Soulammith Roy

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Billet de blog 3 octobre 2025

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Jamais en mon nom

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ma mère juive était née dans les années 20 en Allemagne pays où le nazisme fit de l’antisémitisme l’axe central de sa politique de division. Face aux persécutions, sa famille dut fuir et vivre cachée. Certains réussirent à se réfugier en Suisse. D’autres furent déportés et moururent en camp d’extermination.

Quand les nazis perdirent la seconde guerre mondiale on entendit beaucoup de discours antiallemands car la foule déteste les vaincus. On accusa les « Boches » d’avoir adhéré massivement à l’idéologie de la « race allemande supérieure », d’avoir été trop facilement embrigadés, d’avoir massacré sans scrupule les populations qui n’étaient pas en adéquation avec leur « Volksgemeinschaft ». On critiqua leur projet d’envahir les pays de l’Est de l’Europe où ils avaient échoué à bâtir leur « Lebensraum » (espace vital).

Après-guerre le monde prit connaissance de l’ampleur des massacres commis par les nazis lorsqu’il eut la vision des images d’amoncellements de cadavres juifs, tsiganes, communistes et autres. On apprit que leur antisémitisme avait fait des millions de victimes. Mais si les gouvernements nazis étaient (momentanément) défaits leur idéologie leur a survécu. Car le racisme est une maladie subjective, collective et contagieuse. Un mal profond qui résiste à toute tentative d’éradication par le pouvoir de la raison. Aujourd’hui encore persiste partout sur terre la même quête de « pureté raciale et religieuse » qui amène des humains à rejeter ceux qui ne se glissent pas dans le moule de leur « normalité ».

L’antisémitisme est toujours présent, profondément incrusté dans l’inconscient collectif des populations, agissant tel un réflexe pavlovien. Durant les années 50, certains « bons » antisémites continuaient de se plaindre du fait que beaucoup de juifs aient pu survivre au massacre, que les nazis « n’avaient pas fini leur travail », que leurs fours crématoires et « Einsatzgruppen » n’avaient pas été suffisamment efficaces. Maintes fois j’ai entendu la remarque suivante : - « Les juifs il en reste trop ! Ils sont dangereux parce qu’ils veulent gouverner le monde ! Ils se croient supérieurs au reste de l’humanité ».

Durant ces années, lorsque les enfants me demandaient quelle était ma confession automatiquement je répondais que j’étais juive parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Pourtant ma mère n’était pas pratiquante et je n’ai reçu aucune éducation religieuse. Nous n’avons jamais prié, nous ne sommes jamais allés à la synagogue, nous ne mangions pas cascher. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier que d’être juif dans ces conditions ? Peut-on se prétendre juif sans croire à l’existence d’un Dieu ? Peut-on être juif sans avoir la foi ?  Ma mère affirmait que le judaïsme est un héritage culturel dont il fallait être fier. Mais à mon petit niveau, j’aimais trop la conformité pour tirer la moindre gloire d’une croyance qui me semblait vide de sens. J’aurais simplement aimé être chrétienne comme les enfants qui m’entouraient.

« Juive » ! Pour les enfants ma réponse c’était du charabia. Ils demandaient des explications à leurs parents puis systématiquement m’accusaient d’appartenir à un « peuple déicide », d’avoir un esprit criminel impur, d’être forcément une voleuse. Beaucoup d’entre eux avec l’interdiction de jouer avec le monstre que je représentais, au cas-où ma supposée « crapulerie juive » déteindrait sur eux.

Par crainte d’être totalement ostracisée j’ai finalement appris à me taire.  Donc à la question : « C’est quoi ta religion ? » je répondais par un lourd silence. Ce qui me rendait encore plus suspecte. Affublée du « défaut de non-conformité » je ne pouvais imaginer pouvoir un jour m’intégrer au sein de la population helvétique réputée si « propre en ordre ». J’avais beau être une « juive agnostique » j’étais d’emblée hors-jeu national.

Après-guerre les juifs se lamentaient d’avoir été les victimes expiatoires du monde. Les descriptions des pogroms et les images des camps d’extermination nazis nourrissaient (à juste titre) la paranoïa collective de cette communauté. Les juifs avaient été des créatures humaines offertes au sacrifice, chargées de concentrer sur elles les haines collectives pour être immolés.  Moralement ils pouvaient se consoler en pensant avoir été du bon côté de l’Histoire. Ils bénéficiaient de la compassion d’une partie de l’univers occidental dégoûtée d’apprendre l’existence de camps d’extermination. On considérait que les « Boches » avaient été des affreux bourreaux.

Donc après—guerre beaucoup de survivants rêvaient d’échapper à la faim et à la misère en s’évadant dans un pays où tous les juifs seraient sauvés des affres du monde. Leur utopie portait le doux nom d’Israël. Le projet de fonder un Etat dans la partie occidentale du protectorat britannique de Palestine datait de la fin du 19ème siècle. La constitution de cet Etat en 1948 représenta pour les juifs sionistes l’accomplissement du destin nationaliste d’un peuple qui n’avait connu que l’exode. Enfin un lieu qui permettait aux juifs d’échapper à la cruauté du monde !

