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Billet de blog 1 décembre 2025

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Tunisie. « L’État ne voulait plus entendre nos voix… Même dissous nous continuerons »

Le 31 octobre, les autorités tunisiennes ont suspendu l’activité de dizaines d’associations dont Nawaat. Nawaat est un média indépendant créé sous la dictature de Ben Ali en 2005. Aymen Rezgui est rédacteur en chef de Nawaat (site plus version papier trimestrielle) et membre du syndicat des journalistes tunisiens.

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Stan Miller : Pourquoi les médias alternatifs et les associations sont-ils attaqués maintenant en Tunisie ?

Aymen Rezgui: La prise de contrôle des médias par le pouvoir politique est enclenchée depuis un certain temps. Il s’est d’abord agi pour le pouvoir de prendre le contrôle des médias publics, puis des affairistes à sa solde ont mis la main sur les médias privés. Seuls restaient les médias associatifs. Les médias associatifs ne dépendent ni du gouvernement ni des hommes d’affaires pour leur financement. Nawaat par exemple est gérée par l’association des journalistes de Nawaat.

La Tunisie est en ébullition. Par exemple à Gabès depuis un mois il y a des manifestations contre un complexe pétrochimique qui pollue la mer, les nappes phréatiques, etc. Les médias associatifs sont les seuls qui continuent à parler de ce genre de mobilisations. Le gouvernement allume chaque semaine des contre-feux pour détourner l’attention de l’échec de ses politiques. Il y a des prisonniers politiques dont certains sont maltraités et en grève de la faim… Nawaat a été suspendue pour un mois le 31 octobre afin de l’empêcher de couvrir les mobilisations et de critiquer le pouvoir. Les associations sont régies par un décret de loi : le décret 88. Afin de dissoudre une association, le pouvoir doit d’abord la suspendre un mois avant de la dissoudre. C’est probablement ce qui va se produire avec Nawaat. Le gouvernement ne respecte plus rien pour faire taire la contestation. Il y a un grand mouvement de solidarité avec les associations menacées, Nawaat mais aussi l’Association tunisienne des femmes démocrates par exemple. Nawaat est une des seules associations qui conteste juridiquement la suspension, mais le recours sera jugé le 3 décembre. Après la fin de la durée de la suspension, Nawaat va reprendre les activités dès le début de décembre… Pour passer à la dissolution finale, ils doivent attendre quelques mois voire une année ou plus, mais comme ils ne manquent pas d’imagination, ils peuvent trouver n’importe quel prétexte pour fermer le média. Le gouvernement a prétexté que Nawaat n’avait pas envoyé les documents à temps… Le site trouvera le moyen de continuer. Nawaat a invité tous les médias à venir piocher sur son site pour republication. Jeudi prochain aura lieu une manifestation de soutien aux journalistes à la kasbah de Tunis. Samedi il y a eu une manif contre la dictature.

SM: Que pense la gauche tunisienne de la situation actuelle ?

AR: La gauche tunisienne n’est pas unifiée. Il y a des partis de gauche qui soutiennent le pouvoir. On est repartis dans une dictature à la Ben Ali. Le temps des partis et des associations est terminé. Le principe est simple : il y a le peuple et le chef. Le parti de gauche qui se fait entendre c’est le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) de Hamma Hammami, notamment à travers sa lettre électronique. Il y a deux partis héritiers de Chokri Belaïd1, les patriotes démocrates, mais un des deux soutient le pouvoir. Les manifestations sont organisées par des indépendants, des jeunes de gauche. Des gens parlent de « Gen Z Tunisie », ils ont une page FB mais ne sont pas vraiment militants. En 2021, quand le président a fait le coup d’État institutionnel contre les islamistes, plein de militants et d’organisations de gauche l’ont soutenu. Les gens pensaient que le gouvernement allait rendre la liberté au peuple. Il y a des gens de gauche qui sont contre le régime parlementaire, car cela permettrait aux islamistes de revenir au pouvoir. Actuellement, il y a des partis de gauche qui refusent de manifester contre la dictature, car les islamistes manifestent aussi. Au niveau des droits fondamentaux, on est de retour au niveau zéro.

SM: Quelle est la politique de l’UGTT face à la situation ?

AR: Depuis août, l’UGTT subit les attaques du pouvoir. Des milices pro-gouvernementales ont organisé une manifestation devant le siège de l’UGTT, demandant sa dissolution. Il n’y a pas eu d’affrontement mais une semaine après l’UGTT a organisé une manifestation de 7000 personnes. L’UGTT a organisé des grèves dans les secteurs comme les transports. Le président a brutalement rompu les négociations collectives dans les secteurs. C’est du niveau de Ben Ali et Bourguiba. Le président a fait pression sur les patrons pour qu’ils mettent fin aux négociations. Il y a aussi des luttes internes à l’UGTT : le bureau exécutif est divisé en plusieurs cliques. En Tunisie, l’UGTT pèse (un million de syndiqués sur douze millions d’habitants). La direction de l’UGTT a dit qu’aux grèves tournantes dans les secteurs et les régions va succéder une grève générale. On attend un peu tous une réponse à la hauteur des attaques. La lueur d’espoir c’est la jeunesse et la résistance dans les médias. Le gouvernement va de bassesse en bassesse : récemment il a dit que les grévistes de la faim en prison mangeaient en cachette. L’opposition est globalement affaiblie. Mais la situation économique et politique est telle que la crise ne peut pas se terminer. Les prix montent. Depuis le Covid l’économie est asphyxiée. La vision qu’il faut une vraie bagarre est partagée par des militants de gauche en Tunisie ou en exil en France. Les militants s’exilent. L’État ne voulait plus entendre nos voix… Même dissous nous continuerons.

Propos recueillis par Stan Miller, 16 novembre 2025, paru sur https://npa-revolutionnaires.org/letat-ne-voulait-plus-entendre-nos-voix-meme-dissous-nous-continuerons/

1  Chokri Belaïd (1964-2013) : dirigeant du Parti patriote démocrate, assassiné par des islamistes le 6 février 2013 et dont l’assassinat a provoqué une vague de protestation.

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