1. La menace invisible : le facteur humain
Dans la cybersécurité, on aime les acronymes : SOC, EDR, NIS2, DSA, IM900…
Mais il en est un qu’on oublie souvent : EGO.
Pas une technologie, pas une vulnérabilité du système — une faille du cerveau humain.
On peut patcher un logiciel, corriger un bug, isoler un serveur.
Mais on ne corrige pas l’arrogance d’un expert persuadé qu’il ne peut pas se tromper.
Et pourtant, c’est cette faille humaine-là qui ouvre le plus souvent la porte aux attaques.
L’ego, c’est le virus des certitudes.
Il s’installe sans alerte antivirus, se nourrit du pouvoir et s’auto-réplique à chaque réussite.
Et, tôt ou tard, il déstabilise la défense.
2. Quand l’ego sert la cybersécurité
L’ego n’est pas une tare : c’est un moteur.
C’est lui qui pousse à s’améliorer, à se former, à défendre ses convictions.
Un expert sans ego est une machine docile : il exécute, mais ne comprend pas.
Un expert avec un ego bien calibré devient un pilier stratégique de la sécurité organisationnelle.
Un ego maîtrisé pousse à l’excellence
La cybersécurité exige une veille constante. Les menaces évoluent, les outils aussi.
Le professionnel qui veut briller doit rester à la pointe, et cette exigence de reconnaissance devient alors un moteur d’apprentissage.
Un ego équilibré favorise la remise en question
Celui qui a confiance en ses compétences accepte plus facilement d’être challengé.
Il ne craint pas l’erreur : il l’anticipe.
C’est la différence entre le technicien qui exécute et le stratège qui se perfectionne.
Un ego affirmé permet de défendre la sécurité
Quand la direction rechigne à financer une mesure ou minimise un risque,
il faut parfois du caractère pour s’opposer.
Un RSSI trop effacé est un RSSI inutile.
Un ego assumé aide à trancher
En cas d’incident, il faut décider vite, souvent sans certitude.
L’ego maîtrisé permet d’assumer cette responsabilité sans se réfugier derrière les procédures.
« L’ego est un bon moteur quand il pousse à l’action.
C’est un désastre quand il refuse la remise en question. »
3. Quand l’ego devient un risque critique
Mais l’ego est instable.
S’il dépasse sa zone de tolérance, il devient une vulnérabilité exploitable —
la faille zéro-day du comportement humain.
Le refus d’admettre ses erreurs
Combien d’incidents proviennent d’une simple erreur non reconnue ?
Un administrateur oublie un patch, mal configure un pare-feu, ou conserve des accès inutiles…
Mais refuse de l’admettre par peur du blâme.
Résultat : une brèche béante et un silence coupable.
Le syndrome du “je sais tout”
Certains experts se croient invincibles.
Ils méprisent les audits, ignorent les politiques SSI,
et considèrent les rappels réglementaires comme des tracasseries administratives.
Mais dans la cybersécurité, le mépris des fondamentaux est la première erreur fatale.
L’authentification multifactorielle, la sauvegarde déconnectée, le cloisonnement réseau :
ces gestes simples valent mieux qu’un arsenal technologique mal géré.
Le mépris des alertes des autres
Le jeune analyste SOC ou l’utilisateur attentif signale une anomalie.
Mais le “vieux briscard” balaie d’un revers de main : « Faux positif, inutile. »
Quelques jours plus tard, l’intrusion est confirmée.
La cybersécurité ne s’effondre pas sur des vulnérabilités techniques,
mais sur des hiérarchies qui étouffent la vigilance collective.
Le besoin maladif de reconnaissance
L’ego veut briller. Il veut être cité, visible, admiré.
Certains experts, trop confiants, publient sur les réseaux sociaux des détails de configuration, des captures d’écran, voire des photos d’infrastructures sensibles.
Dans un monde d’espionnage numérique, le narcissisme devient une compromission.
L’indécision perfectionniste
Enfin, il y a l’ego perfectionniste : celui qui veut la solution idéale, complète, sans faille.
Pendant qu’il hésite, l’attaque avance.
En cybersécurité, il n’existe pas de décision parfaite, seulement des décisions prises à temps.
4. L’ego, arme de manipulation
Les attaquants le savent :
le meilleur moyen de pénétrer un système, c’est d’abord d’entrer dans l’esprit de celui qui le protège.
Flatter un expert, c’est lui faire baisser la garde.
Un mail qui le félicite, un contact LinkedIn qui le “remercie pour son expertise”… et la porte s’ouvre.
Le phishing émotionnel remplace le phishing technique.
Les cybercriminels exploitent l’ego comme un cheval de Troie psychologique :
ils ne brisent pas les mots de passe, ils brisent la prudence.
« Le hacker exploite les failles du code.
Le bon hacker exploite les failles de l’ego. »
5. L’humilité, le pare-feu invisible
Face à ce risque, il existe un antidote : l’humilité.
Pas l’humilité molle, celle qui baisse la tête.
Mais l’humilité stratégique, celle qui maintient la lucidité et protège du déni.
Un bon professionnel sait que :
Il n’a pas toutes les réponses.
Même les meilleurs se trompent, et c’est normal.La sécurité est un travail d’équipe.
L’ego isole. La collaboration protège.L’erreur n’est pas une faute, mais une alerte.
Mieux vaut une brèche repérée qu’un déni prolongé.Décider, c’est accepter l’incertitude.
En cyberdéfense, il faut choisir vite, quitte à corriger après.
L’humilité, c’est la conscience que tout système, y compris le sien, reste faillible.
Et que le savoir n’est jamais acquis, seulement mis à jour.
6. Le paradoxe du pouvoir
Plus le poste est élevé, plus le risque d’ego est grand.
Un RSSI, un DSI, un directeur ou un responsable sécurité devient parfois prisonnier de son statut :
il ne peut plus dire “je ne sais pas”.
Et c’est précisément ce silence-là qui met l’organisation en danger.
La cybersécurité ne supporte pas les hiérarchies figées :
elle exige la circulation de l’information, la liberté d’alerte et la transparence.
Un bon dirigeant cyber, c’est celui qui crée une culture où l’on peut signaler sans craindre.
7. Du savoir à la sagesse
Le plus haut niveau de maturité cyber, ce n’est pas la technicité.
C’est la sérénité dans la complexité.
Savoir que l’on peut se tromper, accepter de se faire challenger, reconnaître qu’une idée meilleure vient d’ailleurs — voilà le vrai signe de compétence.
Car le savoir protège, mais la sagesse sécurise.
« L’expert brillant ferme les portes.
Le sage s’assure qu’elles sont bien verrouillées. »
8. Conclusion : l’authentification intérieure
Les technologies évolueront : IA, quantique, automatisation, deepfake, chaos numérique.
Mais le maillon faible restera humain.
Et dans cette humanité fragile, l’ego est à la fois notre plus grande force et notre menace la plus intime.
Le jour où chaque professionnel de la sécurité apprendra à s’authentifier lui-même,
c’est-à-dire à reconnaître ses biais, ses certitudes, ses excès,
alors la cybersécurité deviendra enfin une discipline adulte.
« En cybersécurité, on parle souvent de double authentification.
Mais la plus importante, c’est celle entre l’expert et sa conscience. »