Chacun croyait à la véracité du mythe fondateur selon lequel il s’agissait d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » que Dieu offrait aux juifs pour s’excuser de ne pas les avoir protégés de l’exécration des autres tribus humaines. Israël c’était un cadeau divin même pour les agnostiques de ma famille. Un peu trop beau pour être vrai !

Car qui peut croire qu’en ce milieu de XXème siècle puisse exister sur la surface du globe un territoire vierge de tout habitant ?

Le récit national entourant la constitution de cet Etat n’a jamais mentionné le fait que sur ces terres se trouvaient des populations sédentaires ou nomades installées en Palestine depuis la nuit des temps. Personne ne parla des 700 000 palestiniens qui en furent éjectées manu militari en 1948. Mutisme à propos de ces expulsions massives qui constituent le péché originel de la création d’Israël.

Il était facile de s’attaquer à ce petit peuple pauvre dont tout le monde ignorait l’existence. Il avait été invisibilisés sous mandat britannique car ils gênaient leur plan d’instauration d’un foyer national juif. Peu à peu, on l’avait fait disparaitre du sol palestinien en l’expulsant. Dès 1948 s’affaira le puissant service de propagande israélien « l’Agence juive » qui opéra via les médias mondiaux pour que le secret de la présence de palestiniens ne soit jamais divulgué. Le but a toujours été de sauvegarder le mythe fondateur d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre », endroit idéal pour accueillir les juifs du monde entier.

Donc mutisme concernant le « pousse-toi de là que je m’y mette ! » au mépris des droits du « menu fretin palestinien ». Cette population n’a presque jamais bénéficié d’appuis internationaux et c’est au compte-goutte qu’elle a obtenu le soutien des principautés arabes. En 1948 chassés de leurs terres, ce fut pour eux le début de leur « nakba ». Ils devinrent des apatrides sur leur propre sol. Cette catastrophe se perpétue aujourd’hui car le but ultime des sionistes est de les chasser tous, de les expulser vers des pays voisins (lesquels n’en veulent pas) pour installer des juifs à leur place.

L’Etat d’Israël est fondé sur la « loi du Retour ». Celle-ci part du principe que puisque des juifs ont vécu en Palestine jusqu’à l’an 70 de notre ère (période de l’exil), ils auraient automatiquement le droit de venir s’y établir à nouveau. Un peu comme si en France des personnes d’origine Celte s’installaient sur vos terres au prétexte que leurs ancêtres y vivaient il y a quelques siècles. Imaginons que grâce à des appuis internationaux ils aient le droit de vous en chasser. Et que vous soyez accusé d’être un terroriste si vous aviez l’outrecuidance de vouloir leur résister. C’est le sort que subissent les palestiniens.

Pour vivre en Israël il faut prouver qu’on a une mère juive. Condition que les palestiniens ne peuvent évidemment pas remplir. Ils ont perdu leur droit d’exploiter leurs terres au prétexte qu’après l’époque ottomane puis britannique, ces populations n’avaient pas de documents officiels attestant qu’ils en étaient propriétaires. Leurs terrains n’étant pas enregistrés au cadastre israélien, l’Etat hébreu a pu s’en emparer, en chasser les occupants puis, après ce tour de passe-passe, inscrire officiellement tous ces domaines à son registre.

Je me suis souvent demandé pourquoi en 1948, au moment-même où s’engageaient sur le plan mondial différents processus de décolonisation, les sionistes n’ont pas cherché à s’installer aux côtés des populations locales en cohabitant avec elles, au lieu de créer un Etat impérialiste basé sur la religion juive ?

Question que ne s’est jamais posé mon milieu familial pourtant anticolonialiste de principe. Durant les années soixante, certains de mes parents militaient pour l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, estimant que la voix des Noirs devait y être égale à celle des Blancs. Comment ces mêmes personnes ont-elles pu accepter qu’en Israël la voix des juifs ait un poids supérieur à celle des populations locales ? Le principe du 1 = 1, ne devrait-il pas servir de base à toutes les démocraties ?

Personne ne s’est jamais posés la question de la légitimité de l’Etat d’Israël créé sur des terres occupées par d’autres populations. Mais comment peuvent-ils dénoncer le colonialisme ailleurs sur la surface du globe tout en estimant qu’en Israël les juifs ont les droits d’exproprier les autres au nom des souffrances endurées en occident ?  Ne comprennent-ils pas que leur interprétation de la Bible n’est en réalité qu’un outil au service d’un projet colonialiste ? Comment peuvent-ils prétendre qu’Israël serait le seul Etat démocratique du Moyen-Orient alors que les droits humains y sont à géométrie variable ?

Mon milieu familial s’est toujours flatté d’avoir un esprit critique de gauche. Cela ne l’a jamais empêché de considérer qu’Israël est une « terre pansement promise où coulent lait et miel », léguée aux juifs par testament scripturaire. Israël est leur « Lebensraum juif ».

