Une autre voie est possible : une France qui investit et réforme pour faire baisser sa dette
Chaque automne, la même scène se rejoue : sous couvert de rigueur, le gouvernement explique qu’il faut « faire des économies ». Le mot sonne bien, il rassure, il évoque la bonne gestion des ménages vertueux. Mais derrière cette rhétorique comptable se cache un contresens économique et moral. Car les économies proposées depuis plusieurs années ne sont pas des économies : ce sont des taxes déguisées sur les Français les plus fragiles.
Quand on augmente les franchises médicales, qu’on désindexe les retraites, qu’on gèle les prestations sociales, qu’on baisse les APL, ou qu’on fiscalise les revenus des apprentis, ce n’est pas l’État qui économise : ce sont les ménages qui paient. Ces mesures déplacent la charge publique vers les individus. En pratique, elles constituent une hausse d’impôt masquée, pesant d’abord sur les classes moyennes et populaires.
Or cette stratégie est économiquement inefficace. Selon l’OFCE, chaque euro retranché aux prestations sociales ou à la dépense publique a un multiplicateur budgétaire de –0,8 à –1,2 : c’est-à-dire qu’il détruit plus de richesse qu’il n’en économise. En réduisant le revenu disponible, on freine la consommation, on réduit la croissance et, à terme, on alourdit la dette que l’on prétend contenir.
La santé : la prévention, un investissement rentable
Prenons le cas de la santé. La France consacre environ 12 % de son PIB à la dépense de santé, mais moins de 3 % à la prévention. Résultat : les maladies chroniques explosent, les hospitalisations évitables se multiplient, et la pénurie médicale s’aggrave. Selon la Cour des comptes, près de 30 milliards d’euros de dépenses hospitalières par an pourraient être évitées grâce à une meilleure prévention et à un suivi coordonné des soins.
L’augmentation des franchises médicales ou la restriction de l’accès aux soins n’ont qu’un effet immédiat : elles repoussent le moment du soin, aggravent les pathologies et renchérissent leur traitement ultérieur. L’économie apparente d’aujourd’hui devient la dépense certaine de demain.
Une politique intelligente consisterait à réorienter la dépense vers la prévention, la santé publique, la coordination ville-hôpital, et à mieux maîtriser le coût des médicaments en renforçant la négociation publique avec les laboratoires et en soutenant la production européenne de médicaments génériques et critiques. Cela, oui, ce serait une vraie réforme structurelle.
L’éducation : l’investissement le plus rentable d’un pays
Dans le domaine éducatif, le raisonnement est identique. Sous-investir dans l’école, c’est hypothéquer l’avenir. Le coût d’un échec scolaire est estimé à 230 000 euros par élève sur une vie entière, selon France Stratégie. À l’inverse, chaque euro investi dans la réussite éducative, la formation des enseignants, la recherche et l’apprentissage est un multiplicateur de croissance à long terme.
Le FMI et l’OCDE l’ont confirmé : l’éducation est l’investissement public le plus rentable, avec un rendement social estimé entre 7 et 10 % par an. Et pourtant, depuis 2017, la part du budget de l’Éducation nationale dans le PIB diminue, les salaires enseignants stagnent, les inégalités scolaires s’accroissent, et la France recule dans toutes les enquêtes PISA.
Moins d’école, c’est moins de productivité, moins d’innovation, moins de cohésion sociale. C’est la voie inverse de celle que choisissent les pays du Nord, qui investissent massivement dans les compétences, la recherche et la formation tout au long de la vie.
Le logement : la clé du pouvoir d’achat et de la croissance
Même logique pour le logement, devenu le premier poste de dépense des ménages, devant l’alimentation. En bloquant la construction par un empilement de normes, en coupant les aides à la pierre, en fragilisant les bailleurs sociaux, le gouvernement a déclenché une crise majeure.
Les mises en chantier sont tombées à 270 000 logements en 2024, soit une chute de 40 % en trois ans — le niveau le plus bas depuis 30 ans. Or chaque logement construit, selon l’INSEE, génère 1,8 emploi direct ou indirect, et rapporte à l’État plus de 20 000 euros de recettes fiscales.
Relancer la construction, c’est donc relancer la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat. Une vraie politique du logement aurait un triple effet :
– faire baisser les prix et les loyers, donc améliorer le niveau de vie ;
– relancer l’activité du bâtiment et des territoires ;
– réduire les dépenses publiques liées aux aides compensatoires.
Les infrastructures, la petite enfance et la démographie
Une autre fausse économie consiste à ralentir les investissements publics dans les infrastructures et les services de base.
La Cour des comptes estime que la dégradation des réseaux d’eau, de routes et d’écoles engendre des surcoûts d’entretien de plus de 10 milliards d’euros par an. Reporter ces dépenses, c’est simplement payer plus cher demain pour réparer ce que l’on n’a pas entretenu aujourd’hui.
Même chose pour les crèches : le déficit d’accueil de la petite enfance coûte à la collectivité plus de 6 milliards d’euros par an en emplois non occupés et en carrières interrompues. Le taux d’activité des femmes chute de 10 points lorsqu’elles ont un enfant faute de solution de garde. L’investissement dans la petite enfance est donc une politique de croissance, d’égalité et de natalité.
Réformer sans punir : efficacité, proximité, décentralisation
Faire des économies ne veut pas dire punir, mais dépenser mieux. Cela suppose de réformer l’État, de simplifier les marchés publics, de réduire les doublons administratifs, et de faire confiance aux collectivités locales, qui agissent plus efficacement et à moindre coût.
Aujourd’hui, l’hyper-centralisation étouffe l’efficacité de la dépense publique. Il faut décentraliser la décision, transférer les moyens, et permettre aux communes, départements et régions d’expérimenter des politiques adaptées à leurs réalités. Ce n’est pas du laxisme budgétaire : c’est de la bonne gestion.
Sortir de la logique comptable pour retrouver une logique de puissance
La dette publique n’est pas un mal en soi. Elle devient un problème lorsqu’elle finance la stagnation au lieu de financer l’avenir.
La France n’a pas besoin d’un plan de rigueur, mais d’un plan d’investissement productif, fondé sur quatre priorités :
1. La santé préventive et la production européenne de médicaments.
2. L’éducation, la recherche et la formation.
3. Le logement, les infrastructures et la transition écologique.
4. La décentralisation de la décision publique.
Ce sont ces investissements qui feront reculer durablement la dette, car ils renforceront notre base productive, notre croissance potentielle et la confiance du pays.
Faire baisser la dette en relevant le pays
L’austérité n’a jamais réduit la dette. Tous les exemples récents — Grèce, Royaume-Uni, Italie — montrent que les coupes aveugles fragilisent la croissance et creusent les déficits.
À l’inverse, les pays qui ont investi dans la santé, l’éducation, la recherche et la transition — l’Allemagne des années 2000, la Suède des années 1990, le Canada post-crise — ont retrouvé la maîtrise de leurs comptes par la croissance, pas par la punition.
La France doit cesser de confondre économie et régression.
Elle doit choisir l’investissement, la justice, l’efficacité.
Une autre voie est possible : celle d’une France qui soigne, forme, construit et décentralise.
Une France qui investit et réforme pour faire baisser sa dette, non pas en affaiblissant son peuple, mais en le rendant plus fort.