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Billet de blog 30 septembre 2023

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Le climat, une arme de violence symbolique ? Billet introductif

La période actuelle voit fleurir de nombreuses initiatives visant à bannir le climato-scepticisme de l'espace public. Que nous dit ce mouvement quant à l'état de notre démocratie ? La récente étude menée par la Fondation Jean Jaurès sur le climato-complotisme donne quelques éléments de réponse ...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Fondation Jean Jaurès a récemment publié une note intitulée « Dictature climatique », « pass climat », « great reset »… : les discours complotistes à l’assaut de l’opinion[1]. Cette étude cherche à montrer que la crise énergétique des derniers mois a fait monter dans l’opinion une nouvelle forme de complotisme, construite autour d’un rejet des politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique. C’est ainsi que 40% de la population française adhéreraient à l’idée que « la crise climatique est une stratégie de manipulation du peuple par les élites comme la Covid-19 ou la guerre en Ukraine ». Les auteurs mettent en évidence des convergences entre ce mouvement climato-sceptique et certaines sphères politiques contestataires et se situant plutôt vers l’extrême droite.

Mais plus encore, ils soulignent l’émergence d’un « ecological backlash » s’inscrivant dans le prolongement de la dynamique complotiste qui s’est développée au cours de la crise sanitaire. Après avoir surfé sur la vague « anti-vax », des « entrepreneurs politiques numériques » se saisiraient désormais de la grogne générée par les mesures restrictives envisagées face au réchauffement climatique afin de diffuser dans l’espace public une pensée « anti-système ». Dans ce contexte, l’adhésion du public à ces thèses émanerait moins d’une (contre-)conscience écologique que du positionnement par rapport à un clivage « peuple vs élus ». Ce climato-complotisme exercerait une influence assez large sur l’échiquier politique, atteignant désormais des groupes peu réceptifs a priori au climato-scepticisme. Forts de ces enseignements, les auteurs nous mettent en garde contre le développement d’une coalition anti-écologique qui pourrait ressembler à un « trumpisme à la française ».

 En tant que sociologue travaillant sur les questions de démocratie, j’ai toujours suivi avec intérêt, et avec un œil critique, la controverse sur le réchauffement climatique. Comme j’ai pu le souligner dans un récent ouvrage[2], il s’agit là d’un exemple typique où les institutions (politiques, administratives et médiatiques) ont pris parti, et laissent peu de place à leurs opposants pour s’exprimer. Pour s’en convaincre, il suffit de porter attention au traitement réservé aux hommes et femmes politiques qui osent faire des écarts climato-sceptiques[3]. On est ainsi dans un cas d’école démocratique où, selon les sondages, une majorité de 70 à 75 % écraserait une minorité de 25 à 30 %.

Dans ce contexte, la note de la Fondation Jean Jaurès a retenu toute mon attention. Cette étude a en effet le mérite de nous en apprendre un peu plus sur les climato-sceptiques en tant que groupe social mis en marge, et qui reste encore peu étudié en sociologie et sciences politiques, notamment en France. Mais son intérêt réside moins sur cet apport empirique que sur ce qu’elle peut laisser transparaître de la manière dont sont traités les climato-sceptiques dans l’espace institutionnel. Car partant d’une tonalité et d’un positionnement assumé « pro-climat », il y a lieu de se demander si cette étude ne participe pas en elle-même au mouvement de décrédibilisation et d’étouffement de la frange contestataire qu’elle dépeint. Pour le dire autrement, cette étude présentée dans la sphère médiatique officielle comme un travail d'expertise ne constituerait-elle pas en réalité une arme politique visant à ostraciser un groupe social, et plus encore à légitimer cette ostracisation ? C’est ce que je cherche à décrypter au travers de cette série de billets de blogs.

Pour ce faire, je reviendrai en premier chef sur les prérequis de l’étude afin d’examiner comment certains ancrages préalables ferment les horizons analytiques possibles, et biaisent nécessairement les résultats présentés (billet n°1 et n°2). Je discuterai par la suite du recours aux concepts de « complotisme » et de « narratif ». Nous verrons alors que si la note de la fondation Jean Jaurès dénonce leur pratique, les raisonnements qu’elle développe s’appuient également sur de tels procédés (billet n°3). J’explorerai enfin les données d’enquête exposées pour montrer qu’un simple changement de regard aurait pu conduire à des conclusions - et de fait à des narratifs ! – tout à fait différents (billet n°4).

Deux points me semblent importants à préciser avant de rentrer dans le vif du sujet. L’étude de la Fondation Jean Jaurès a été menée en deux temps. Une analyse à partir des activités sur le réseau social Tweeter a permis d’abord aux auteurs d’identifier les principaux narratifs anti-écologiques relayés au sein de la « complosphère ». Ces narratifs ont ensuite été testés auprès de la population dans le cadre de sondages. Les auteurs utilisent en support de leurs analyses la méthodologie de la clusterisation. Celle-ci est issue d’un travail d’enquête antérieur à l’étude qui a permis de définir une classification de la population en 16 groupes (clusters) réunissant des individus qui partagent des positions identiques sur 15 des principaux clivages qui fracturent la société française.

Je ne discuterai pas dans mes billets de la première partie de l’étude, celle-ci s’appuyant sur des méthodes et outils techniques dont les ressorts sont difficiles à saisir pour une personne qui n’en est pas familière, ce qui est mon cas. Je me pencherai en revanche largement sur l’analyse statistique de la 2ème partie de l’étude.

 Je tiens en outre à préciser que mon propos n’a rien de politique et/ou de militant à l’égard de la controverse sur le réchauffement climatique anthropique. Mon objet n’est nullement de soutenir ou d’attaquer un groupe social quelconque (écologistes, climato-sceptiques, élites, peuple). Il s’agit plutôt d’explorer quelques brèches ouvertes par l’étude de la Fondation Jean Jaurès pour discuter des forces qui travaillent aujourd’hui la société française, et des problèmes qu’elles peuvent poser (ou non) par rapport à notre idéal démocratique. Merci donc avant tout aux auteurs de m’avoir permis cet exercice intellectuel.

[1] https://www.jean-jaures.org/publication/dictature-climatique-pass-climat-great-reset-les-discours-complotistes-a-lassaut-de-lopinion/

[2] Stéphane Wojnarowski, La démocratie opérationnelle: donnons au peuple le pouvoir de décider ce qui est important pour lui, Questions contemporaines (Paris: l’Harmattan, 2022).

[3] Par exemple la députée Anne-Laure Blin en janvier 2022 : https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/presidentielle-une-soutien-de-valerie-pecresse-epinglee-pour-des-propos-climato-sceptiques_4911469.html

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