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Billet de blog 2 juillet 2024

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Contre le racisme

Je suis née début des années 50 en France. Ma mère était juive allemande et mon père africain. Le racisme ne se dissout jamais quelles que soient les leçons de l’Histoire. Je me sens isolée dans cette croisade contre cet obscurantisme des temps modernes. Je souhaiterais participer à un débat collectif concernant le racisme et la meilleure façon de lutter contre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis née début des années 50 en France. Ma mère était juive allemande et mon père africain.
Le racisme ne se dissout jamais quelles que soient les leçons de l’Histoire. Donc 5 ans après la fin de la seconde guerre mondiale la haine des juifs était omniprésente. Peu de personne connaissaient la religion de ma mère. En dépit de cela j’ai souvent subi des remarques antisémites.  

On me reprochait d’appartenir à un peuple sans scrupule qui aurait hérité du goût de l’argent, qui n’aurait pas le moindre sens de l’humain.  On me taxait de « sale déicide » qui aurait tué Jésus-Christ. Je n’ai reçu aucune éducation religieuse. N’étant pas croyante, je ne comprenais pas comment on pouvait m’accuser d’avoir pu tuer un dieu imaginaire. Cela me soumettait en permanence à l’idée que j’étais une criminelle à mon insu.

Ma couleur de peau, elle sautait aux yeux. En tant que « racisée » j’ai souvent entendu : « t’es une sale négresse ! ». Les bambins autour de moi me reprochaient d’être de « couleur », considérant que ça ne peut qu’être une punition divine infligée aux humains les moins méritants. 

Pourtant en tant que marginale j’ai toujours fait des efforts, m’appliquant à essayer de me noyer dans la masse. Les injures racistes, j’ai presque fini par m’y habituer en pensant que si tellement de monde me reprochait d’être une noire d’origine juive c’est qu’il fallait sans doute que j’en aie honte. Je ne voyais qu’un seul moyen d’échapper à ce sentiment d’humiliation, celui de ressembler à tout le monde en blanchissant ma peau, en défrisant mes cheveux, en ne parlant jamais de mes racines. Des efforts voués aux échecs car ni la couleur ni les origines ne s’effacent.

On me disait qu’en tant que « bâtarde » je portais atteinte à la supposée « pureté ethnique des occidentaux de souche ». J’ai donc essuyé des injures qui me rappelaient en permanence que je n’ai pas été formée dans le bon moule ethnique. Stigmatisée et assignée à « résidence épidermique forcée », j’ai toujours eu l’impression d’être condamnée à stagner au bas de la pyramide de la société. 

Il est vrai qu’il aurait été tellement plus simple de naître blanche et chrétienne dans cette société pour laquelle c’est la norme. 

Fataliste, j’ai compris très jeune qu’il ne fallait pas répondre aux provocations, qu’on ne « raisonne » pas un xénophobe, qu’il est difficile de lui faire changer d’avis. Souvent je me suis demandé pourquoi tant de gens ont besoin de proférer des paroles racistes. Si cela les défoule momentanément, en quoi cela peut-il les soulager les individus ? En quoi cela peut-il régler leurs problèmes ?

Depuis quelques décennies les agressions verbales sont interdites par la loi. Mais ce n’est pas parce qu’on casse le thermomètre du racisme que sa fièvre disparait. Les attaques ont simplement été condamnées à évoluer pour devenir légalement plus compatibles. Aujourd’hui elles sont plus « élaborées », plus globales donc plus hypocrites. On ne m’agresse plus en tant qu’individu mais en tant que groupe, style :
-     « Vous les bronzés vous êtes des envahisseurs. Avec l’abâtardissement de notre société la civilisation blanche va se diluer dans la masse mondiale d’une couleur non identifiée. Vous êtes les exterminateurs des peuples aux yeux bleus ! ». 

D’autant que la moindre difficulté sur le plan social ravive le racisme qui ne dort jamais réellement. A l’heure où le discours officiel des Etats européens prétend qu’il n’y aurait plus d’argent dans les caisses pour financer les prestations sociales, à l’heure où les services disparaissent, la mayonnaise de la xénophobie prend toute son expansion. L’offensive d’ampleur de l’extrême droite rend tout à coup plus visible le racisme latent des citoyens européens, lui permettant de s’exprimer de façon débridée. 

La propagande de ces partis se focalise surtout autour du rejet de la politique migratoire de l’Union Européenne. Partout l’ennemi principal est désigné, c’est l’étranger. Partout ils établissent le même diagnostic : les immigrés seraient responsables de tout ce qui va mal en Europe. 

