2 juillet 2025, accompagné d’un coup de pied coqué aux fesses, Jammy sortait enfin des geôles de Sahadey. Finit de croupir dans les sous-sols de la tour AMC GCM à Marseille. Première fois qu’il voyait le jour depuis une année. La luminosité le dérangea moins que l’oppressante chaleur. Étourdit, il comprit immédiatement que le réchauffement climatique continuait son inexorable progression. Depuis quatre jours, il faisait en moyenne 26,82°C sur l’ensemble du territoire. La dernière fois qu’il avait fait aussi chaud en France durant plusieurs jours était en 2003 et 2019, des années tristement records (1). Depuis le tournant des années 2000, les canicules devenaient la norme en été. Il allait falloir s’habituer à en suer de plus en plus fort.
Sur les plateaux télés, d’une commune vanité, les commentateurs en continu minimisaient l’actuelle vague de chaleur en la comparant avec la canicule de 1976. Sur HaineNews, Rascal Pro avait vulgairement déclaré : « De toute façon c’était plus chaud avant non ?! Alors de quoi on se plaint puisque madame Lepénis nous promet un grand plan climatiseur ? A un moment faut garder la tête froide et les pieds sur Terre bon sang ! ». Pour sa défense, Rascal Pro ignorait qu’en 1976, du 28 juin au 2 juillet, il avait fait 24,95°C en moyenne sur la France. Soit près de 2°C de moins qu’en 2025. Mais qu’importe, comme tous les vivants, les coqs subissaient les chaleurs nocturnes en chantant amèrement les louanges du carbofascisme le matin venu. L’extrême droite allait même jusqu’à expliquer que tout bon patriote écologiste souhaitait fermer les frontières, afin de se prémunir de toutes sortes d’invasions étrangères. Les dérives autoritaires se multipliaient au détriment des libertés individuelles et les modalités d’expression s’en retrouvaient censurées, mais ça le PAF médiatique français s’en contre fichait totalement, trop abruti dans une crasse bêtise auto-entretenue. Grassement rémunérés pour désinformer, les commentateurs en continu n’attendaient que d’aller faire bronzette sur la croisette. C’était l’été, le temps de la fête !
Jammy vomit dans une poubelle. Il s’essuya les lèvres avec la une du journal La Provence, où était titré au-dessus d’une photo de Rima Hassan debout sur le pont d’un voilier : « La croisière s’amuse 2, bientôt le retour ? ». Où est-ce que Rima Hassan retournerait en bateau ? A Gaza ?! Quoi !? Jammy comprit qu’il allait devoir faire un gros point d’actualités pour se mettre à jour. D’instinct, Jammy voulut fuir au plus loin. Il gagna péniblement la gare Saint-Charles et monta dans le premier train au départ. Ouf, il était climatisé. Mais pour combien de temps ? Jammy s’assoupit en se demandant où était Freud ? Et la Petite Voix ? Étaient-ils libres ou emprisonnés ?
oOo
Rouvrant les yeux, face à lui, Jammy vit un quarantenaire, cheveux longs tirés en arrière, entrain de lire une brochure posée sur son ventre rond. Il déchiffra le titre écrit en gras : « de L’EAU POUR toutes et tous aujourd’hui et demain ! ». Alors que Jammy reconnu Julien Le Guet, militant du collectif Bassines Non Merci, ce dernier s’adressa à lui :
- Ça va Jammy, bien reposé ?
- Heu oui, merci. Jammy se redressa, un peu gêné, mais appréciant ce contact familier. « On se connaît ?
- Tout le monde te connaît Jammy, sourit gaiement Julien.
- A vrai dire moi aussi je sais qui tu es Julien, sourit Jammy. Ca parle de quoi ce que tu lis ?
- Ça parle de méga bassines bien sur ! C’est un 4 pages des copain.es de Bassines Non Merci 34, en Hérault, la Coord’Eau34, un collectif qui lutte contre des projets de méga bassines entre Montpellier et Béziers. Ils disent que l’eau est un commun à préserver et partager, et que seules des formes de gestions démocratiques peuvent garantir l’équité de la répartition de cette ressource en voie de raréfaction. Surtout sur des territoires qui s’aridifient à vitesse grand V comme sur le pourtour méditerranéen.
