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Billet de blog 7 octobre 2023

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Le climat, une arme de violence symbolique ? Billet n°2

Ce deuxième billet s’interroge sur le recours massif dans la note de la Fondation Jean Jaurès sur le climato-complotisme aux amalgames au détriment d’une argumentation raisonnée.

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Le dictionnaire de l’académie française définit l’amalgame, dans son sens rhétorique, comme un « procédé employé pour déconsidérer soit un adversaire en le mêlant indûment à un groupe honni, soit ses idées en les identifiant à une doctrine largement réprouvée. »[1] L’amalgame ne doit pas être considéré comme un raisonnement, mais plutôt comme une arme discursive manipulatoire.

Bien entendu, tout rapprochement d’idées ne constitue pas un amalgame en tant que tel. Il en devient un lorsque ce rapprochement ne se fonde pas sur des éléments tangibles. Il est utile de rappeler à cet égard qu’une corrélation statistique observée entre deux phénomènes n’implique pas nécessairement une relation de cause à effet. De nombreux « analystes » contemporains n’hésitent pourtant pas à prendre de tels raccourcis, d’autant plus que le numérique facilite aujourd’hui la production et l’échange de données[2]. Sans relever de l'amalgame en tant que tel, ce type de pratiques apparaît comme un signe au mieux d'incompétence, au pire de malhonnêteté intellectuelle. 

La note de la Fondation Jean Jaurès sur le climato-complotisme[3], bien qu’elle soit présentée comme solide et sérieuse dans les médias institutionnels, n’est pas avare de tels procédés. Son objet premier nourrit d’ailleurs un amalgame : celui d’associer le complotisme et le climato-scepticisme. S’il n’y a pas lieu de contester l’existence d’influenceurs sur Tweeter répondant à ces caractéristiques (première partie de l’étude), rien de concret dans les résultats du sondage présentés en 2ème partie ne permet de convaincre d’un tel lien au sein de la population générale. En particulier, la note ne fait figurer à aucun moment des croisements entre positions par rapport à la théorie du réchauffement climatique anthropique et réponses aux narratifs « complotistes » testés.

A cela faut-il ajouter que la part de répondants apparaissant aux yeux des auteurs de l’étude « complotistes » est largement supérieure à celle des climato-sceptiques ; les narratifs testés recevant un taux d’accord s’étalant entre 30% et 79% quand la part de climato-sceptiques n’est estimée qu’à 27%. Ainsi, si la note de la Fondation Jean Jaurès n’indique pas la proportion de contestataires aux narratifs testés chez les climato-sceptiques, on peut à l’aune de ces chiffres affirmer que le complotisme tel qu’il y est appréhendé n’est pas une caractéristique propre à ce milieu. D’autant que l’étude ne prend pas la peine de s’étendre sur le sens qu’elle donne à la notion de « complotisme ».

On peut conduire le même raisonnement à propos du rapprochement entre climato-sceptiques et antivax ou contestataires des positions officielles par rapport à la guerre en Ukraine. Si là encore des influenceurs Tweeter ont pris ce parti, aucun chiffre dans la 2ème partie de la note ne permet d’étayer un tel constat à grande échelle. Plus surprenant encore, l’étude amalgame sans filtre le climato-scepticisme avec l’extrême droite et des positionnements identitaires et hostiles aux migrants. On peut en effet y lire :

 « Comme le montre l’approche par clusters, les groupes ayant une sensibilité progressiste sur les questions sociétales, manifestant de l’ouverture et de la tolérance envers les immigrés et les musulmans, qu’ils soient radicaux ou modérés, sont dans leur très grande majorité convaincus de l’origine humaine du réchauffement climatique. (…) À l’opposé du spectre idéologique, d’autres clusters se caractérisent au contraire par une composante climatosceptique importante (au moins 40%), voire majoritaire. Ces groupes ont, en commun, d’être plutôt conservateurs et de manifester une certaine distance, voire une réelle hostilité à l’islam et aux migrants. Il y a donc une corrélation entre positions sur le clivage identitaire et dispositions au climato-scepticisme. (…) Quant aux deux seuls groupes majoritairement climatosceptiques, les sociaux-patriotes et les identitaires, il s’agit de deux clusters très radicaux sur les enjeux migratoires et très opposés au multiculturalisme. »

Derrière un langage feutré, c’est ainsi l’image du « réac intolérant et raciste » qui est associée au climato-scepticisme. De deux choses l’une : soit ces constats ressortent de données quantitatives concrètes issues de l’enquête, non mentionnées dans la note. Auquel cas, on aimerait disposer de ces éléments ne serait-ce que pour connaître le niveau de corrélation ayant permis aux auteurs d’associer au groupe ici ostracisé de telles caractéristiques.

