élus. Une première zone d’ombre soulève immédiatement la question de la responsabilité des polices municipale, nationale et ferroviaire, avant même le drame, quant à la sécurité de mineurs vulnérables, qui plus est, dans un lieu hautement dangereux. En l’absence d’un hébergement et en guise de protection face à un harcèlement policier incessant, un groupe de jeunes a aménagé un abri de fortune sur la voie ferrée du métro aérien entre les stations Pasteur et Sèvres. Cet abri dangereux du fait de sa localisation avait été nécessairement repéré par les agents de la sécurité de la RATP dans la mesure où nos jeunes amis ont constaté que son accès en avait été bloqué quelques jours avant la nuit funeste.

Loin de les dissuader, ces entraves n’ont fait que rendre plus risqué l’accès à ce refuge auquel ils ne pouvaient aussi facilement renoncer, ce dont la police a dû se rendre compte. D’où notre première question : pourquoi de nouvelles mesures de sécurisation n’ont-elles pas été prises aussitôt, alors que ces jeunes étaient connus par les policiers, tout comme leur extrême vulnérabilité due principalement à leur toxicomanie et à leur épuisement général. La nuit-même du 23 juillet, entre 1 et 2 heures heures du matin, la police a été avertie de leur présence sur les voies ; si la police municipale est arrivée la première et a ordonné aux jeunes de quitter les lieux, ce serait des agents du Groupe de Protection et de la Sécurisation de la RATP, seuls habilités à se rendre sur les voies, qui auraient cherché notre jeune ami, dont la présence seule sur place a bien été constatée. Selon la version officielle, ils auraient abandonné dans la nuit leurs recherches sur un tronçon assez court reliant les deux stations de métro. Notre deuxième question porte alors sur ce qui s’est exactement passé entre l’arrêt de ces recherches – notifié à quelle heure ? – et la découverte de son corps calciné par un machiniste à la reprise de son service à 5h45 du matin ? Moustapha aurait-il réussi à s’échapper et à revenir sur les voies pour y mourir électrocuté ? Cette hypothèse nous semble peu probable au regard de deux éléments. La veille, il s’était fait tabasser par des policiers et n’aurait pas pris le risque d’en croiser si tôt de nouveaux. Surtout, il était dans un état semi-comateux, constaté par ses amis juste quelques heures auparavant, du fait d’une prise excessive de drogues.

Beaucoup trop de questions à propos de ce moment fatidique se posent légitimement. Y-a-t-il eu une course poursuite, ou au contraire, un abandon prématuré des recherches, qui auraient conduit dans les deux cas à une mise en danger consciente. Pourquoi aucun mécanisme de mise hors tension n’a-t-il pas été actionné en l’absence de certitudes quant à sa présence ou non sur les voies. Ces interrogations sont fondées au regard des pratiques habituelles des policiers contre les jeunes Marocains dans les différents quartiers parisiens où ils ont trouvé refuge : la Goutte d’Or, le Trocadéro et dernièrement les abords de la station Pasteur choisis car à proximité d’un foyer qui leur est spécialement destiné par la Mairie de Paris, mais inaccessible du fait de sa dizaine de places offertes. Pour ne parler que de la veille de sa mort, Moustapha a lui-même été tabassé par des policiers dans le quartier – des bénévoles de SOS Migrants Mineurs ont pu observer le lendemain un hématome à un œil – tout juste après une interpellation dans le métro, à laquelle une de nos membres a été témoin. Le rapport des policiers aux jeunes Marocains vivant à Paris doit être interrogé et investigué sérieusement. Outre ces violences directes, il faut également considérer les violences indirectes provoquées notamment par une renonciation à protéger des mineurs et des jeunes majeurs vulnérables. C’est ainsi qu’au lieu de l’interpeller, les policiers auraient dû faire appel à des secours afin qu’il soit soigné 2.

Ces interrogations sur les comportements et les attitudes des policiers cette nuit-là doivent trouver des réponses précises dans le cadre d’une enquête dont nous ignorons les développements actuels, en l’absence de membres de sa famille en France, d’un avocat et d’une enquête journalistique indépendante. Pour autant que cette enquête intègre bien tous les éléments concernant le traitement réservé aux mineurs marocains isolés et qui a conduit inexorablement à cette mort, comme à tant d’autres drames. Est engagée pleinement la responsabilité des autorités compétentes, à savoir la Mairie de Paris3 chargée de la protection des enfants et donneuse d’ordres aux associations mandatées spécifiquement auprès des mineurs marocains, la Mairie du 15e arrondissement, qui contrairement à sa communication officielle, reste aveugle à l’installation récente de ces jeunes sur son territoire. Ajoutons la responsabilité tout autant directe de l’État qui, par ses discours et ses pratiques, criminalise particulièrement la figure des « Mineurs marocains non accompagnés ». Or, cette absence de prise en charge des besoins vitaux de ces enfants et adolescents a comme corollaire la répression policière, judiciaire et pénitentiaire qui ne peut que conduire davantage au désastre : détérioration de leur santé physique et mentale ; exposition accrue aux dangers de la rue comme la prédation sexuelle, la délinquance et la drogue ; violences physiques et psychiques ; mutilations et morts atroces. Notre communauté forgée par les jeunes et SOS Migrants Mineurs pleure d’autres morts : Mohamed noyé dans le canal de Saint-Denis en juillet 20204 et Abdeljalil retrouvé mort de manière suspecte à la prison de Fleury-Mérogis en février 20205. Nous ne voulons plus pleurer d’autres vies arrachées à leur familles, à leurs amis et à la jeunesse.

Contact@sosmna .fr

1https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-un-mineur-retrouve-mort-sur-la-ligne-6-entre-pasteur-et-sevres-lecourbe-23-07-2022-YIEKPJTAONHB5PLWAAE4ULKOUA.php

https://www.lefigaro.fr/faits-divers/paris-un-individu-retrouve-mort-sur-les-rails-du-metro-de-la-ligne-6-20220723

https://www.bfmtv.com/paris/paris-le-corps-d-un-mineur-retrouve-calcine-sur-la-ligne-6-du-metro_AN-202207230183.html

2 Comme doit être investigué le rapport de bon nombre de pompiers aux mineurs marocains. Moustapha s’est vu refuser les premiers soins par plusieurs d’entre eux dans une station de métro tout juste quelques jours avant sa mort alors qu’il présentait tous les signes d’une overdose. A ce titre, leur responsabilité est également engagée dans une chaîne conduisant à une mise en danger ici mortelle.

3 Mairie qui ne cherchera pas à se rapprocher du groupe d’amis du défunt pour leur présenter ses condoléances et proposer une prise en charge psychologique si nécessaire dans leur cas. Les jeunes endeuillés ont eux-mêmes organisé une collecte dédiée à un repas, confectionné par un commerçant de la Goutte d’Or, et cela pour honorer la mémoire de Moustapha.

4 https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/l-ile-saint-denis-un-jeune-se-baigne-dans-la-seine-et-se-noie-21-07-2020-8356326.php

5https://www.lecourrierdelatlas.com/si-mon-frere-sest-suicide-cest-quil-aete-pousse-a-bout-ghizlane-soeur-dabdeljalil-decede-a-fleury-merogis/

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