Chaque fois que ma mère avait des problèmes (exemple un chagrin d’amour, ce qui lui arrivait fréquemment) entre deux sanglots elle envisageait que la famille fasse son « Alyah » (déménage là-bas). C’était durant les années 50 et l’Etat d’Israël venait de se constituer avec l’aide active des nations occidentales qui, après l’épisode du nazisme, avaient mauvaise conscience et étaient trop contentes de se débarrasser de leur « problème juif ».

Le projet sioniste avait bénéficié de l’aide active de certains chrétiens puissants, les évangélistes, pentecôtistes et autres religieux très actifs au sein des gouvernements occidentaux, notamment américains. Ils y exercent une influence politique et sociale considérable puisqu’ils sont partout dans les appareils d’Etat. Selon leur interprétation de certains textes bibliques, Jérusalem DOIT être la capitale d’Israël afin de permettre à l’état hébreu de mettre en place une stratégie leur permettant de reconstruire LEUR temple, condition nécessaire pour déclencher le retour du Christ sur terre.

Grâce à l’aide de ces chrétiens Israël est devenu le pantin armé des USA. Sans l’aide financière des occidentaux, Israël aurait dû mettre depuis longtemps la clé sous la porte. Ces chrétiens demandent à l’Etat hébreu de devenir le pied armé des occidentaux en Orient. Israël doit « finir le travail des croisades » (vaincre les « infidèles arabes hérétiques » en les chassant de Jérusalem). Pour atteindre leur but ultime, il faut que le « Grand Israël » retrouve ses frontières historiques, celles du royaume antique d'Israël (qui s'étendait « du fleuve d'Égypte à l'Euphrate » selon la Genèse 15:18-21).   Derrière la façade idéologique et religieuse de ces chrétiens il y a surtout des objectifs qui vont dans le sens des intérêts militaires et stratégiques américains dans cette région.

Car quand bien même un des commandements de la Bible ordonne : « Tu ne tueras point ! », ces chrétiens votent massivement les budgets permettant d’armer lourdement Tsahal (armée israélienne). Ils lui demandent de massacrer ceux qui résistent à leur plan, ceux qui veulent rester maîtres de leurs terres. D’où leur appui au « nettoyage ethnique » du sol de la Palestine qui va dans le sens de l’idéologie mortifère du gouvernement israélien d’extrême-droite qui prétend que dès leur naissance les gazaouis seraient tous des terroristes. Encore dans le ventre de leur mère ils seraient déjà membres du Hamas ce qui légitimerait le droit de les abattre comme des animaux. Donc le soutien de ces chrétiens prêts à tuer femmes et enfants émane de groupes qui visiblement manquent d’humanité !

Emprisonnements arbitraires, expulsions, tortures, populations affamées, colonisation renforcée, infrastructures vitales et hôpitaux bombardées, interdiction de s’exprimer, mainmise sur les médias internationaux, assassinats de journalistes qui dénoncent ce qui se passe à Gaza… les pires exactions sont autorisées voire encouragées. Certains sionistes israéliens se transforment en bourreaux ayant pour modèle de lointains maîtres du 3ème Reich.

Tout se passe dans le climat d’aphasie du monde prétendument « civilisé ». Le mutisme assourdissant des peuples qui ne réagissent pas à la vision des images horribles des tueries renvoie au silence qu’on attribua au peuple allemand sans réaction face aux massacres nazis.

Certes certains israéliens manifestent et condamnent fermement la politique israélienne. Mais c’est généralement pour demander le retour de leurs otages, pas pour dénoncer les massacres de civils palestiniens. Ils ont donc une solidarité à ethnicité variable. Et s’il y a des voix dissonantes, le puissant service de propagande israélien « Agence juive » s’affaire pour les faire taire.

Bientôt 80 000 palestiniens assassinés depuis le 7 octobre 2023, surtout des femmes et des enfants. Parallèlement à cette date 1200 personnes sont tombées côté israélien. Si aucun de ces décès n’a de sens la forte disproportion entre les chiffres des morts par communauté met en évidence le fait qu’il n’y a pas de justice, que ce sont les palestiniens qui paient le prix lourd du malheur d’être nés sur une terre dont on veut les chasser. Ils sont crucifiés sur la croix des intérêts territoriaux, stratégiques et financiers de cet Occident qui pudiquement regarde ailleurs.

Quoi qu’il en soit le « Lebensraum » israélien est souillé du sang de tous ces innocents.  Dans ce contexte l’antisémitisme mondial prend l’ascenseur. Résonne à nouveau l’éternelle chanson prétendant que les juifs seraient coupables de vouloir dominer le monde, de ne penser qu’à leur sort, d’être indifférents aux malheurs des autres.

Comment ma famille qui a connu les affres du nazisme, la faim et la misère peut-elle être fière d’être du côté des tortionnaires du gouvernement de Netanyaou ?

N’a-t-elle toujours pas compris les leçons de l’Histoire du XXème siècle et le danger qui existe à nouveau aujourd’hui que les juifs redeviennent les parias du monde ?

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