- Oui la Méditerranée est un hot spot du réchauffement climatique.
- Avec +5°C de température de surface qu’à la normale, la faune et la flore marine se meurt. Ça chauffe fort par ici. Trop fort... Julien se tourna vers la vitre où défilait un paysage desséché : « Regarde la végétation, c’est plus jaune que vert... Mais bon, la solution du Conseil Départemental de l’Hérault pour pallier au manque d’eau c’est de construire des bassines dans la plaine viticole et de les remplir avec l’eau du Rhône.
- Avec l’eau du Rhône ?
- Ouai c’est ce qui est écrit. Apparemment y a un canal qui amène de l’eau jusqu’aux portes de Montpellier, le canal Philippe Lamour, et ensuite l’eau est pressurisée dans un tuyau qui va jusqu’à Narbonne. C’est dingue non ? Julien tendit le papier à Jammy, en lui montrant le tracé du réseau d’eau Aqua Domitia sur la carte de la double page intérieure de la brochure.

Agrandissement : Illustration 1

- Et ça servirait à produire du vin ces bassines ?
- C’est ça. Et ce qui est dingue c’est que la culture du raisin est en surproduction, alors que les consommations baissent, tout comme les exportations à l’international. Avec Trump qui menaçait de taxer les alcools européens à 200 %, y en a plus d’un qui a du frisonner au Département ahah.
- Trump a été réélu !?!
Julien fut tout aussi étonné que Jammy : « Ba ouai, Trump est de nouveau au pouvoir. Et avec son administration démoniaque il terrorise tout le monde, tu débarques ou quoi Jammy ?
Jammy s’effondra en larme. Julien le consola s’en trop comprendre, puis Jammy lui raconta son arrestation l’an passé, et tout ce qu’il avait vécu enfermé dans les geôles de Sahadey. Après que Jammy ait vidé son sac, il demanda à Julien de lui en dire plus sur les méga bassines.
Julien parla surtout des bassines dans le Poitou, où depuis des années la lutte était rude contre les mafias agricoles locales. Au tournant des années 2000, la région du marais poitevin avait été pionnière dans l’expérimentation de bassines pour parer aux effets du réchauffement climatique. Des dizaines de « retenues de substitution », comme les appelaient leurs promoteurs, avaient été construites pour assurer la production agricole en été, en irriguant les cultures. Et ce au détriment des fonctionnements de ce milieux particulier, de la biodiversité et des exploitants non connectés aux réseaux.
Dans une logique idéale, les bassines étaient remplies avec de l'eau pompée en hiver, quand la ressource est abondante dans les nappes et rivières, puis retournerait dans les milieux l'été, et tout le monde serait heureux. Un cycle magique. Un peu comme l’argent qui ruisselle vers le haut, des poches des plus démunis vers les bourses de milliardaires, qui se la jouent façon Picsou dans une mer de billets. En réalité, ces dernières années, les millions de mètres cubes d’eau ponctionnés en hiver avaient impacté l'état hydrique des sols à tous les niveaux, de la surface aux nappes profondes (2). De fait, les retenues de substitution portaient bien leur nom. Leur multiplication, accompagnée d’une augmentation exponentielle des volumes d’eau stockés, avait substitué l’eau aux milieux, qui s’en retrouvaient privés en hiver comme en été...
Tout ça agaçait Julien au plus haut point : « Non mais à quoi bon vouloir pérenniser l’irrigation de grandes cultures très gourmandes en eau comme le maïs, en été ? Évidemment que c’est aberrant de continuer à cultiver une plante tropicale dans une zone qui s’assèche !
- Et plus on arrose le maïs plus ça doit accentuer les sécheresses...
- Mais grave ! C’est insensé, et eux ils continuent de foncer dans le mur en nous imposant des bassines pour irriguer toujours plus. Et le pire c’est que tout ça est largement financé avec de l’argent public, pour près de 70 %. On paye deux fois l’eau, et la facture est plus que salée, vu qu’il n’y a aucun changement des modes de production. Ni garantie de diversification des cultures, ni arrêt des pesticides...pire que des parasites, c’est eux qu’il faudrait éradiquer je te dis, sourit Julien.