Soit ces lignes ne sont qu’une (tentative d’)interprétation de la distribution des climato-sceptiques sur le spectre des différents clusters - ce qui, au vu de la formulation, semble être l’hypothèse à privilégier. Auquel cas, pourquoi n’avoir mis en exergue que les aspects relatifs aux migrants et au multiculturalisme quand bien d’autres caractéristiques auraient pu être mobilisées pour qualifier les clusters dans lesquels les climato-sceptiques se répartissent ou ne se répartissent pas ?

Le site cluster17.com décrit en effet de manière détaillée la catégorisation par clusters usitée par les auteurs de l’étude. On s’étonne alors que face à la richesse descriptive du site, la caractérisation des clusters cités dans l’étude soit aussi succincte et orientée. Les rapports à l’Europe, à la mondialisation ou encore à la souveraineté n’auraient-ils pas par exemple pu tout aussi bien être soulignés ?

Nous verrons en tout état de cause dans un prochain billet que l’analyse sous le prisme des clusters nécessite des précautions qui ne semblent ici pas avoir été prises par les auteurs, et qui rendent par conséquent les conclusions auxquelles ils aboutissent largement contestables. Notamment, l’assimilation entre climato-scepticisme et extrême droite constitue un raccourci erroné dans la mesure où, à l’aune des données présentées dans la note, les individus positionnés dans les clusters d’extrême droite apparaissent minoritaires au sein de la population climato-sceptique. A l’inverse, le climato-scepticisme n’apparaît significativement majoritaire dans aucun des clusters[4]. Peut-on dès lors décemment attribuer à un groupe les spécificités d’un autre groupe quand les membres du premier sont minoritaires dans le second et inversement ?

Que penser de ces approximations et points aveugles ? Accordons le bénéfice du doute, et gageons les auteurs de n’avoir établi qu’une note de synthèse ou un résumé grand public qui ne reprend que trop peu la matière brute à partir de laquelle se construit leur argumentation. Si telle est la situation, il est urgent que la Fondation Jean Jaurès rende public un rapport un peu plus étoffé, voire les données source des enquêtes en support. Ne serait-ce que pour permettre au groupe ostracisé de répondre et d’ouvrir un débat contradictoire[5].

Une question transparaît en creux : les médias officiels ont-ils eu plus de grain à moudre que cette note succincte pour la relayer avec autant de bienveillance ? Si ce n'est pas le cas, on peut s’interroger sur leur indépendance et leur capacité d’esprit critique. Plutôt que d’être aveuglement porté aux nues, voilà un travail qui aurait mérité de passer sous les fourches caudines du « Fact checking » ; mais qui n’en aura vraisemblablement jamais l’honneur …

[1] https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A1367

[2] Dans un récent ouvrage, je développe un chapitre sur le « danger statistique » qui étudie en quoi la prolifération de données constitue aujourd’hui une menace pour notre démocratie (Stéphane Wojnarowski, La démocratie opérationnelle: donnons au peuple le pouvoir de décider ce qui est important pour lui, Questions contemporaines (Paris: l’Harmattan, 2022).

[3] https://www.jean-jaures.org/publication/dictature-climatique-pass-climat-great-reset-les-discours-complotistes-a-lassaut-de-lopinion/

[4] Pour être exact, la part des climato-sceptiques atteint 52% chez les identitaires et 50% chez les sociaux-patriotes, sachant que cette part ne porte que sur les individus qui se sont prononcés.

[5] Même si cette pratique n’est plus la norme en matière de climat. Pour précision, j’ai sollicité la Fondation Jean Jaurès pour obtenir les données détaillées support de l’étude, hélas sans succès jusqu’à ce jour.

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