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Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

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Billet de blog 7 août 2025

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La gauche face aux nationalismes

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Partout les nationalistes triomphent, et la gauche recule. Le paysage mondial se transforme sous nos yeux : les droites extrêmes accèdent au pouvoir ou s’en approchent dangereusement, des États-Unis à l’Argentine, de l’Inde à la France. Elles prospèrent sur les ruines d’un imaginaire commun effondré, sur les frustrations accumulées, sur l’abandon des classes populaires, sur la perte du sens. Elles exploitent à merveille le vide laissé par les « centristes »— qui, trop souvent, ont renoncé à penser, à relier, à incarner et confondu « pragmatisme » avec soumission à l’argent.

La gauche, elle, vacille. Parce qu’elle s’est laissé enfermer dans une politique de gestion, là où il fallait porter une vision. Parce qu’elle a cru que les règles suffisaient à faire lien, que la morale tenait lieu de projet, que l’économie pouvait s’autoréguler. Elle a oublié que les peuples ont besoin d’un récit, pas d’un rapport technique à la politique . D’une espérance, pas d’un commentaire. D’une force, pas d’un regret.

Il est des erreurs théoriques dont les conséquences se font sentir longtemps après leur proclamation. L’idée que l’Histoire aurait pris fin avec la chute du mur de Berlin, que le libéralisme politique et économique aurait triomphé une fois pour toutes, appartient à ces illusions dangereuses. Francis Fukuyama, en annonçant cette prétendue fin, ne mesurait pas qu’il enterrait bien plus la démocratie que les dictatures. Car ce ne fut pas la liberté des peuples qui triompha, mais l’autonomie sans frein du marché.

Nous vivons aujourd’hui les ruines de cette illusion. La mondialisation néolibérale, livrée aux seules logiques de profit, a sapé les cadres politiques, sociaux et symboliques qui structuraient les démocraties représentatives. Loin de pacifier le monde, elle l’a déstabilisé. Loin de faire advenir un âge d’or démocratique, elle a décomposé les repères collectifs, laissé les nations orphelines de leurs traditions, vidé le lien civique de sa substance. Le résultat est là : montée des extrêmes, retour des frontières mentales, crispation sur les identités, perte de sens. Quand on ne maîtrise plus rien, on se replie sur ce qu’on croit encore tenir : sa langue, sa terre, sa religion, sa colère.

Les peuples ne sont pas des agrégats de consommateurs. Ils ont besoin d’un récit, d’une histoire, d’une souveraineté. Ils veulent être acteurs, pas variables d’ajustement. Lorsqu’on les prive du pouvoir de décider, ils le réclament d’une manière ou d’une autre — parfois dans les urnes, parfois dans la rue. Toujours avec cette exigence : reprendre la main sur leur destin.

Le paradoxe est cruel. Là où Fukuyama annonçait la paix par l’uniformisation, c’est Samuel Huntington — pourtant co-auteur du rapport néolibéral de la Commission trilatérale — qui vit plus clair dans Le Choc des civilisations. Il comprit que les peuples, privés de boussole commune, se réorganiseraient selon leurs appartenances symboliques, historiques, culturelles. Ce constat n’est pas une fatalité, et encore moins un horizon souhaitable. Le choc des civilisations n’est pas une prophétie qu’il faut accepter : c’est un risque qu’il faut conjurer. Il rappelle combien les peuples ont besoin de sens, de repères, d’un langage commun. À la gauche, à l’humanisme, à l’internationalisme de répondre à cette quête, sans abandonner le rêve d’un monde ouvert, juste, partagé.

La démocratie n’est pas un simple empilement de lois ou une procédure creuse. Elle est une manière de se relier — à soi, aux autres, à l’histoire. Elle est une promesse partagée : celle de pouvoir peser sur le réel. Quand elle oublie cette dimension existentielle, elle devient un décor vide. Et les peuples désertent.

Alors que faire ?

Il nous faut réenchanter. Reconstruire un imaginaire collectif. Retisser les liens. Cela ne se décrète pas par décret ou plan quinquennal. Cela suppose un travail de fond, une attention portée à ce que les peuples ressentent, espèrent, refusent.

Il faut d’abord redonner sens au mot Nation : non comme un bloc fermé ou excluant, mais comme un espace de protection, de solidarité et d’émancipation. Une République de la dignité, où chacun se sente reconnu, écouté, respecté, où la promesse républicaine redevienne vivante dans tous les territoires.

Il faut aussi reconstruire un imaginaire du progrès. Non plus celui de la croissance infinie ou du consumérisme sans boussole, mais celui d’un progrès humain, écologique, démocratique. Un monde où l’école élève, où le travail libère, où la culture relie, où la technique reste au service du vivant. Ce progrès-là ne peut être piloté par les algorithmes ou la seule rentabilité. Il doit être nourri par une éthique de la responsabilité.

Il faut réhabiliter la valeur du lien. Là où l’économie détruit les solidarités, là où les plateformes fragmentent le réel, nous devons retisser le tissu social : soutenir les associations, les communes, les services publics de proximité, les lieux de culture, les pratiques collectives. Nous devons reconstruire une société du respect : respect des métiers, des anciens, des jeunes, du vivant, de la parole donnée. C’est cela une société civilisée.

Et puis il faut redonner sens au politique lui-même. Sortir de la communication creuse, des injonctions contradictoires et des petits jeux d’appareil. Retrouver une parole claire, une vision assumée, une capacité à dire la vérité et à proposer des chemins. Refaire de la politique non pas une gestion de l’opinion, mais une boussole commune.
Ce sont là les fondations d’un imaginaire positif : celui d’une France souveraine, écologique, démocratique et humaine. Une France fidèle à ses promesses — de justice, de liberté, de fraternité. Une France capable de dire au monde qu’un autre avenir est possible. Une France qui ne renonce pas.

Ce n’est pas un repli. C’est un redressement.

L’Histoire n’est pas finie. Mais elle pourrait bien nous échapper si nous ne faisons pas l’effort, ici et maintenant, de la reprendre en main.
Reprendre la main sur notre destin, ensemble. Voilà ce qui nous revient. Voilà ce qui nous élève.

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