De fait, les bassines étaient destinées à irriguer le business modèle agro-industriel : parcelles de très grande taille, monoculture intensive, arasement des haies, artificialisation et homogénéisation des paysages, isolement des paysans et intrants toxiques à gogo. Tout ça rendait complètement gaga, sans parler de tous ces troubles cognitifs qui troublaient les corps et esprits d’adultes éternellement pollués par l’agrochimie, et autres turbulents enfants hyperactifs devant rester sagement assis face aux injonctions contradictoires des maîtres du consumérisme pulsionnel. Avec leurs intrants synthétiques et leurs publicités pathétiques, ces salauds nous empoisonnaient à tous les niveaux. Tout ça n’était pas très bon pour maintenir son attention. Et vu le merdier qui s’annonçait, l’humanité allait avoir besoin de se concentrer sur des problèmes très très très compliqués. Le genre d’examen sans rattrapage, qui nécessitait de saisir la complexité systémique des enjeux encours.
Heureusement, la multitude des problèmes étant connue depuis longtemps, des solutions avaient été formulé par divers gens. Mais face au capitalisme agraire, toute solution déviant du dogme de l’économie de marché mondialisée était d’emblée exclue par les élites politiques. Il fallait croître en surproduisant ! Et même si l’impact néfaste de l’agro-industrie sur la biodiversité était sans conteste, on continuait à tout intoxiquer. Depuis deux-cents ans, les espèces s’éteignaient 10 à 1.000 fois plus rapidement qu’au rythme naturel. A cette vitesse, les trois quart des espèces actuelles auront disparues dans 500 ans (3). La question étant de savoir si cette 6ème extinction de masse, causée par l’espèce humaine, allait entraîner le coupable dans sa chute ? Rien n’était moins sur...mais inévitablement l’humanité prendrait cher. Tel était le prix à payer pour tous ces petits et grands profits.

Agrandissement : Illustration 2

- Tu vois Jammy, les bassines servent à irriguer des productions en majorité exportées à l'international, qui plus est soumises à des logiques spéculatives, comme le maïs, le blé, le soja ou le vin (4). Les bassines s'inscrivent dans la poursuite du modèle agro-industriel, avec des logiques de surproduction alimentaire et de surexploitation des sols jusqu'à épuisement. Une énième solution technique qui rend les agriculteurs dépendants de l'irrigation et du stockage de l'eau. Et tout ça pour quoi ? Pour garantir les rendements de cultures uniformisées et calibrées, ou qui serviront à nourrir des animaux dans des fermes usines, ici ou très loin. C’est vraiment pas sain.
- Je dirai même que c’est malsain, s’amusa Jammy. Mais qui est-ce qui organise tout ça ?
- C’est le complexe agro-industriel, avec ses multinationales qui peuvent compter sur des puissants syndicats comme la FNSEA, qui dictent depuis des décennies aux ministres de l’Agriculture les politiques à mener pour garantir la pérennité du business modèle agro-industriel. Non seulement ce modèle ravage la biodiversité sur l'ensemble de la planète, mais il entraîne de profondes inégalités socio-économiques à travers les pays mis en concurrence. Les bassines sont une manière de détourner des subventions publiques pour garantir l'accès à l'eau à une minorités d'exploitants, en plus de favoriser des plus-values foncières sur des terrains irrigués.
- Je vois, les bassines sont un énième avatar capitaliste.
- On est toujours dans des logiques d’accaparement de ressources et de privatisation de communs. Partout où ce modèle a été appliqué, les sols ont continué de s’assécher et les exploitants ont continué de subir avant de faire faillite, leurs parcelles rachetées par des grands groupes. C’est pourquoi il faut lutter contre les bassines !
Jammy leva son poing gauche fermement serré.
Julien sortit de sa poche un sticker Bassines Non Merci, dont-il décolla minutieusement les bandes collantes. « Tout ça c’est de la mal-adaptation. Ils disent soutenir durablement la demande en eau, mais en réalité ils ne font qu’augmenter la demande en irriguant toujours plus de cultures inadaptées, au détriment d’autres cultures vivrières qui nous permettraient de manger localement et sainement. Les ingénieurs qui pensent à tout ça tournent sous des logiciels obsolètes. Pour eux se développer c’est miser sur l’augmentation de la disponibilité en eau, plutôt qu’adapter les systèmes agricoles à une disponibilité de l'eau de plus en plus variable, voire réduite...finit-il en collant le sticker sur la fenêtre.