Ce sont surtout les migrants venus du sud, maghrébins et africains, qui sont visés. Ils auraient traversé la Méditerranée uniquement pour venir se servir en Occident, sans rien apporter en retour que leur misère. Certains les qualifient de « racaille » qui formerait une nébuleuse féroce venue pour ensauvager l’Europe, captant toutes les aides sociales grâce à des lois qui ne favoriseraient que les étrangers, au détriment des citoyens de souche.

Les partis d’extrême droite ne parlent jamais en positif de cette force de travail ni de ce qu’elle apporte à l’économie et aux patrons qui l’exploitent. Ils n’analysent pas non plus les choix des gouvernements qui baissent les aides aux plus pauvres et les privent de services publics, pendant que sont avantagés fiscalement les plus riches.

Ils n’étudient pas le mode de fonctionnement de la société ni ses mécanismes qui permettent à certains de s’enrichir de façon éhontée pendant que d’autres crèvent la bouche ouverte. Car l’extrême droite ne dénonce jamais les vrais profiteurs, surtout lorsqu’il s’agit du groupe des milliardaires qui financent ses partis.

Aussi l’extrême droite a une vision réductrice de l’Histoire, oubliant que ce sont les pays occidentaux qui ont commencé à déporter 11 millions d’Africains vers les Amériques, entre le début du XVIème siècle et les années 1860. A cette époque l’immigration (forcée) des africains ne posait pas de problème. On estimait (aujourd’hui encore), que la « race noire » est par nature vouée à l’esclavage, que l’africain n’est qu’une marchandise, pas un être humain. 

A ce propos en 1776 le ministre de la Marine Antoine de Sartine déclara : 
-     « Les nègres se multiplient dans le Royaume... On y favorise leurs mariages avec les Européens ; les maisons publiques en sont infectées ; les couleurs se mêlent, le sang s'altère ».

Pour éviter tout brassage de population, des mesures furent prises pour barrer l’accès sur le sol français aux esclaves noirs, mulâtres et gens de couleur.  Un arrêté consulaire du 13 messidor an X (2 juillet 1802) interdit aux maîtres d’importer leurs esclaves sur le sol national. La circulaire du ministre de la justice du 18 nivôse an XI (8 janvier 1803) défendit aux officiers d’état civil la célébration des mariages entre Blancs et Noirs. 

Paradoxalement à cette époque on parvint à exploiter la force de travail des « nègres » tout en refusant leur présence en Europe. Les mesures prises exprimaient déjà la peur du « grand remplacement ». Donc à l’heure actuelle les partis qui surfent sur cette même crainte n’ont rien inventé. 

Ils trouvent un électorat attentif tant le racisme en Europe est systémique, ravivé par la perte des colonies. Notamment en France où ceux qui ont été chassés des protectorats ne comprennent pas pourquoi on devrait accueillir les ressortissants des pays « décolonisés » en France.

Car le racisme sculpte les idéologies des masses populaires. Selon un rapport publié par la Commission nationale consultative des droits de l’homme le 1er avril 2014, 35 % des Français se disaient racistes (9 % « plutôt racistes » et 26 % « un peu racistes »). 14 % des Français pensent qu'il y aurait des « races » supérieures à d'autres. 

De comprendre comment ce racisme s’est articulé au fil de l’Histoire, comment il s’est installé dans le cadre des relations humaines, permet de dénoncer la façon dont il a participé à la hiérarchisation de notre société. Plus ses règles ont été cruelles, plus elles ont assuré la stabilité sociale garantissant les profits d’une minorité. 

Car le racisme correspond aux besoins de ceux qui dirigent la planète, ceux qui ne veulent surtout pas qu’il y ait le moindre élan de fraternité entre les différentes populations qu’ils exploitent. 

Pour ces maîtres du monde le racisme doit exercer sa fonction de séparer les hommes afin que chacun n’occupât que la place désignée par ceux qui ont le pouvoir économique et idéologique. Il doit « diviser pour mieux régner » et attiser haines et jalousies. 

Sa mission est d’être une forme de maladie de la société de concurrence entre individus, un choléra collectif altérant toutes les fonctions des solidarités nécessaires au « bon vivre ensemble ». 

Je soupçonne ces mêmes milliardaires qui financent les partis d’extrême droite d’avoir la nostalgie de la période de l’esclavage, puisque c’était le modèle parfait d’une « maîtrise de l’immigration à bas coût ».  

C’est au début des années 60 que j’ai entendu pour la première fois parler de Le Pen père. C’était la fin de la guerre d’Algérie. Il venait de fonder un mouvement qui avait sorti l’affiche suivante : 
-    « Il vole, il tue, il viole : l’arabe ! ».

