Combien de fois n’a-t-on pas entendu une homme politique français vanter la politique des autres pays sur le mode, « mais enfin, qu’attend-t-on pour s’inspirer de ce qui marche ailleurs » ! Le récital des donneurs de leçon a d’ailleurs ses modes. Le modèle danois pour la protection sociale, le modèle finlandais pour l’éducation, le modèle américain, remisé aux rayon des articles invendus sous l’ère bush mais éclatant sous l’ère reagan pour sa politique fiscale, le modèle anglais pour la flexibilité de son marché du travail....Bref une formidable machine à culpabiliser une France idéologique imperméable à toute réforme et engluée dans le conservatisme de ses corporatismes. Notre Président est un fervent adepte du discours «si l’herbe est plus verte ailleurs, copions leurs jardiniers ». Son terrain de prédilection fut le Royaume-uni, qui possède effectivement parmi les plus beaux gazons du monde, et dont je puis témoigner pour y avoir travaillé plusieurs années qu’il a reçu plus qu’à son tour missions diplomatiques, économiques et culturelles en mal d’idées nouvelles. Bref en français dans le texte ce travail de copiage à un nom : le « benchmark. » Voilà pourtant que notre Président, naguère si prompt à truffer son programme d’idées venues d’ailleurs, vient d’inventer le « benchmark à rebours ». On ne loue plus l’inventivité et la créativité du voisin pour soutenir son discours politique mais au contraire on la stigmatise. «Ne commettons pas les erreurs de nos voisins », professent désormais les mêmes savants qui hier nous vantaient la science des autres . Certes le benchmark à rebours avait pointé son nez sous l’ère Chirac, dénonçant sans grande subtilité le positionnement atlantiste des pays d’europe de l’est, mais nous n’avions jamais connu une telle hardiesse dans la critique. La baisse de la TVA, nulle et non avenue, regardez comment les anglais s’en mordent les doigts. Et leur industrie, une peau de chagrin. Ainsi donc, tout ceci marche dans un sens comme dans l’autre. Une manière de dire que jamais il n’a été question de réellement s’inspirer de la vertu des mesures venues d’ailleurs mais bien au contraire de s’en servir comme d’une simple caution. Benchmark et benchmark à rebours ne sont donc que les deux faces d’une même utilisation politicienne. Cette façon de n’appréhender les solutions des autres dans ce seul esprit utilitariste et bassement politicien conduit à proférer de sérieuses énormités. Dire du Royaume-Uni qu’il n’a plus d’industrie est aberrant. Ce propos été vite rectifié, la production industrielle anglaise étant plus importante que la production industrielle française ! mais il y a pire car les britanniques ont une spécialisation industrielle nettement plus tournée vers les hautes technologies (pharmacie, biotech, NTIC et aéronautique) qui fait défaut cruellement à des pans entiers de notre propre industrie. Cet aveuglement, qu’il soit ignorance ou refus des faits, montre bien où nous mène la machine à illusion dans laquelle s’enferrent les hommes politiques lorsqu’ils font leur shopping de nouvelles idées à l’étranger. A force d’y venir chercher des points d’appui pour leurs propres convictions, ils n’ont plus cet esprit libre et ouvert qui seul sait accueillir les nouvelles idées. Loin de moi, l’idée de nier l’intérêt qu’il y a à s’inspirer de l’exemple de ce que font les autres pays. Ce qu’en revanche je considère comme parfaitement faux, c’est l’idée selon laquelle une bonne pratique se transfère comme on importe une marchandise. Et c’est ici que le bât blesse. Montaigne écrivait que « le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies », nous rappelant qu’il y a loin du verbe à l’acte. On peut trouver la meilleure idée du monde mais tant que la greffe ne prend pas, elle ne nous sera d’aucune utilité. Les idées qui marchent sont celles qu’une nation s’approprie, que le corps social murit longuement et dépose aux pieds des hommes politiques. On a voulu réhabiliter le volontarisme en politique. On a voulu faire vite et beaucoup pour réformer. Ne serait-ce pas plutôt le débat et la durée qu’il conviendrait de placer au coeur d’un vrai réformisme. Celui qui se construit non contre le peuple. Mais par lui et pour lui. L’agitation et le volontarisme instrumentalisent ou ignorent la complexité de faits. Ils la négligent car les faits ne leur importent pas au fond autant que le discours qu’il servent. Dans une société où le discours symbolique est devenu la référence, on aimerait que la recherche des idées venues d’ailleurs soit nettement plus présente. Pas pour servir d’alibi à un discours, mais pour nous inviter collectivement à revenir à plus de respect des faits, de leur réalité et de leur complexité ; pour rétroduire de la rationnalité, de la pondération, de la lucidité et de la fraternité, bref de l’humanité dans l’insondable misère de la pensée magique dont nous abreuvent les hommes politiques et plus généralement les « sachants » de notre époque.
Billet de blog 15 février 2009
De la vertu des exemples venus d’ailleurs
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