Jammy se rappela des conclusions du rapport Explore 2 sur les questions hydriques en France pour la fin du siècle : « Il faut se préparer à vivre dans un monde où la météo sera incertaine, avec des pluies irrégulières. Trop en hiver et pas assez en été. Ou trop d’un coup, comme avec les déluges d’orages d’été qui provoquent des inondations entre des périodes de sécheresse (5).
- Moi ce qui m’énerve le plus, c’est que certaines bassines bénéficient de facilitations réglementaires, et peuvent être remplies pendant les périodes de stress hydrique, alors que les agriculteurs indépendants n’ont pas le droit d’irriguer à ce moment.
- Mais non ?
- Mais si ! Un exemple en cours. En 2008, près de Cramchaban, dans le sud du marais, l’association syndicale d’irrigation des Roches bleues a voulu construire cinq bassines pour un volume de 1,5 millions de mètres cubes. En 2009, le tribunal administratif de Poitiers, saisi par Nature Environnement 17, a annulé l’autorisation du projet parce que l’étude d’impact environnemental n’était pas bonne du tout. Mais c’est là que le préfet intervient pour dire « si si bassines il y aura », en fournissant un beau permis d’aménager pour terminer le chantier. Ensuite y a eu un appel formé par l’État qui a été rejeté, et entre temps les bassines ont été construites, remplies et utilisées malgré leur illégalité latente. En 2015, la préfecture a délivré un nouvel arrêté d’autorisation, quasiment semblable à celui de 2008. Nature Environnement 17 a de nouveau saisit la justice et l’autorisation a de nouveau été annulé en première instance en 2018, puis en seconde instance en 2022. Mais pendant ce temps là les bassines étaient fonctionnelles (6). Et là mardi va y avoir le jugement des neufs agriculteurs qui ont puisé illégalement de l'eau entre octobre 2020 et mars 2023. Je te parie qu’ils vont être condamnés !
- Ils assurent Nature Environnement 17 ! Mais je me pose une question, à des moments il faut bien stocker de l’eau pour pouvoir cultiver non ?
- Oui, c’est essentiel pour cultiver des légumes notamment. Nous on a rien contre le fait qu’une exploitation bio locale ait une réserve d’eau, comme par exemple une retenue collinaire qui récupère l’eau de pluie. Nous on est contre les grandes retenues d’eau imperméables au milieu, qui servent à irriguer des monocultures intensives blindées de pesticides. Stocker de l’eau intelligemment pour des cultures vivrières respectueuses de l’environnement c’est une bonne chose, tant que l’eau n’est ni accaparée ni expédiée à l’autre bout du monde ! Mais en l’occurrence moins de 20 % des cultures dans les Deux-Sèvres sont dédiées aux légumes. Et dans les contrats bassines il n’y a pas vraiment de contraintes pour irriguer des cultures maraîchères. Sans objectifs chiffrés pour diversifier les cultures, y a pas de raison que ça change… (7)
- On est prit dans une spirale infernale...en plus ça doit demander énormément d’énergie de pomper l’eau des nappes jusqu’aux bassines, puis des bassines jusqu’aux champs ?
- Carrément ! C’est très énergivore, et avec l’augmentation des prix de l’électricité ça leur coûte un bras ! Des centaines de milliers d’euros de pertes. Par exemple, la Coop de l’eau 79, un système coopératif qui dit mutualiser la bonne gestion des prélèvements d'irrigation en construisant des méga bassines, signifia Julien en pliant ses deux index et majeurs, leurs charges ont explosé entre 2022 et 2024, avec des coûts de fonctionnement qui sont passés de 2,6 millions d’euros à 6,6 millions d’euros. Une petite facture multipliée par 2.5, ça pique ! Mais c’est pas le pire. Depuis Sainte-Soline 2, la préfecture des Deux-Sèvres et les assurances des exploitants ont exigé de protéger les bassines avec des grilles et de la vidéosurveillance, ce qui coûte super cher ! (8)
- Ah ouai c’est combien tu sais ?