60 ans plus tard c’est sa fille Marine qui a pris en main le destin de son mouvement. Elle a policé et normalisé sa communication politique pour séduire de nouveaux électeurs. Son discours contre les maghrébins est plus subtile même si le RN continue de criminaliser les musulmans en attisant les peurs dirigées contre cette religion qualifiée de mystérieuse et dénuée de racines éthiques. 

Ils alignent les mêmes mensonges contre les musulmans que ceux qui étaient dirigés contre les juifs. Ils sont présentés comme étant une menace contre les sociétés européennes par leur supposée propension à trahir leur pays d’accueil la France, accusés de participer à un complot universel dirigé contre l’Occident.  

Comme l’ont été les juifs, les musulmans sont assimilés au « peuple du désert ». Selon les racistes, les mahométans seraient tous des êtres superficiels, arides, secs et stériles, à l'inverse des peuples autochtones européens prétendument éclairés par les lumières de la science. 

Comme l’ont été les juifs, ils sont accusés d’être responsables des différentes crises économiques. Ils agiraient comme des partisans infiltrés, prêts à œuvrer de l'intérieur pour favoriser la victoire de l’islam sur les forces chrétiennes traditionnelles.  Non seulement ils videraient les caisses de l’Etat mais de surcroît, par un relativisme venu d’Orient, ils favoriseraient l’oscillation du socle des croyances occidentales. Donc les musulmans seraient tous des terroristes idéologiques susceptibles de poser des bombes réelles, comme en Afghanistan.

Le RN entend « stopper la submersion migratoire » en « réduisant drastiquement l’immigration légale et illégale » grâce à un « plan complet de maîtrise de l’immigration ». Ce parti veut appliquer la « préférence nationale » notamment concernant le logement et l’emploi et souhaite lever les contraintes administratives qui empêchent d’exécuter les obligations de quitter le territoire français. 

Il surfe sur les angoisses de ceux qui sont persuadés de représenter le « peuple français élu ». A l’heure où les églises se vident et où les « français de souche » ne font plus d’enfant, ces populations craignent d’être suppléés par celles qui ont un fort taux de natalité et qui continuent de pratiquer leur religion. 

Le RN (ex Front National) qui a si souvent fait preuve d’antisémitisme, se refait une « virginité » en prenant la défense inconditionnelle de l’Etat d’Israël dans le cadre son offensive criminelle contre la population palestinienne. Sa détestation des juifs s’est transformée en haine contre les musulmans (pourtant des sémites à même titre que le sont les juifs) !  

Le RN apporte son soutien à Netanyahu, chef d’extrême droite, se reconnaissant dans sa brutalité politique et meurtrière. Car Netanyahu fait là-bas le « travail » que le RN souhaiterait effectuer en France : un grand nettoyage ethnique qui permettrait d’éliminer les musulmans. 

Donc malgré ce qu’il prétend, ce parti n’a jamais changé. Pourquoi le ferait-il puisque son programme semble séduire les foules ? En tout cas grâce à sa vision simpliste, le RN et ses partis alliés ont le vent en poupe. 

Partout en Europe on assiste à la création de lobbies racistes décomplexés, payés par des milliardaires pour apporter « leur bonne parole », prétendant que la France et les autres pays d’Europe seraient submergés par le flot incessant d’immigrés, raison pour laquelle ils perdraient leur identité et leur âme.

Pourtant la gauche traditionnelle ne condamne que du bout des lèvres cette offensive réactionnaire, faisant preuve d’un mutisme assourdissant en contradiction avec certaines déclarations de principe.  La couardise de certains serait elle l’expression de leur crainte d’effaroucher certains de leurs électeurs racistes ?

Chaque fois que j’ai pris la liberté de me plaindre de subir du racisme, on m’a reproché de jouer les victimes et d’énerver ceux qui n’en sont pas la proie. Car eux ils sont la majorité ! Alors pourquoi les forcer à comprendre les tracas d’une petite bande de bronzés qui ne supportent plus la xénophobie ordinaire ? 

Certains m’accuse d’être « woke », gros mot qui veut dire que ceux qui se plaignent de subir le racisme cassent les pieds de ceux qui ne comprennent pas de quoi on parle. 

Je me sens isolée dans cette croisade contre cet obscurantisme des temps modernes. Où en sont les autres qui subissent le racisme comme moi ? 

J’encourage les « racisés » à se manifester, en dépit du fait que nous pouvons avoir l’impression sournoise que quoi qu’on dise ou quoi qu’on fasse cela ne fera pas avancer le schmilblick.

Mais l’époque est pleine de dangers multiples et nous ne pouvons plus rester les bras croisés ! 

Debout les damnés des ethnies blâmées ! 

Ne laissons pas aux racistes la possibilité d’occuper le terrain de nos misères !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.