- Grosso merdo il faut plus de 350 000 euros pour sécuriser une bassine de 200 000 m³. Et en comparaison, celle de Sainte-Soline fait 600 000 m³. Je te laisse imaginer comment ils tirent la gueule au conseil d’administration de la Coop79 avec les quatre bassines qu’ils doivent sécuriser ahah. Bref, la Coop79 est en difficulté financière. Les coûts des bassines explosent, les jugements défavorables s’accumulent et le ras-le-bol des agriculteurs s’installent.
- Ça crée des tensions supplémentaires...
- Et les agris n’ont pas besoin de ça. Clairement pas... Tous les exploitants décrivent des difficultés économiques systémiques. Les bassines ne font qu’accentuer la crise agricole et y a plein d’irrigants qui, malgré ou à cause des bassines, sont au bord de la faillite. Les bassines nécessitent des efforts financiers qui épuisent les agris et les poussent au départ. Qu’ils aient accès à l’eau, ou pas.
- C’est bien triste tout ça...
- C’est pour ça qu’on ne lâche rien ! sourit Julien. On est dans un système qui se mord la queue, mais on va en sortir. Soit de manière réfléchie et planifiée, avec de vraies concertations publiques qui informent les gens en explicitant les enjeux autour de l’irrigation, mais aussi sur les différentes formes de gestion de l’eau en fonction des types de cultures à irriguer. Soit on continue de subir comme aujourd’hui, et ça sera de pire en pire, avec des sols contenant de moins en moins de matière organique, jusqu’au point où on ne puisse plus cultiver sans intrants, puis plus rien quand tout le sol est parti et qu’on se retrouve avec des paysages semi-désertiques. On a franchi six limites planétaires sur neuf et les questions d’eau et d’agriculture concernent les six limites franchies. Julien sortit son téléphone et pianota dessus. « Regarde, toutes les limites en rouge sont liées à nos modes de productions agricoles.

Agrandissement : Illustration 3

Julien pointa du doigt les limites : « Pollutions chimiques, c’est très très critique. Émissions de CO2, ça on connaît. La biodiversité, bientôt RIP. Pour le changement d’affectation des sols, c’est assez dingue ce qui s’est passé dans le marais. Pour faire court d’une longue histoire, le marais Poitevin est aménagé depuis le 11ème siècle, mais c’est surtout entre le 16ème et le 20ème siècle que le marais a été asséché. En gros c’est des milliers de kilomètres de fossés, de canaux et de rigoles creusés, avec des millions d'arbres plantés pour fixer les berges. On est en étroite relation avec l’eau depuis longtemps dans le marais, sourit Julien. Mais en plus de tout ce réseau hydraulique, de grands travaux hydro-agricoles ont été réalisés dans les années 1960. Le remembrement n’a pas épargné la région. La création de nouveaux évacuateurs et des recalibrages de canaux ont mené à la disparition du marais mouillé autour de la rivière de la Vendée, entre Le Gué de Velluire, et l'île d'Elle, ou entre Doix et Vix. Puis dans les années 1980 ça a été le développement du drainage agricole par drains enterrés, dans une perspective d'assèchement généralisé et d'intensification de la production agricole. Avec une spécialisation de plus en plus marquée des exploitations dans les cultures céréalières. Comme la P.A.C pousse à cultiver des céréales en subventionnant l’irrigation, les agriculteurs abandonnent petit à petit leurs élevages. Et dans le même temps, c’est là que des gens se sont dit « Et si on faisait pousser du maïs dans le marais ? ».
- Ah ça remonte aux années 80 la culture du maïs dans le marais.
- Ouai, l’American Way Of Life ma gueule. Mais les cultures de maïs n’ont pas produit les résultats escomptés. Sans rentrer dans les détails, en gros y a un conflit entre les agriculteurs des marais mouillé et desséché. Julien tapota sur son téléphone.

Agrandissement : Illustration 4

- Tu vois y a en amont les marais mouillés et en aval les zones asséchées. Les agris du marais desséché ont la main sur la gestion des vannes et en période de sécheresse ils irriguent leurs terres avec l'eau stockée plus haut dans le marais mouillé, ce qui met en difficultés les cultures et l’élevage de ce côté du marais. C’est pas nouveau comme problème, mais la culture intensive du maïs rajoute des couches monstres de tension entre exploitants. D’un côté les promoteurs du maïs imposent d’évacuer le plus possible d'eau pendant la saison humide, pour éviter les inondations qui compromettraient les semailles. D’un autre côté le rôle éponge du marais c’est bien de stocker l'eau en hiver pour la restituer à la saison sèche. Sinon à l’été venu, ba y a plus d’eau...et comme le maïs consomme en moyenne trois fois plus d’eau que les autres cultures, il faut des bassines.
- Ah ouai c’est complètement absurde comme fonctionnement. Encore une logique court-termiste à la...
- Et les conséquences des effets conjugués des sécheresses et de la gestion de l'eau sont énormes ! Le manque d'eau réduit fortement les débits des fleuves du marais poitevin, comme la Sèvre Niortaise et le Lay, ce qui accélère dramatiquement l'envasement au niveau du littoral, avec tout ce que ça engendre comme tensions et problèmes socio-économiques entre les exploitants agricoles et les conchyliculteurs, ostréiculteurs et mytiliculteurs de la baie de l'Aiguillon. Enfin voila, l’agriculture intensive, avec ses pompages intensifs, a bouché des fossés en les remplaçant par des drains en plastique, sans vie. Une manière de gérer l’eau anti écologique qui en plus assèchent les nappes phréatiques. Mais bon pour finir mon histoire, les grands barrages construits dans les années 1960 ne suffisent plus pour irriguer le capitalisme agricole, et au début des années 2000 la création de « réserves de substitution » est apparue comme la solution pour certains agriculteurs vendéens. Donc depuis on continue d’appauvrir les terrains, on intoxique les sols et les réseaux d’eau, et avec une baisse moyenne des cours d’eau de trente centimètres en quarante ans, les poissons ne peuvent plus frayer. Et en plus certains secteurs tourbeux se sont affaissés de près de soixante centimètres. Heureusement dans les années 90, des projets de « valorisation et sauvegarde du marais poitevin » ont été lancé par François Mitterrand et Ségolène Royal. Des mesures soit disant « agroenvironnementales », financées par l'État, l'Union européenne et les collectivités locales, pour contractualiser avec les agriculteurs du marais la conservation des prairies naturelles et le maintien de pratiques agricoles favorables à la biodiversité. Bon on y est pas encore...mais c’est l’objectif sourit Julien. « On la veut notre belle Terre vivante.
- Va falloir plus que de l’espoir pour y arriver !
- C’est pour ça qu’on est là, on fait tout ce qu’on peut pour limiter la casse. Chaque millième de degré compte. Tandis que le train décéléra, Julien ajouta qu’il fallait freiner de toute urgence et changer de modèle agricole.
- On arrive à Nîmes, constata Jammy.
- Je ne sais pas ce que tu as de prévu Jammy, mais peut-être que tu devrais descendre à Montpellier pour discuter avec la Coord’Eau34, sourit Julien.
- Je le crois aussi, dit gaiement la Petite Voix.
- Oh la Petite Voix, tu es là !? s’émerveilla Jammy.
- Mais oui, j’étais jamais partie, j’attendais juste dans un petit coin reculé de ta tête. Je suis prête à repartir pour une enquête en quête de vérité et de justice sociale et environnementale, et toi ?
Tandis que le train repartit, Julien et la Petite Voix exposèrent un plan à Jammy, qui savait désormais comment débuterait sa carrière de youtubeur. Il allait documenter les projets de bassines en Hérault, qui recelaient de belles histoires sur la gestion de l’eau par la Région Occitanie.
De son côté, Freud croupissait toujours dans les geôles de Sahadey. Le fait d’avoir évoqué la Flottille de la Liberté des mois avant son lancement avait intrigué les sbires de Sahadey et de Karole Dégâts, qui continuaient de le questionner au chalumeau pour savoir quels étaient les plans de l’extrême gauche face aux dictateurs démocrates occidentaux qui commençaient à se diviser sur la question Palestinienne. La folie meurtrière de l’État Israélien devenait difficile à légitimer et poussait à choisir un camp. Le monde se polarisait dans des jeux d’alliances multilatérales, où se rebattaient les cartes diplomatiques, énergétiques et militaires mondiales.
oOo
Depuis des décennies, les médias des milliardaires monopolisaient l’attention d’un audimat détourné des enjeux réels, en imposant des lignes éditoriales à l’idéologie moisie de conservatisme et de néocolonialisme raciste et nationaliste. Dès l’après guerre, alors que le plan Marshall se mettait en place, les médias pro capital avaient fait preuve de pédagogie pour expliquer en quoi le remembrement des terres arables étaient nécessaires à la patrie, au service des marchés internationaux. Le grand saccage de parcelles et de vies bouleversées avait été porté avec cruauté par les pionniers de la FNSEA, le syndicat tout puissant, avec son double héritage du régime de Vichy et de la Résistance, pour moderniser l’agriculture et faire de la France un fleuron de l’agriculture mondialisée. Insidieusement, déraciner les âmes et cultures de territoires aux terroirs à tout jamais détruits par les bulldozers du St-Progrès. Depuis, l’agriculture n’avait cessée de se moderniser, aussi rapidement que les sols, les petites bestioles et les paysans se mouraient. De 10 millions d’agriculteurs en 1945, il n’en restait que 400.000 en France en 2020. Une poignée de gens se tuant à la tâche, soit disant pour nourrir l’humanité, alors qu’un tiers des aliments produits pour la consommation humaine était perdu ou gaspillé chaque année.
Le mythe tenace d’une agriculture intensive nécessaire à la survie de l’humanité était en réalité en train de l’empoisonner, avec l’ensemble du vivant. Si tout le monde savait que l’agro-industrie nous intoxiquait, la majorité ignorait tout des problématiques entre agriculture, réchauffement climatique et capitalisme. D’une graine d’orgueil aux idéaux mécanicistes, dont les racines continuaient à proliférer dans les egos d’individus soumis aux lois de l’économie de marché, notre déconnexion trop humaine d’avec la nature nous avait rendu hors sol. Mais pendant encore combien de temps pourrions-nous continuer à léviter au-dessus des limites planétaires ?
Les tensions devenaient de plus en plus palpables. Ces dernières années, en France, des centaines de communes avaient subi des coupures d’eau. L’entraide passant après les intérêts privés dans un système capitaliste, sur fond de guerre de l’eau, partout sur Terre les fournisseurs se préparaient à contractualiser quiconque voudrait vivre, les plus gros payeurs passant évidemment en premier. Comme l’avait exprimé le vice-Président de la Banque Mondiale en 1995, « si les guerres du 20ème siècle ont été menées pour le pétrole, les guerres du 21ème siècle auront l’eau pour enjeux ». Si l’on pouvait naïvement spéculer sur le fait qu’Elon Musk terraforme Mars, il était très risqué de jouer avec l’offre et la demande en eau sur Terre. D’autant que l’eau était entrée à la Bourse de Chicago et au Nasdaq fin 2020. Enfin il était possible de spéculer sur l’évolution des prix de cette ressource vitale.
Le modèle capitaliste des bassines s’évertuait à s’accaparer le liquide vital pour boursicoter à l’international. Remplir des silos de denrées, les garder en stock quand les cours sont bas, pour les vendre au moment le plus enrichissant. Ça n’était pas la demande qui créait l’offre, mais l’offre qui créait la demande, en irriguant toujours plus grâce à des subventions encourageant une perverse compétition productrice d’inégalités socio-économiques, de tensions multiples au sein du vivant et d’un immense gâchis mondialisé. Il était temps de changer la donne !
No Bassaran !
.
Stan Mina
.
https://www.youtube.com/watch?v=A7KZJX-EhD0
.
Article suivant C'est Pas Sourcier 2 : https://blogs.mediapart.fr/stan-mina/blog/140925/cest-pas-sourcier-2-les-projets-de-bassines-en-herault
.
Sources :
(3) https://www.ofb.gouv.fr/pourquoi-parler-de-biodiversite/la-biodiversite-en-danger
(4) https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/AgresteNAEtudes20_avril2021_FFBleTendre_cle8734ab.pdf
(5) https://www.inrae.fr/actualites/explore2-life-eauclimat-cles-ladaptation-gestion-leau
(8) https://reporterre.net/Le-modele-economique-des-megabassines-du-Poitou-prend-l-eau